Extraits

Désormais, lorsque ma sœur me téléphone, je ne m’attends à rien de pire qu’une invitation à déjeuner, alors j’appuyai sur « accepter l’appel » ce soir-là sans l’ombre d’un soupçon.

Ça montre bien que cette histoire d’avoir un don de clairvoyance, ce n’est vraiment pas ce qu’on croit.

— Salut, sœurette. Quoi de neuf ?

Les Arlo – pardon, les Fenchurch – avaient une maison qui semblait aussi chère que celle de ce bon vieil Alex, voire plus, mais la similarité s’arrêtait là. Loin d’être un monument classé avec davantage d’histoire que toutes les saisons de la série Vikings, cette propriété avait l’air d’avoir été construite la veille à partir d’un kit qui se composait uniquement de verre et de boîtes peintes en blanc. On pouvait voir à travers, ce qui, supposai-je, n’était pas un problème lorsqu’on avait du terrain et pas de voisins aux alentours.

Et à en juger par la quantité de verre, c’était probablement mieux ainsi.

Elle était située dans un creux, et je réalisai que même si vous coupiez les arbres, vous ne verriez probablement toujours rien de la route. Quelqu’un tenait à sa vie privée.

Elle ne me plaisait pas, mais bon, il n’y avait aucune chance pour que je me retrouve à vivre dans un endroit comme celui-là, alors pourquoi m’en inquiéter ?

J’appuyai sur la sonnette et piétinai sur place devant la porte d’entrée, mal à l’aise, alors que Madame Arlo traversait lentement la maison pour répondre, nous dévisageant l’un l’autre pendant tout ce temps. Ça devait être embêtant si vous vouliez faire semblant de ne pas être là quand quelqu’un venait.

Elle le dévisagea.

— Pourquoi quelqu’un voudrait tuer Tom ?

Au moins Vi ne fit pas de plaisanteries à ce sujet.

— Je ne sais pas. Peut-être pensent-ils qu’il sait quelque chose ? Ou… commença-t-elle avant de rougir. Peut-être pensent-ils vraiment qu’il peut lire dans les pensées et parler aux fantômes.

Super. Peut-être que je devrais passer une publicité dans le journal : « Tom Paretski et ses limites ».

À la manière dont elle avait dit « ma chère », on aurait cru qu’il s’agissait en réalité d’un mot de quatre lettres qui rimait avec « flûte ».

- Parce que ce que tu attendais de la rencontre avec ton véritable père est exactement ce que Leanne espérait après avoir perdu du poids.

- Quoi, plaire à plus d'hommes ?

Il rit en soufflant par le nez.

- Non, et tu le sais. Tu as cru que résoudre un problème allait bizarrement te donner la réponse à la vie, à l'univers et à tout le reste, bon sang.

- Nan, c'est quarante-deux. Tout le monde sait ça.

— Mais j’espère que vous êtes prêt pour votre démonstration.

— Euh… ma quoi ?

— Votre démonstration, articula-t-elle comme si elle me prenait pour un imbécile. Nous vous avons inscrit en tant que « clairvoyant », puisque vous ne m’avez pas donné de détails supplémentaires sur ce que vous pouviez faire.

J’entendis une pointe de désapprobation dans sa voix.

Mon estomac tomba dans mes talons. Mes intestins menaçaient aussi de se répandre.

— Attendez une minute. Vous avez prévu que je me produise en spectacle ? Comme si j’étais une sorte de Madame Irma bon marché ? Hors de question. Hors de question.

Je me demandai, après être rentré dans ma maison froide – bon, d’accord, ma maison chaude et confortable en compagnie des chats – s’il avait vraiment réfléchi avant de me demander en mariage. C’est vrai, quoi, on n’avait pas arrêté de date, et à en juger par plusieurs choses qui lui avaient échappé, je n’étais pas le seul à supposer qu’il allait emménager chez moi tôt ou tard, et dans tous les cas après le mariage. Que ferait-il alors lorsqu’il voudrait se la jouer Greta Garbo10 pour bouder dans son coin ?

Je ris lorsqu’une pensée me traversa l’esprit. Je pouvais toujours lui construire un abri au fond du jardin.

Il s’avéra que je n’avais rien de fracturé, ni même de l’eau dans le larynx, mais les docteurs insistèrent pour que je passe tout de même la nuit à l’hôpital. Après les histoires glauques de violence conjugale de Phil, je n’allais pas m’y opposer. Honnêtement, au point où j’en étais, tout ce que je voulais, c’était trouver le lit le plus proche, m’y glisser et dormir pendant une semaine.

Bien entendu, avant de pouvoir poser ma tête sur l’oreiller, je dus répondre aux questions de la police.

Je me tournai et adressai un faible sourire au cher petit ange alors que mon cœur reprenait un rythme régulier. Au moins je ne m’étais pas tenu au même endroit que Madame F-M. Quinze centimètres plus près de la porte et il ne serait resté d’elle qu’une vilaine tache au mur.

— Le plombier ? dis-je, ma voix se brisant légèrement. Je pensais que vous aviez une fuite dans vos canalisations.

Elle était grande : comme sa belle-mère, elle faisait à peu près ma taille, mais contrairement à Madame F-M, elle était bien en chair. Elle avait le même goût pour les vêtements près du corps et sur mesure, mais ce qui donnait à Madame F-M une apparence cool et professionnelle semblait osé sur elle. Peut-être parce que, tout comme les vêtements sur le lit, son chemisier et sa jupe étaient d’une couleur beaucoup plus vive. Le mot « discret » ne faisait définitivement pas partie de son vocabulaire, et les pastels étaient probablement pour les fillettes. Elle semblait être le genre de fille qui aimait boire un verre et rigoler, et aller manger un kebab et une portion de frites en fin de soirée.

Ce détail me fit me poser des questions, parce qu’il ne s’agissait clairement pas de la chambre de Madame F-M. Malgré le lit à deux places, j’étais relativement sûr qu’il s’agissait de la chambre d’une femme célibataire, et il y avait plusieurs preuves indiquant qu’elle portait des vêtements deux ou trois tailles plus larges que Madame F-M. Franchement, on aurait dit une explosion de chez TK-Maxx3. Des sacs à main et des chaussures de designer jonchaient le sol et les meubles, et il y avait une pile de fringues sur le lit qui aurait pu fournir un Emmaüs pendant un mois.