Extraits

"-Laissez tomber cette politesse de salon, coupa-t-il sèchement. Vous en avez bavé, pas vrai ?

Des yeux bleus, bordés d'une épaisse frange de cils, la jaugeaient posément. Elle acquiesça.

-En effet, murmura-t-elle.

Et c'était peu dire. Jamais elle n'aurait été capable d'imaginer une aventure aussi atroce - et pourtant, elle avait une imagination particulièrement débridée.

Mais elle avait survécu. C'était tout ce qui comptait.

-Inutile de vous montrer si cérémonieuse avec moi, renchérit-il.

Il posa la bouteille d'eau sur la table de nuit, près d'elle.

-Pas besoin non plus de vous forcer à faire bonne figure. Vous êtes une toute petite femme… Vous ne pesez certainement pas bien lourd.

Elle pesait normalement autour de cinquante-sept kilos, mais elle avait maigri, en effet. Ça se voyait donc à ce point là ?

-De plus, vous êtes blessée, poursuivit Dare. Affamée, fatiguée, déshydratée. Et vraiment très sale.

Le visage de Molly se ferma. Elle se sentait de nouveau sottement au bord des larmes.

-Où voulez-vous en venir ? demanda-t-elle.

-Je veux simplement vous dire que vous avez le droit de craquer. Je ne vous jugerai pas et ça restera entre nous.

En somme, il l'autorisait à baisser sa garde. Quelle délicatesse…

-Non, merci, trancha-t-elle.

Elle n'avait pas supporté l'enfer pour s'effondrer maintenant qu'elle en était sortie.

-Ça va aller.

"Elle n'était pas désespérée. Elle était forte. Et fière. Et ça aussi, ça le rendait fou. Jamais il n'aurait cru rencontrer une version féminine de lui-même. Molly en était une."

1

Dare vérifia sa montre à l’instant précis où les aiguilles indiquaient minuit. Quelques voitures circulaient encore sur le front de mer, créant un paisible bruit de fond qui se mêlait au bruit des vagues. De temps en temps, un Klaxon hurlait, des pneus crissaient. Deux clients sortirent d’un bar tout proche en riant fort, avant de s’entasser dans un gros quatre-quatre qui s’éloigna en zigzaguant sur la route.

Sur ce parking mal éclairé, envahi par les mauvaises herbes, nul ne pouvait voir les trois silhouettes qui se tenaient dans l’ombre, près du mur d’un motel décrépit, sous une lampe de sécurité qui ne fonctionnait plus.

Une lampe que Dare Macintosh venait de mettre hors service.

Les brises de l’océan agitaient l’air et aiguisaient ses sens.

Tout en surveillant le parking et en jetant par intermittence des regards du côté de la camionnette noire qu’il avait louée en arrivant à San Diego, Dare assistait aux retrouvailles

émues de Trace Rivers et d’Alani, sa sœur, qu’il serrait convulsivement contre lui.

Durant les dernières quarante-huit heures, Dare et Trace avaient peu dormi et à peine mangé. Dare, surtout, qui avait ramené Alani de la ville de Tijuana, au Mexique, où

on la séquestrait. Il avait marché à l’adrénaline, condition nécessaire pour mener sa mission à bien.

Maintenant que l’excitation était retombée, il s’apercevait qu’il était épuisé… et affamé.

"-Je ne vais pas lâcher maintenant, compris ? fit-elle sèchement.

Elle prit la bouteille pour boire lentement, en respirant entre chaque gorgée, et la reposa sur la table de nuit, à laquelle elle dut s'agripper pour ne pas tomber, car ses genoux s'étaient mis à trembler.

-J'ai tenu le coup pendant neuf jours, fit-elle d'une voix rauque. Ce n'était ni pour vous, ni pour personne d'autre. Ces salauds ne m'ont pas brisée, un point c'est tout."

Il décida de tenter de la réveiller, pour la faire boire et manger si elle en était capable. Ensuite, il verrait bien…

Il s’approcha du véhicule. Une main sur la portière, l’autre sur la carrosserie, il jeta un regard à l’intérieur. Ah ! Elle était réveillée. Ses grands yeux tuméfiés lui mangeaient le visage.

Il se pencha un peu plus, pour lui parler. Il ne vit son pied qu’un dixième de seconde avant qu’il ne s’écrase sur son visage.

Il fit un bond en arrière.

– Putain de m…

L’attaque l’avait pris par surprise. Merde, ça faisait mal. Son nez pissait le sang.

Maintenant qu’elle se sentait en sécurité dans cette petite chambre de motel, Molly tentait de sérier ses priorités. Pour ne pas s’évanouir, il était urgent qu’elle mange. Il fallait aussi qu’elle dorme, qu’elle pense à se laver, à se procurer des vêtements.

Elle baissa les yeux et frissonna de dégoût. La douche venait en premier. Pas de doute. Pas question de passer une nuit de plus dans cet état, ni de manger avec des mains aussi dégoûtantes.

Elle fit un effort surhumain pour rassembler ses forces et se tourna vers Dare pour l’observer. Bon sang, ce qu’il était grand ! Et pas très aimable, avec ça. Elle l’avait vu torse nu tout à l’heure, quand il avait ôté sa chemise, et elle avait remarqué plusieurs cicatrices sur sa cage thoracique et ses épaules, certaines causées par des coups de couteaux, d’autres par des balles. Impressionnant et inquiétant… Même assis et immobile, comme il l’était en ce moment, il demeurait imposant.

Pourtant, elle n’avait pas peur de lui. Cet homme-là n’était pas un criminel. Il l’avait sauvée, elle ne l’oubliait pas. Et maintenant, il s’occupait d’elle. Restait à savoir pourquoi, tout de même.