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La pièce est sombre. Sur le sol en terre battue, Baudry Mortesagne s’approche, attrape l’enfant et le dresse à la lumière de la seule fenêtre de la ferme, à côté de l’étable. Presque au milieu des bêtes, un bébé pousse son premier cri. Le bambin est potelé. Plus de dix livres. Le père Mortesagne le saisit et l’observe sous toutes les coutures ; la tête, les mains, le sexe, les jambes. Il le repose, satisfait, sur le ventre d’Émilande, sa femme, et retourne s’asseoir sur le bahut, entre la table et le lit de paille. Baudry réfléchit tout en tournant sa badine de chêne entre ses doigts.
– T’as vu sa tête ? Lui, c’est un petit mauro !
– Un quoi ? demande Émilande, fatiguée.
– Un petit Maure, il est tout mat.
– Bah, comme toi...
Afficher en entier– Vous savez, avec lui, c’est comme chez vous, hein !
– C’est-à-dire ?
– C’est divin !
Elle éclate d’un rire sonore et joyeux.
– Allez, m’sieur le curé, c’est pour plaisanter ! Vous n’êtes pas fâché, hein ?
Afficher en entierDans les campagnes, la nature rythme les saisons, en Dordogne comme ailleurs. Cette année, pourtant, le temps des vendanges est plus précoce que les années précédentes. L’abbé Noyès sait qu’il s’agit du moment idéal pour revoir Mauro. Il a décidé de s’inviter une fois de plus à l’une de ces fêtes que le vicomte doit organiser pour célébrer les grands rendez-vous de la terre. Il observe, passe entre les bancs et les tréteaux. Tout ce petit monde est ravi. Les réjouissances battent leur plein. Les enfants s’amusent à aplatir des bottes de foin pieds nus, la bouche pleine de grains de raisin gorgés de sucre. À l’entrée des champs, les traîneaux de bois attendent encore. Chacun viendra récupérer son matériel dans les prochains jours. De son côté, le vicomte est satisfait, les récoltes sont excellentes, la qualité et la quantité au rendez-vous. Il est fier d’offrir une telle fête à ses invités. Cela marque un peu plus sa mainmise sur son territoire.
Afficher en entierL’auberge de la mère Thomas n’a rien de luxueux : une vieille grange à étage, aménagée par son mari, mort du typhus, au retour de la guerre. Sans vraiment y réfléchir, elle a pris la suite de son mari. À part quelques menus travaux, rien n’a changé depuis cette époque. C’est même pour cette assurance d’y trouver toujours la même ambiance, les mêmes clients, que toute la vicomté ou presque vient chaque dimanche que Dieu fait boire un verre autour des tonneaux transformés en tables. Parfois, on hausse le ton sous les poutres et l’escalier, certains poussent la chansonnette, d’autres montent à l’étage pour des conversations en tête à tête. Pas mal d’amours clandestines viennent s’y épanouir. La mère Thomas pourrait se vanter d’être la marraine de bon nombre d’enfants de la vicomté, mais elle se fait discrète sur le sujet.
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