Extraits

— J’en sais trop rien. Il y a une fille… une femme m’a tapé dans l’oeil, mais je crois qu’elle me trouve aussi attirant qu’une intoxication fongique.

Il insistait sans arrêt sur son sérieux, ses nouvelles résolutions. « Il est tellement stable, tellement solide, maintenant , répétait-il, comme si Bryan était une table à manger. Il est digne de confiance. »

Oui. Je le toucherais bientôt. Mais je n’avais pas le droit de penser à Bryan comme je pensais à mon Bryan, l’objet de mes fantasmes nocturnes, le propriétaire du pénis enchanté et un homme que j’appréciais vraiment beaucoup.

Non.

Pas question.

Je devais le regarder comme Bryan Leech, arrière de l’équipe, trente ans, déchirement du ménisque compliqué par une tendinite, sans arthroscopie, démarche neutre.

Je l’observai avec curiosité.

— Tu veux dire que tu m’approuves, Cassidy ?

Il souffla, le visage toujours grave.

— Je dis que je reconnais le regard que tu as lorsque tu es avec Eilish. J’aime à penser que je regarde Lucy avec ces yeux-là, moi aussi. Pleins d’adoration et d’admiration. Et tant que tu la regarderas comme ça, tout ira bien entre nous. Je vais être franc : tu as bien besoin d’un peu de bonheur, toi aussi. Tu es aussi amer que les vieux pruneaux que tu gardes dans ton frigo, ces temps-ci, et je ne pense pas que ce soit le manque d’alcool qui t’ait prématurément transformé en vieux papi triste à mourir. Alors oui, j’approuve de tout mon coeur. Mieux, je t’encourage à la séduire encore une fois.

Je m’étranglai et bégayai :

— Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?

— J’ai dit, séduis-la. Et ne perds pas de temps. Ses sentiments pour toi feraient pâlir Perrie Edwards et Zayn Malik, même si elle ne les assume pas du tout.

Je le fixai en silence pendant quelques secondes, perplexe.

— Qui ?

Il eut un bref geste d’impuissance.

— Tu vois, c’est déjà la moitié du problème. J’aurais dû te comparer à Jenn et Brad, j’imagine ? Tu es complètement dépassé, Bryan. Est-ce que tu te rappelles comment plaire à une femme, au moins ?

— Bien sûr que je m’en souviens.

Il souleva lentement un sourcil.

— J’en suis parfaitement capable, insistai-je.

Le sourcil continuait son ascension.

— Hé !

— J’essaie juste de t’aider. Lis peut-être des articles sexo, ou va regarder une ou deux vidéos, d’accord ? Assure-toi que tu n’es pas trop rouillé et fais le nécessaire pour qu’elle y prenne du plaisir.

Maintenant, j’étais carrément vexé.

— Sérieux, va te faire foutre, Sean. Bien sûr qu’elle y prendra du plaisir. Elle appréciera tellement qu’elle me suppliera de…

— Hé.

Mon coéquipier avait plissé les yeux et me pointait d’un index menaçant.

— Je n’ai ni besoin, ni envie de connaître les détails. Je te dis juste de prendre soin d’elle. Elle donne et donne et donne. Il est temps pour elle de recevoir un peu. Je veux qu’elle soit heureuse et qu’elle se sente en sécurité. Et ne sois pas égoïste.

— Je ne serai pas égoïste.

Je secouai la tête pour souligner ma promesse, le regard fixé sur Sean.

Le regard fixé sur lui, parce que…

Est-ce qu’il vient vraiment de me dire de séduire sa cousine ?

Non. Il venait de me l’ordonner. Et ensuite, il m’avait encouragé à la faire jouir.

Bah, putain.

Je n’arrivais pas à y croire.

La vie était vraiment pleine de surprises.

Ma cervelle était complètement vide, et j’essayai de déglutir. J’aurais aimé me faire croire que ses yeux vert jade, plantés dans les miens, francs et interrogateurs, comme un faisceau de suspicion, m’avaient rendue muette.

Mais non.

Ce n’était pas à cause de ses yeux.

C’était sa proximité. Et l’odeur de son savon. Et le tatouage tribal sexy qui couvrait son bras et son épaule. Et la serviette mise à mal, à peine maintenue sur ses hanches, si précaire qu’une petite brise aurait pu l’emporter et le laisser complètement nu.

POURQUOI OH POURQUOI EST-ELLE SI MINUSCULE, CETTE SERVIETTE ?

Oh non, mes pensées passaient aux capitales.

C’EST LA PANIQUE !

— Amusez-vous bien, s’exclama mon cousin en me tendant ma veste.

Son visage n’affichait pas le moindre scrupule lorsque je le foudroyai du regard ; il se contenta d’ajouter à l’intention de William :

— Mais pas trop quand même.

— C’était si horrible ? Avec ma mère ?

— Oui.

Sa réponse lui avait échappé instantanément, pleine d’humour.

— Elle gaspille ses talents avec les sang-bleu. Elle devrait interroger des suspects de terrorisme.

— Eilish, je vais t’inviter au restaurant. C’est décidé, insistai-je. Demande à Sean de faire le baby-sitter.

Elle rit.

— Il n’aime pas le titre de « baby-sitter ». Il préfère « consultant en haute couture enfantine. »

Je poussai un soupir en souriant.

— Évidemment.

— Leech, on se calme. Tu ne voudrais pas défoncer la belle gueule de Cassidy. Il en a besoin pour les doubles-pages de publicité qu’il enchaîne, s’exclama Coach Brian depuis la ligne de touche.

Quelques-uns des joueurs rirent.

— Ouais, lâche-moi un peu, acquiesça Sean, le souffle court. Men’s Health ne voudra pas de mes photos le mois prochain, sinon.

— T’inquiète, sifflai-je avec un regard mauvais. Tu auras le temps de cicatriser, en un mois.

Et avec ça, je le projetai sur le sol. Il se débattit sous moi, et, sans arrêter de lui balancer des coups, j’ignorai les appels de Coach Brian. Rien à battre. Sean représentait le mur qui me séparait d’Eilish, et c’était à cause de lui que je n’avais pas pu m’expliquer. Il avait de la chance que je n’aie pas tailladé ses pneus ou remplacé ses petits produits de beauté par de la crème pour les pieds. Ou pire, par les équivalents démarqués en grande surface.

— Parle-moi. Donne-moi dix minutes.

Elle se tourna vers moi, une galaxie d’émotions dans les yeux.

— Il n’y a rien…

— S’il te plaît, insistai-je d’un ton presque suppliant.

Les portes de l’ascenseur coulissèrent et elle entra à l’intérieur. Je la suivis, mais Sean resta sur le palier.

— Je crois que j’ai besoin d’aller aux toilettes. Je te retrouve à l’entrée, Eilish, déclara-t-il alors que les portes se refermaient.

— Sean ! cria-t-elle, mais il était déjà parti.

Si les regards pouvaient tuer, Cassidy serait tombé raide. Les yeux d’Eilish promettaient d’atroces souffrances à venir. Moi, en revanche, j’aurais pu l’embrasser, son putain de cousin. Avec la langue.