Extraits

<<Je suis heureux d'avoir pris cette décision, celle de répondre à tous ceux qui m'ont confié des bribes de leur vie, semaine après semaine. Je leur dois bien ça. Ils m'ont aidé à vivre dans un moment où je n'allais pas très bien et où je dérivais de plus en plus loin, même si personne ne semblait s'en rendre compte. Je me faisais tellement oublier que j'étais souvent hors champ, mais comme je suis quelqu'un de discret, les gens ne le remarquaient pas; un jour, ils se retournaient et disaient en plissant le front "tiens, mais Corentin n'est plus là!". Personne ne peut deviner par quoi je suis passé ces derniers mois, jusqu'à ce que tu fasses irruption dans la boutique d'Yvan. Certains soirs, quand je rentrais, j'aurais pu m'emplafonner dans un arbre ou obliger la voiture à défoncer le parapet pour plonger dans le fleuve, un peu plus bas. J'aurais eu la politesse de tout arranger pour qu'on pense à un accident. Mes parents ne méritent pas une mort sur la conscience. Je n'avais pas envie de mourir, d'ailleurs - simplement, je ne voyais pas pourquoi je devais continuer, dans le flou artistique, à filmer le bonheur des autres tandis que les sables mouvants prenaient possession de mes chevilles, de mes mollets, de mes cuisses. Lorsque tu es entré dans le magasin, j'étais englué jusqu'au torse, je ne bougeais plus, l'hiver allait arriver, j'allais geler sur place tandis que la boue entrerait par mon nez et ma bouche....>> p.165