Marla Mason, Tome 2 : L'Assassin des rêves

LES PNEUS DE la Bentley crissèrent sur l'allée verglacée en forme de fer à cheval, tandis que le véhicule se garait devant la façade en briques de l'inquiétant Institut Blackwing. Marla bondit du siège passager et se précipita vers la porte d'entrée, sa cape violette et blanche virevoltant derrière elle dans les bourrasques hivernales.

Dans sa main, la lame d'une dague effilée crépitait des étincelles bleutées d'un sort de paralysie, tandis qu'elle tenait dans son poing gauche des pierres colorées, chacune pouvant neutraliser l'un des cinq sens. Même sourde, aveugle, paralysée et incapable de sentir, goûter ou toucher, Helsie Jarrow représentait un péril mortel, mais les armes ensorcelées de Marla auraient au moins le mérite d'équilibrer les forces.

Marla s'immobilisa sur le seuil. Les mains prises, il lui était impossible d'ouvrir la lourde double porte de bois entièrement gravée de glyphes d'apaisement et de confinement, et placer sa dague paralysante entre ses dents paraissait vivement déconseillé.

Fort heureusement, c'est à ce moment que Rondeau rattrapa Marla.

Il avait son couteau papillon en main, ce qui face à Elsie, était au moins aussi efficace qu'une serviette de bain mouillée, mais Marla apprécia l'effort consenti. Rondeau possédait bel et bien une arme magique : il savait proférer des malédictions, blasphémer dans une langue primitive antérieure à la chute de Babel, mais si de telles malédictions étaient hautement destructrices, leurs effets n'en demeuraient pas moins imprévisibles. Or Elsie Jarrow se nourrissait du chaos. Marla avait donc ordonné à son acolyte de tenir sa langue. Rondeau ouvrit la porte de sa main libre, et Marla s'engouffra par l'ouverture... manquant par là même de percuter le Dr Leda Husch dans le vestibule. Le beau visage au teint pâle du docteur était recouvert de suie. Elle serrait contre elle l'un de ses bras, qui devait être blessé, mais au moins était-elle là et en un seul morceau. Contrairement à ce qu'avait craint Marla, elle n'était pas réduite à quelques bouts de chair sanguinolents éparpillés sur le sol.

— Nous avons maîtrisé Jarrow, dit Husch.

Marla plissa des yeux, cherchant un signe révélateur de domination mentale. Husch dirigeait l'Institut depuis sa création, il y avait longtemps de cela, mais cela ne signifiait pas qu'elle était immunisée contre les pouvoirs de ses patients. Néanmoins, le regard de la directrice était lucide, et son visage ne trahissait aucun tic nerveux; elle était probablement elle-même.

— Tout va bien, ajouta-t-elle. Poe écrivait sur les deux.

Marla se détendit. Elle retira sa cape et la déposa sur son avant-bras. Mieux valait ne pas porter cette chose plus que nécessaire.

— Poe a fait quoi ? s'enquit alors Rondeau tout en refermant son couteau.

— C'est la réponse à une devinette dans Alice au Pays des Merveilles, répondit Marla. Quel est le point commun entre un corbeau et un bureau ?

— C'est aussi notre phrase secrète, compléta Husch. Grâce à elle, Marla sait que je suis bien moi et que je n'ai pas été possédée ou transformée en zombie. Jarrow est dans l'abri blindé sous la chaufferie. Les murs devraient tenir, mais ça m'arrangerait si tu pouvais rafraîchir les spirales de contention avant de partir.

Marla glissa les pierres incapacitantes dans sa poche. Elle jeta ensuite un coup d'œil à sa dague, qui crépitait toujours, puis la planta dans une pomme en cire placée dans une corbeille à fruits posée sur un guéridon. L'énergie ne pouvait être annulée, il fallait l'utiliser. La belle affaire si une pomme en cire était paralysée...

D'ailleurs, Marla lui rendait même service : dorénavant, la pomme ne fondrait jamais.