Extraits

Antoine s'installa dans son box de régulation insonorisé. Assis face à la fenêtre, il regardait, pensif, les buildings qui avaient poussé autour du vieux siège de l'ARS. Quand il était né, pas très loin d'ici, en 2017, la tour H99 n'était même pas encore en construction. Depuis, elle était perdue au milieu des autres gratte-ciel. Quelques employés finissaient d'installer les souffleurs d'air conditionné extérieurs. Comme la plupart des grandes villes, Marseille s'équipait désormais de ces climatiseurs géants dont l'efficacité restait discutée et dont les impacts sur la santé n'avaient pas encore été mesurés. Avec le réchauffement de la planète et des températures régulièrement au-dessus de 40 °C comme c'était le cas ce matin, des solutions techniques avaient été recherchées dès la fin du Flash. Paradoxalement, les températures désormais toujours hautes permettaient le fonctionnement des pompes à chaleur de dernière génération pour fabriquer proprement du froid. Antoine savait que pour l'été, Marseille rafraîchirait ses quartiers d'affaires, profitant de ce que les écologues appelaient le « dôme urbain ». Mais pour aujourd'hui, il savait surtout qu'il allait y avoir quelques crises cardiaques et autres défaillances liées à la chaleur, comme à chaque fois. Bon, cessons de rêvasser, il demanda à Hal de démarrer. La vitre se teinta, faisant disparaître le paysage, remplacé par un écran très sobre. Hal lui présenta Médi-Flux, l'intelligence artificielle qui allait effectuer la régulation et dont il devait contrôler le travail après la traditionnelle étape de paramétrages ergonomiques. Antoine sélectionna pour Médi-Flux une voix de femme, celle de Scarlett Johansson, une vieille actrice devenue l'icône plastique du monde nuagique, celui de la transparence numérique. « Qu'il y ait au moins quelque chose d'agréable à travailler avec cette machine », pensa Antoine.

« Viennent ensuite les unités de niveau intermédiaire, les U2. On en compte 86 en PACA, aussi bien centres de traitements que centres périnataux de proximité. Là, les thérapeutes doctorants sont des spécialistes. Chaque U1 est située à trente minutes de ces U2 où sont effectués les investigations et les traitements impossibles à mettre en œuvre en U1, ainsi que les interventions chirurgicales. C'est le généraliste de l'U1 qui propose l'envoi d'un patient au niveau U2, évidemment avec l'accord de ce dernier. Les unités de soins U2 ne sont pas spécialisées mais multisectorielles. Les équipements lourds y sont partagés. Cependant, pour les interventions complexes, elles restent accessibles en quelques dizaines de minutes et peuvent mobiliser en réseau les équipes et équipements sophistiqués nécessaires pour traiter les cas les plus difficiles. Les unités sont entourées d'hébergements non médicalisés, les hôtels sanitaires et médico-sociaux. L'amélioration des transports aériens personnalisés a évidemment permis ce qui était impossible jusqu'en 2028, à savoir le transfert très rapide d'une structure à l'autre. Le Flash a imposé cette réorganisation qui, depuis, a plus que fait ses preuves. »

Le Flash. Antoine venait d'en avoir un à force de fixer le visage de l'impassible narratrice. Il l'écouta désormais comme si elle ne s'adressait qu'à lui, une vraie sérénade administrative.

Une jeune femme aux cheveux courts, blond platine, portant un tailleur à la fois strict et cintré, était déjà en train de parler, sous la dictée de son AV, quand Antoine entra dans la salle impersonnelle, honteux de son léger retard. « Ça ne se fait pas », lui siffla Hal, lui-même artificiellement honteux, un mode de renforcement de la culpabilisation prévu par les programmeurs de ce modèle d'intelligence artificielle. La jeune femme blonde était une implantée. Elle n'avait pas d'oreillette, même discrète, et jeta un regard courroucé à Antoine, qui avait perturbé son intervention. Elle reprenait quand Gérard entra bruyamment, en pleine dispute avec son AV. Trois petites pulsations de colère lui furent envoyées sur sa montre connectée, ce qui figea Gérard sous le regard assassin de la blonde en tailleur. Il souffla, se tut, elle reprit.

La session « Travaillons ensemble » organisée ce matin avec le bailleur social de plus de 575 cités de la région PACA devait commencer dans quarante-neuf minutes ; elle regroupait les acteurs du sanitaire, du médico-social et du social. Une demande de collecte des données arriva au même moment vers Antoine en vue de développer une offre de prestations (individuelles ou collectives) en soutien au parcours de santé du patient. Antoine mit Hal dessus ; presque instantanément, l'AV arriva à la conclusion algorithmique que la priorité sur ces cités allait à trois maladies chroniques : obésité, diabète et dépression.

La chaleur arriva avec l'aube ; 40 °C, dès les premiers rayons du soleil, toujours plus écrasant à mesure que le matin avançait dans l'engourdissement de Marseille, embouteillée jusque sur les trottoirs où les overboards se pressaient, le long des langues d'ombres offertes par les auvents automatiques des grandes avenues. Le printemps 2040 fit ainsi son arrivée, plus irrespirable encore que les précédents ; chaque année battait un nouveau record de température depuis le Flash de 2028. Dans la fraîcheur climatisée de son véhicule, Antoine reçut son flux d'informations à traiter, en bon régulateur de santé qu'il était, du haut de ses 23 ans ; un thé glacé à la main, il écoutait patiemment son assistant virtuel lui lister d'une voix parfaitement humaine les situations de santé à aiguiller. Antoine était l'une des boussoles du système de santé. Installé dans une voiture autonome en route vers son espace de travail à l'agence régionale de la santé de PACA, à Marseille, il était déjà au travail.