Extraits

Mon regard ne quitte pas ce tapis qui tourne en rond. Je le scrute comme si par magie il pouvait faire réapparaître ma valise. Mais rien n’y fait. Apparemment, moi je suis arrivée entière à Rome, mais ce n’est pas le cas de mon bagage. Peut-être qu’il est en route pour Singapour lui, ou encore Dubaï, qui sait. J’avais entendu l’autre jour à la radio qu’il y avait peu de bagages égarés au regard du nombre de passagers empruntant les airs chaque jour. Qu’il y en ait peu on s’en fiche carrément lorsque, justement, le peu tombe sur vous.

Qu’est-ce qu’on dit déjà ? Ah oui, que toutes les bonnes choses ont une fin. N’importe quoi vraiment ! Pourquoi les bonnes choses doivent-elles s’arrêter ? Je jure, moi, que je continuerais à les apprécier si elles duraient.

Mon reflet devient tout à coup insoutenable, je m’en détourne pour aller m’allonger sur le lit.

Alors que j’ai le dos tourné, je ne vois pas l’image qui persiste dans le miroir, ni la larme qui coule sur son visage. Une larme de tristesse. Un regard de colère. L’apparence de la haine qui se dessine.

Je lâche mes jambes pour pouvoir de nouveau passer les mains dans mes cheveux, j’en attrape une poignée, je tire dessus comme si cela pouvait les rallonger. Jusqu’à en avoir mal. Puis je m’allonge par terre et me roule en boule. J’attrape un coussin à proximité et enfouis ma tête dedans. Je suis surprise par le premier cri qui vient du fond de mon ventre. Un cri animal, semblable à celui d’une bête blessée. Je ne retiens pas le second, ni le troisième. Je crie, je hurle. Les sons étouffés par le coussin déchirent malgré tout le silence de la chambre.

Dans ma chambre, devant le miroir, je ne me reconnais pas. C’est comme s’il s’agissait d’une autre fille. Je me mets de profil pour contempler les dégâts. Ma mère a raison, ça n’est pas droit. J’attrape ma brosse et la passe dans mes cheveux. Bien trop vite elle en arrive au bout et se retrouve suspendue dans le vide sans rien à coiffer.

D’un mouvement je la défais du cintre et je l’enfile. Je me tourne vers le miroir. Mes jambes sont engoncées dans le tissu. Mes fesses rebondies font remonter l’arrière de la robe. Mon ventre lui, n’étant maintenu par rien, s’en donne à cœur joie pour prendre une bonne place. Sans entraves, ni élastique, la belle vie pour l’adipocyte.

Sur le chemin du retour vers la maison, j’essaie de comprendre ce qu’ils ont tous. Et c’est plus fort que moi, je pleure. Je pleure ma solitude, je pleure l’absence de Camille en cet instant, je pleure mon mal de peau. Je pleure mon envie d’ailleurs et de lendemains sans souffrance.

Et là je l’entends de nouveau « Sac à gras », une fois, deux fois. Sac à gras, Sac à gras, Sac à gras. Les mots sont martelés, tous ils le scandent. Ils tapent des poings sur leurs bureaux pour accompagner leur slogan. Sac à gras, Sac à gras. J’ai la tête qui tourne. J’ai chaud. Sac à gras, Sac à gras. J’ai envie de vomir.

Sac à gras, Sac à gras, Sac à gras…

Je sens mes jambes qui commencent à se dérober.

C’est quelque chose que j’ai toujours su, mieux vaut être du bon côté de la merde, histoire d’en éviter l’odeur.

Pourquoi tout devient si compliqué quand on grandit ?

Lorsque j’étais petite, et qu’on partait en camping, il ne me fallait pas plus de cinq minutes pour me faire des copines. Je montais sur mon vélo, pédalais quelques minutes dans les allées et finissais toujours par tomber sur une autre petite fille. On échangeait nos prénoms et c’était parti. On devenait inséparables et les meilleures amies du monde en moins d’un après-midi.

Pourquoi est-ce qu’on perd cette sociabilité ? Aujourd’hui, je me sentirais complètement idiote de m’approcher d’un groupe et de mêler à la discussion. Si j’étais dans un groupe, je trouverais totalement sans gêne la fille qui viendrait s’incruster.