Vous utilisez un bloqueur de publicité

Cher Lecteur,

Nous avons détecté que vous utilisez un bloqueur de publicités (AdBlock) pendant votre navigation sur notre site. Bien que nous comprenions les raisons qui peuvent vous pousser à utiliser ces outils, nous tenons à préciser que notre plateforme se finance principalement grâce à des publicités.

Ces publicités, soigneusement sélectionnées, sont principalement axées sur la littérature et l'art. Elles ne sont pas intrusives et peuvent même vous offrir des opportunités intéressantes dans ces domaines. En bloquant ces publicités, vous limitez nos ressources et risquez de manquer des offres pertinentes.

Afin de pouvoir continuer à naviguer et profiter de nos contenus, nous vous demandons de bien vouloir désactiver votre bloqueur de publicités pour notre site. Cela nous permettra de continuer à vous fournir un contenu de qualité et vous de rester connecté aux dernières nouvelles et tendances de la littérature et de l'art.

Pour continuer à accéder à notre contenu, veuillez désactiver votre bloqueur de publicités et cliquer sur le bouton ci-dessous pour recharger la page.

Recharger la page

Nous vous remercions pour votre compréhension et votre soutien.

Cordialement,

L'équipe BookNode

P.S : Si vous souhaitez profiter d'une navigation sans publicité, nous vous proposons notre option Premium. Avec cette offre, vous pourrez parcourir notre contenu de manière illimitée, sans aucune publicité. Pour découvrir plus sur notre offre Premium et prendre un abonnement, cliquez ici.

Livres
710 548
Membres
993 015

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode

Ajouter un extrait


Liste des extraits

Ayant la chevelure ni lisse ni entortillée, Stéphanie n'avait nul besoin de se la « griller », et l'odeur qui se dégageait de cette opération provoquait chez elle un haut-le-cœur. Lui soulevait le foie, disait-elle dans son français créolisé de l'époque.

Afficher en entier

Oui, il s'agissait bien de sa personne mais en plus âgée. Elle était reconnaissable à sa bouche pointue de mangouste, à ses yeux fureteurs, à son front un peu sévère, à sa couleur café au lait quoique plus café que lait.

- Mi kon sa ou ké yé ! (Ainsi tu deviendras !) murmura la sorcière, qui dans une sorte de susurrement sembla s'enrouler sur elle-même avant de filer comme une mèche en direction du firmament.

Afficher en entier

La première fois qu'il fut donné à Stéphanie Saint-Clair de le voir, c'est l'expression « Grand Nègre », souvent utilisée par sa mère, là-bas, à la Martinique, qui lui vint à l’esprit. Il était, à la vérité, plutôt mulâtre, mais ce terme, comme elle s’en était rendu compte, n’avait pas de sens en Amérique à cause de l’infranchissable ligne de couleur entre les Blancs et les Noirs. « Grand » signifiait, pour autant que ses souvenirs du créole ne la trahissaient pas, « savant » ou à tout le moins « éduqué et respectable ». Oui, William E. B. Du Bois l’était plus que tout autre personne qu’elle avait rencontrée à ce jour.

Afficher en entier

Est-ce ce que l'on appelle l'amour au premier regard ? se demanda Madame Saint-Clair, le cœur chamadant.

Afficher en entier

L’atlas comportait pourtant d’autres photos magnifiques de la ville de New York — celle du pont Washington et de l’avenue bordant la rivière de Harlem ou encore celle de Greenwich Village lors d’une foire du hot-dog —, mais c’est celle-là, celle du bonimenteur nègre, qui retint son attention. Peut-être parce qu’il lui rappelait ces crieurs de magasins de Syriens, dans cette rue de Fort-de-France où ces derniers avaient commencé à s’établir. On les avait d’abord connus pauvres hères, fraîchement descendus du bateau, une valise fatiguée à la main et incapables de baragouiner ne serait-ce qu’un mot de français ni évidemment de créole, colportant dans des brouettes leurs marchandises à bon marché, et puis dans les premières années du siècle certains d’entre ces Levantins s’étaient enrichis et avaient ouvert boutique. La négraille préféra vite fréquenter ces lieux où il était possible de marchander et d’ouvrir un carnet de crédit plutôt que les magasins huppés des rues Schoelcher, Lamartine et Victor-Hugo.

Afficher en entier

Pour calmer la terreur qui grandissait jour après jour ou, plus exactement, nuit après nuit, Stéphanie profitait de ses rares moments de liberté pour jeter un œil aux encyclopédies et aux atlas qui décoraient le salon des Verneuil. De peur d’être surprise par Man Ida, la gouvernante, elle se contentait d’examiner les cartes des pays et des continents, des océans aussi, exaltée par leurs noms : Birmanie, Argentine, Turquie, océan Indien. Elle coquillait les yeux devant les photos des différents peuples et leurs costumes rutilants, se persuadant elle-même qu’un jour elle partirait et que ce serait un voyage sans retour. Non pas qu’elle n’aimât pas sa mère, Félicienne, mais parce qu’un sombre pressentiment l’habitait depuis sa haute enfance : sa mère monterait en Galilée avant d’atteindre l’âge de la vieillesse. Sa mort serait rapide, brutale même, sans souffrance ni agonie. Ce pressentiment n’était fondé sur rien, d’autant que Félicienne respirait la santé et ne fréquentait que rarement les docteurs, mais il était là enfoui en elle, au plus profond d’elle, et si cela l’avait un temps attristée, elle avait fini par s’y habituer. Sa mère partie, que lui resterait-il comme famille en Martinique ? Un père qu’elle n’avait jamais connu et qui n’avait jamais cherché à la connaître ? Des sœurs de sa mère qu’elles ne voyaient qu’une fois l’an, à Pâques, car elles habitaient dans le sud du pays, au Vauclin ? Ah, si elle avait eu des frères et sœurs ! Mais inexplicablement, alors que toutes ses voisines de La Cour Fruit-à-Pain avaient cinq, six, voire sept enfants, Félicienne Sainte-Claire n’en avait qu’une et une seule : Stéphanie. D’aucuns s’en étonnaient, certains l’accusant d’être une scélérate. Comme cette Gratienne, qui semblait en vouloir à l’univers entier et à la mère de Stéphanie en particulier quand bien même chacun s’employait à vivre très à l’écart de sa majestueuse personne. Malgré l’éléphantiasis qui affectait sa jambe gauche, elle s’habillait de très coquette façon, s’attachait de superbes madras dans les cheveux, et, pipe en terre au bec, elle déplaçait sa lourde carcasse à l’entrée des cases qu’elle louait pour tancer les locataires en retard de loyer. La malignité publique assurait que, dans son jeune temps, elle avait été une créature splendide qui vendait ses charmes aux gradés blancs de l’Amirauté, ce qui lui avait permis d’amasser un pécule lui ayant servi à faire construire les cases qu’elle louait à La Cour Fruit-à-Pain. Si Gratienne était impitoyable envers les mauvais payeurs (elle avait à son service un féroce major du quartier Bord de Canal pour les expulser), elle avait la dent mauvaise contre ceux et celles contre lesquels elle n’avait aucun moyen de pression : les propriétaires de leur case comme Félicienne Sainte-Claire. Elle s’ingéniait à repérer leur moindre défaut et prenait un vif plaisir à débagouler tout un lot de méchancetés. S’agissant de Félicienne, elle ricanait de la sorte :

— Soit ta matrice est devenue plus sèche que de la bagasse, soit tu t’amuses à tuer les bébés qui sont dans ton ventre avec des décoctions maléfiques ! L’écorce d’ananas vert est très efficace, paraît-il… Hon ! Dans le premier cas, tu es à plaindre, dans l’autre, tu es une vraie putaine-vagabonde…

Afficher en entier

La mère de la fillette était très à cheval, non seulement sur la propreté, mais aussi sur l’éducation. Il fallait que Stéphanie dise bonjour à haute et intelligible voix à tous ceux qui traversaient La Cour Fruit-à-Pain, même ceux qu’elle ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam. Avant son départ pour l’école, Félicienne lui vérifiait les dents, les oreilles et les ongles comme s’il y allait de la vie de l’enfant. Cette dernière se révéla une bonne élève qui rapportait assez souvent des bons points en dépit de l’ostracisme qu’elle subissait de la part de ses maîtresses, lesquelles lui refusaient parfois l’entrée de leur salle de classe quand Félicienne, bousculée parce qu’elle n’avait pas fini de préparer les gamelles de repas qu’elle vendait sur le port, l’avait coiffée à la va-vite avec des papillotes. Les cheveux en grains semblables à du caca-mouton étaient bannis dans les lieux respectables, c’est pourquoi chaque samedi après-midi Félicienne mettait un fer à chauffer sur du charbon de bois et lissait ses cheveux et ceux de sa fillette. L’odeur du roussi écœurait cette dernière qui ne pipait mot car, chaque fois qu’elle contrariait sa mère, Félicienne lui intimait l’ordre d’aller chercher la cravache en corde mahault suspendue derrière la porte de la cuisine et lui taillait les fesses.

Afficher en entier

Félicienne Sainte-Claire, robuste Négresse au verbe haut, s’étonnait d’avoir mis au monde cette fillette à la fois taiseuse et fluette et se demandait qui avait bien pu être son géniteur. Longtemps, en effet, elle avait cultivé des relations multiples avec des hommes dont elle n’attendait rien, hormis « un bon coup de coco de temps en temps », selon sa propre expression qui choquait les âmes sensibles, à vrai dire peu nombreuses à La Cour Fruit-à-Pain. Félicienne ne se cachait pas pour affirmer : « La seule chose qui est bonne chez un homme, c’est ce qu’il trimballe entre ses jambes. Le restant c’est du caca-chien, foutre ! » Quel que soit le nom qu’elle donnait à cet entre-deux (« coco », « lolo », « lapin », « braquemart », « tournevis »), chacun comprenait qu’elle l’appréciait tout en étant une bondieuseuse qui chaque dimanche matin accourait à la messe de neuf heures à la cathédrale. Elle habillait toujours Stéphanie de blanc, la chaussait de blanc et lui mettait des rubans blancs dans les cheveux. Elle-même préférait une couleur plus sobre, le gris, n’ignorant pas qu’à la cathédrale, au beau mitan de l’En-Ville, les Mulâtresses bourgeoises la regarderaient de haut quand bien même elle ferait attention à s’installer sur l’un des derniers bancs. Félicienne n’avait jamais fréquenté que de loin en loin les deux autres églises de Fort-de-France, celles qui étaient comme réservées à la négraille : celles des Terres-Sainville et de Sainte-Thérèse.

Afficher en entier

Les Verneuil vivaient dans la nostalgie de ce qu’ils appelaient, toujours à voix feutrée, le Petit Paris des Antilles, cette ville de Saint-Pierre de la Martinique qu’un beau matin du mois de mai 1902 la montagne Pelée avait détruite malgré ses hautes demeures en pierre de taille, son théâtre où se produisaient des troupes lyriques venues d’En-France, sa Maison de la Bourse, son sémaphore et son tramway tiré par un cheval au poitrail impressionnant. Hormis une poignée de chanceux qui, quelques jours auparavant, s’étaient rendus à Fort-de-France à bord des vedettes de la Compagnie Girard ou ceux qui, dans les campagnes environnantes, ayant pris peur devant les fumerolles qui s’échappaient du volcan et le brusque exode des animaux, domestiques ou sauvages, leur avaient emboîté le pas, les trente mille habitants de la plus belle cité de l’archipel après La Havane avaient péri en une poignée de minutes. En moins de temps que la culbute d’une puce, disait comiquement le concubin de la mère de Stéphanie, un bougre m’en-fous-ben qui vivait de djobs et sans doute de menus trafics sur le port, haussant les épaules lorsque Félicienne le houspillait afin de le pousser à chercher ce qu’elle appelait « un vrai travail ». Pour la jeune enfant, sa mère envisageait ni plus ni moins qu’une vie de personne debout derrière une chaise, autre expression imagée désignant les jeunes filles pauvres que l’on plaçait chez les riches et qui, lors des repas, se tenaient à portée de voix de manière à recevoir les ordres de ces derniers. En effet, après s’être esquintée dans une foison de métiers modestes tels que lessivière, charbonnière, vendeuse de repas en gamelle, balayeuse municipale et même séancière (oui, elle prétendait déchiffrer l’avenir contre un billet de cent francs !), activités qui lui avaient permis d’envoyer sa fille à l’école cinq années durant — ce qui, dans les milieux plébéiens, était un exploit —, elle sentit ses forces l’abandonner peu à peu. Dans son quartier, La Cour Fruit-à-Pain, elle était la première levée et empoignait son balai coco pour débarrasser sa minuscule cour de terre battue des feuilles mortes ou des fruits trop mûrs tombés durant la nuit. Le voisinage la félicitait pour son sens de la propreté car, parfois, son énergie débordante la poussait à nettoyer au-delà des limites de son chez elle. Tant que sa petite Stéphanie assoyait ses fesses sur un banc d’école, elle refusa que celle-ci lui prête main-forte. C’est qu’elle nourrissait un rêve fou : celui de voir sa fille réussir haut la main au certificat d’études, ce qui aurait facilité son embauche à l’Hôpital colonial comme fille de salle. Ou possiblement dans des commerces en gros du Bord de Mer où les Békés embauchaient des employés aux écritures.

Afficher en entier

Voyant que je ne réagissais point (dans pareil cas, j’avais pour habitude de me retirer en mon for intérieur), il s’enhardit à me peloter la poitrine, que j’avais pourtant peu fournie. Mon sang vieux-nègre ne fit qu’un tour, celui des esclaves d’antan lorsqu’un maître trop injuste les accablait de coups de rigoise. Mes tempes s’échauffèrent. Mes pupilles palpitèrent. Je serrai les dents et soudain, vim !, je lui balançai la pointe de ma chaussure droite dans les génitoires. Le Sarde s’effondra sans un mot à la stupéfaction des autres passagers, ravis à l’idée d’avoir un peu de distraction. Replié en position de fœtus sur le sol froidureux de la troisième classe, métal rugueux agité par les incessantes trépidations des moteurs, il couinait comme un bébé atteint de coliques. Un silence s’établit qui dura une bonne heure avant que chacun revienne à ses activités, ce qui était un bien grand mot dans cette espèce d’immense boîte à sardines où nous étions coincés les uns contre les autres sans pouvoir faire autre chose qu’aller aux toilettes qui puaient et, deux fois par jour, dans un réfectoire qui ne pouvait accueillir qu’une trentaine de personnes à la fois. J’étais la seule Noire à bord et aussi la seule Française, une vraie curiosité donc, mais du jour où j’avais étalé le contrebandier sarde, on se mit à m’observer, certains avec amusement, d’autres avec une déférence inquiète.

Afficher en entier

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode