Extraits

L’Irma, c’était une solide. Mais y a pas de solide qui tienne. On est tous pour y passer. Seulement, quarante-huit ans c’est un peu jeune.

Les grosses lèvres de la fille disparaissent presque totalement un instant, puis se gonflent pour s’ouvrir sur des mots qu’elle lance comme on laisse tomber une pierre dans un lavoir.

Mieux vaut qu’elle soit partie avant de voir ça. Seulement moi, je reste avec la merde sur le dos. C’est pas toujours les vivants qui tiennent le meilleur bout, dans ce putain de monde !

Le char lourdement chargé quitte le chemin boueux aux ornières profondes pour s’engager sur l’empierrement grossier qui conduit en pente douce jusqu’à la cour de la ferme. Ambroise Reverchon tire légèrement sur la bride et Nestor creuse les reins. Sa croupe se gonfle, occupant à pleine largeur la limonière. Au bruit des grelots et des bandages ferrés dans la caillasse, la porte s’ouvre. La silhouette d’Emilienne se découpe sur la lueur du foyer situé au fond de la pièce, dans l’axe de l’entrée.

- C’est vous, père ?

- Ouvre la grange !

La lune à son premier quartier se trouve à deux mains au-dessus de la toiture dont les tavaillons réguliers luisent comme des écailles de poisson. L’ombre portée de la bâtisse trapue s’allonge jusqu’à mi-pente. Les deux battants du large portail sont à peine ouverts que le char atteint déjà le replat. La clarté de sa lanterne éclaire au passage le visage et les cheveux blonds d’Emilienne.

A peine essoufflé, Ambroise lance :

- Tu devais bien penser que c’était pas le pape. T’as pas reconnu les sonnailles ?

- D’habitude le chien vient longtemps avant. Où il est ?

L’homme sime un coup bref. Un gros chien sombre qui était resté en retrait vient se coller contre sa jambe.

- Couché, Rognard ! T’approche pas, l’est pas commode. Faut qu’il te connaisse.

- Qu’est-ce que c’est ? Où est notre Finaud ?

- Mort. C’est celui-là qui l’a tué. Mais il avait cherché. Je te raconterai... Eclaire-moi.