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D'aucuns auraient dit qu'il avait choisi le jour idéal pour se suicider.
En ce dimanche après-midi, la vie ne valait guère d'être vécue. L'atmosphère, poisseuse et brûlante, aspirait littéralement l'énergie de tout ce qui relevait du royaume des vivants, végétal ou animal.
Les nuages s'évaporaient sous un soleil féroce. Sortir par une pareille chaleur revenait à pénétrer dans une fournaise comparable à celle de la fonderie des Hoyle. Au Bayou Bosquet, ainsi nommé à cause de l'îlot couvert de cyprès fiché au milieu des eaux paresseuses de la rivière, un alligator empaillé long de deux mètres se prélassait au soleil devant le cabanon de pêche familial. Le ciel incandescent se reflétait dans ses yeux de verre. Quant au drapeau de la Louisiane, il donnait l'impression d'être en berne sur son mât.
Les cigales avaient renoncé à leur chant lancinant, même si, de temps à autre, un insecte industrieux tentait, sans trop insister, de troubler la somnolence des lieux. Les poissons se terraient dans les fonds troubles de la rivière, loin sous la surface recouverte d'une nappe de lentilles d'eau d'un vert opaque ; pour tout signe de vie, leurs branchies s'ouvraient et se refermaient à intervalles réguliers. Un mocassin d'eau gisait sur la berge, menaçant, mais immobile.
Le marais constituait un refuge naturel pour les oiseaux, mais en ce jour, tout ce qui portait plume semblait être resté au nid à somnoler. Seul un faucon s'était décidé à affronter la canicule.
Perché au sommet d'un arbre foudroyé quelques décennies plus tôt, les branches glabres et blanches comme des os, le rapace surveillait la cabane de bois. Peut-être épiait-il le mulot qui zigzaguait entre les piliers du ponton. Plus vraisemblablement, son instinct d'animal l'avait averti d'un péril imminent.
Curieusement, le bruit de la détonation n'eut rien d'assourdissant : l'air, aussi épais qu'un oreiller en duvet d'oie, avait amorti les ondes sonores. C'est tout juste si le marais esquissa une réaction. Le drapeau resta en berne sur son mât. L'alligator empaillé ne cilla pas. Le mocassin d'eau glissa sans la moindre appréhension dans le bayou avec un léger floc, chagriné d'avoir été dérangé pendant sa sieste dominicale.
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