Extraits

« Je ne marcherai pas beaucoup plus loin, bredouilla Olson.

Sa figure formait un cercle blanc dans les ténèbres. Personne ne lui répondit.

Les ténèbres. Au diable les ténèbres. Garraty avait l'impression qu'ils y étaient enterrés vivants. Emmurés dans le noir. L'aube était à un siècle. Beaucoup d'entre eux ne verraient jamais se lever le jour. Le soleil. Ils étaient enterrés à six pieds sous les ténèbres. »

« Félicitation, dit McVries à côté de lui. Il sursauta.

-Hein ?

-Il est minuit. Nous sommes encore en vie pour attaquer un nouveau jour Garraty.

-Et beaucoup d'autres, ajouta Abraham. Je parle pour moi, bien sûr. Notez que je ne veux pas vous priver. »

« Il m'a fallut du temps pour comprendre, mais c'est aller plus vite une fois que j'ai eu surmonté ce blocage mental. Marche ou crève, c'est la morale de cette histoire. Pas plus compliqué. Ce n'est pas une question de force physique, et c'est là que je me suis trompé en m'engageant. Si c'était ça, nous aurions tous une bonne chance. Mais il y a des hommes faibles capables de soulever des voitures si leur femme est clouée dessous. La tête Garraty, le cerveau... Ce n'est pas l'homme ou Dieu, c'est quelque chose...dans le cerveau. »

« Tu crois que tu vas gagner, Ray ?

Garraty considéra la question, très longtemps.

-Non, avoua-t-il enfin. Non, je... Non.

Cet aveu l'effraya. Il pensa alors à son ticket, à la balle qui le frapperait, à l'ultime seconde de lucidité devant les canons des fusils levés vers lui. Les jambes figées. Le ventre crispé, la terreur aux tripes. Les muscles, le cerveau tout son corps repoussant la mort qui ne serait plus qu'à un battement de cœur. »

« S'il vous plaît, mon Dieu, faites qu'ils ne tuent personne en ce moment, pensa Garraty. Je vais devenir fou si j'entends un fusils maintenant. S'il vous plaît, mon Dieu, s'il vous plaît.

Quelques minutes plus tard, les fusils firent résonner dans la nuit leur bruit de mort »

« [….] Comment c'était ? Demanda McVries d'une voix curieusement rajeunie, tout à coup.

-Tu veux vraiment le savoir ? Répliqua Stebbins

-J'ai demandé, pas vrai ?

Stebbins ne répondit pas. Garraty était de plus en plus en plus intrigué par lui. Il n'avait pas flanché. Rien n'indiquait qu'il allait flancher. Il marchait sans se plaindre et, depuis celui du départ, il n'avait reçut aucun avertissement.

-Ouais, comment c'était ? Demanda Garraty presque involontairement. […]

-Je les ai entendus venir avant de les voir. Tout le monde à entendu. C'était une grande onde sonore, qui se rapprochait. Il a fallu attendre encore une heure avant qu'ils soient assez près pour qu'on les voie. Ils ne regardaient pas la foule, aucun des deux qui restaient. C'était comme s'il ne savaient même pas que la foule était là. Ils ne regardaient que la route. Ils boitaient tous les deux, ils se traînaient. A croire qu'ils avaient été crucifiés et descendus avec les clous encore dans les pieds.

Ils écoutaient tous Stebbins, à présent. Un silence d'horreur s'abattu sur eux.

-La foule leur criait après, comme s'ils pouvaient encore entendre. Il y en avait qui hurlait le nom d'un type ou l'autre, mais la seule chose qu'on comprenait c'était Go... Go... Go...

J'étais bousculé et pressé de tous les côtés. Le mec à côté de moi s'est pissé ou chié dessus, je ne sais pas.

-Ils sont passés juste devant moi. Il y avait un grand blond avec la chemise ouverte. Une de ses semelles de chaussures s'était décollé ou décousue ou je ne sais quoi et elle claquait. L'autre n'avait même plus de chaussures et ses chaussettes s'arrêtaient à la cheville. Le reste... Eh bien il les avaient usé à la marche... Il avait les pieds violets, on voyait les vaisseaux éclatés. Je rois qu'il ne les sentait même plus. On à peut-être pu faire quelque chose après pour ses pieds, plus tards. Je ne sais pas, peut-être.

-Assez. Pour l'amour de Dieu, tais-toi !

C'était McVries. Il paraissait écœuré, désemparé.

-C'était toi qui voulait savoir, lui dit presque gentiment Stebbins. C'est pas ce que tu disais?[...] C'est le grand blond qui a perdu. J'ai tout vu. Ils venaient juste de passer devant moi. Il a levé les deux bras au ciel, comme si il était superman. Mais au lieu de s'envoler il est tombé sur le nez et ils lui ont collé son ticket au bout de trente secondes parce qu'il avait déjà trois avertissements. Ils en avaient tout les deux trois. Alors la foule c'est mis à applaudir, à pousser des cris. A acclamer et à applaudir. On voyait bien que le gosse qui avait gagné essayait de dire quelque chose. Alors les gens se sont tus. Il était tombé à genoux, vous savez, comme s'il allait prier, seulement il pleurait, simplement. Et puis il s'est trainé jusqu'à l'autre garçon et à fourré sa figure dans la chemise du grand blond. Il a commencé à lui parler dans la chemise du mort. Il s'adressait au gosse mort. Et puis le soldat se sont précipité et lui ont dit qu'il avait remporté le Prix, et ils lui ont demandé ce qu'il voulait faire.

-Qu'est-ce qu'il à répondu? Demanda Garraty.

Il lui semblait que dans cette question, il jouait toute sa propre vie.

-Il ne leur à rien dit du tout, pas tout de suite. Il parlait au gosse mort. »

« Bidon 47 ! Hurla t-il

L'effort du cri le laissa de nouveau affaibli. Il regretta de ne pas avoir attendu un peu. Un des soldats arriva en trottinant et lui tendit un bidon plein. Garraty sentit que les yeux impassibles du soldat prenaient sa mesure.

-Allez-vous en, dit-il grossièrement en prenant le bidon. Vous êtes payé pour me fusilier pas pour me regarder. »

« Personne ne parlait. Chacun s'était replié sur soi-même, dans son petit monde particulier de douleur et d'effort. Les secondes semblaient des heures. »

« Chut, ce n'est pas un tigre, mon trésor, c'est ton nounours, tu vois … ? Des coques, des moules hé ho hé ho... Maman aime son petit garçon... Chut... Fait dodo...

-Avertissement ! Avertissement 47 !

Il reçut un grand coup de coude dans les côtes.

-C'est toi, vieux. Debout là-dedans ! S'exclama McVries en riant. »

« McVries, dit Olson.

Sa voix s'était radoucie, depuis une heure ou deux. Finalement Garraty aimait bien Olson, malgré ses airs de bravache. Mais il n'aimait pas voir Olson effrayé, et Olson l'était, ça paraissait évident.

-Quoi ? Fit McVries.

-Ça ne va pas. Ce truc des muscles mous dont je te parlais. Ça ne passe pas.

McVries ne répondit pas. Sa cicatrice était très blanche, à la lumière du couchant.

-Ça me fait l'effet que mes jambes vont s'écrouler. Comme une mauvaise fondation. Mais ça ne va pas m'arriver, dis ? Hein, dis ? Ça ne va pas m'arriver ? Demanda Olson d'une voix un peu trop aiguë.

McVries ne répondit toujours pas.

-Je pourrais avoir une cigarette ? Demanda Olson, retrouvant une voix sourde.

-Ouais. Tu peux garder le paquet.

Olson alluma une des Mellow avec l'aisance de l'habitude, tenant l'allumette au creux de la main et fit un pied de nez à un des soldat qui l'observait du half-track.

-Ça fait au moins une heure qu'ils m'ont à l’œil, les fumiers. Ils ont un sixième sens, pour ça. Ça vous plaît, hein les gars ? Cria-t-il. Vous aimez ça, hein . C'est pas vrai ? »