Ajouter un extrait
Liste des extraits
Mon miroir, mon maître
La danse classique s'apprend devant un miroir. Des heures et des heures et des heures et des heures devant le miroir. D'abord petite fille, puis comme élève studieuse et enfin comme adulte professionnelle, pendant les cours et les répétitions, j'ai appris que toute courbure du pied, tout regard, tout angle du bras, tout rond de jambe, tout sourire, toute grimace, tout effort était exécuté et vu simultanément par le soi, cette entité nébuleuse qu'on appelle la conscience. On devient à la fois sujet et objet.
En vingt-cinq ans de danse, j'ai calculé avoir passé en gros dix-huit cents heures à me produire devant un public réel... Et dix-huit mille heures à m'exercer devant les immenses miroirs muraux si caractéristiques de tous les studios de danse. Cette mise à nu quotidienne, intense et implacable, a un vif effet sur la prétendue image de soi du danseur ou de la danseuse. En dépit des idées reçues, tant de temps passé à se regarder à la loupe n'engendre pas le narcissisme ou la vanité. Bien au contraire. Nous nous étudions avec des yeux exercés à la critique et à la comparaison, aiguisés par l'esprit de compétition. Oui, de temps à autre, le spectacle est plaisant, beau, quelque chose qui vaut la peine d'être vu. Mais, le plus souvent, il est le reflet d'une imperfection - du corps, de la ligne, du visage, de la tenue, du mouvement. Fréquemment, cet unique défaut semble abolir tout le travail du danseur, voire son existence entière.
Le miroir montre l'impossibilité de la perfection. Ainsi était née une étrange intimité : sans cesse je me sculptais, je me transformais, me perfectionnais et me remodelais, pendant que le miroir - glacé et fidèle - trônait en juge, comme Dieu. Le miroir était désormais geôlier et sauveur, la source du mépris de soi et pourtant la seule source d'affirmation. J'étais humble devant la toute-puissante glace, avec son illusion de trois dimensions en deux. Je m'y soumettais complètement. Alors que Dieu restait distant, l'autorité du miroir sur moi était absolue.
Afficher en entierLa volupté, ai-je appris en me faisant sodomiser, est l’expérience de l’éternité dans l’instant présent. La sodomie est l’ultime acte sexuel de confiance. Je veux dire qu’on peut vraiment avoir mal – si l’on résiste. Mais si l’on surmonte cette peur, en la traversant, littéralement, ah la joie qui nous attend de l’autre côté des conventions. La paix qui vient après la douleur. La clé, c’est de dépasser la douleur. Une fois absorbée, celle-ci est neutralisée et permet une métamorphose. Le plaisir seul est simple indulgence passagère, une distraction subtile, une anesthésie sur le chemin de quelque chose de plus élevé, de plus profond, plus intime. L’éternité se trouve au-delà, bien au-delà du plaisir. Et de la douleur. Le pourtour de mon cul est l’horizon de l’événement sexuel, la frontière de cet au-delà auquel il n’y a pas d’échappatoire. Pas pour moi, en tout cas.
Je suis athée, par atavisme. J’ai fini par connaître Dieu par l’expérience, en me faisant foutre en cul – encore, encore, et encore. J’apprends lentement, mais je suis une hédoniste, une goulue. Je suis sérieuse. Très sérieuse. Et j’ai été encore plus surprise que vous par cet éveil étrangement brutal à une extase mystique.
Voilà la grosse surprise de Dieu, Son humour subtil et Sa puissante présence, manifestée dans mon cul – on ne peut nier que c’est une sacrée manière d’attirer l’attention d’une sceptique !
Afficher en entier