Monsieur Queen

Avant de le laisser se reprendre de sa surprise suite à son interrogation, il lui indiqua des traits de crayon.

- J'ai eu du mal à retranscrire la courbe sensuelle de vos lèvres, mais j'y suis bien arrivé, je trouve... Vous êtes pas d'accord ?

Christopher était figé, les lèvres entrouvertes de stupeur. Damon Ryan ne l'écoutait pas, se moquait éperdument de ses remontrances ou accusations. Rien n'y faisait, Christopher ne parvenait pas à prendre le dessus sur lui, d'aucune façon. Damon lui prit alors le dessin des mains, le posa sur la table et s'approcha de lui en plongeant une fois de plus son regard dans le sien. Christopher ne bougeait plus, percevait cet état de tension s'emparer de lui, le paralyser. Il n'oserait pas. Son élève n'aurait pas le cran de s'approcher pour l'embrasser ! Le cœur battant, Damon ne quittait plus son professeur des yeux. Leur proximité lui permettait maintenant de respirer ses parfums qu'il n'avait pu apprécier à leur juste valeur. Ils étaient parfois portés par les mouvements de l'air en classe. Brèves, diluées, ses fragrances n'avaient envahi ses narines que trop peu jusqu'alors. Désormais, il pouvait les sentir l'étourdir et s'accorder parfaitement à la beauté de cet homme si près de lui. Il le défiait. Il en était conscient. Sa vie avait toujours fonctionné ainsi. Sa nature profonde l'incitait à repousser toutes les limites et même celles des autres. Mais personne ne l'avait à ce point inspiré, animé. Christopher Queen éveillait ses sens, les développait. À aucun moment, celui-ci ne se recula. Malgré ses dernières remarques, son recul incessant, cette fois, il ne bougeait plus. Cet instant de silence répondit à ses doutes s'il y en avait encore... Damon reconnaissait le poids d'un désir réciproque dans les yeux bruns de son professeur. Ces secondes suspendues, valaient plus qu'un baiser volé, que l'objectif lui-même. Parce qu'elles étaient nécessaires, significatives et plus troublantes encore pour Christopher Queen. Celui-ci sentait-il la force de leur attirance ? Un homme comme lui ne saurait nier l'intensité flagrante qui se dégageait de ce petit tête-à-tête.

- Je vous fais de l'effet, murmura Damon sans briser ce moment.

Sa main s'approcha de la sienne et ses doigts glissèrent sur sa peau. Il le sentit tressaillir sur ce contact infime.

— Dites-moi que vous n'aimez pas sentir à quel point je vous veux, ajouta-t-il sur le même ton.

Christopher était paralysé, redoutait de comprendre le sens de ses propres réactions physiques. Ce seul contact l'avait fait trembler et son cœur s'était mis à battre à tout rompre dans sa poitrine. Était-ce de la colère, de la peur, de l'angoisse ? De l'affolement mêlé d'un trac inhabituel ? Christopher en perdait le cours régulier de son souffle, de ses pensées, de ses réflexions. Damon Ryan le perdait complètement autant qu'il demeurait là, debout, son visage insolent à quelques centimètres du sien. Jamais personne ne l'avait provoqué de la sorte, mais son élève lui faisait perdre ses moyens et Christopher ne l'expliquait pas. Il devait répondre, mais n'était pas habitué à pareille remarque si directe et franche.

- Vous jouez avec le feu, Damon, dit Christopher d'une voix qui trahit ses émotions.

Mais Damon ne craignait rien. Cet instant expliquait tout, dévoilait ce que Christopher Queen s'évertuait à lui cacher, à repousser. Qu'avait-il à perdre ? Sa place au lycée ? Ses notes déjà désastreuses ? La vie était faite de choix, de décisions qu'on assumait ou non. Certes, il n'avait pas toujours pris la bonne voie, s'était abandonné à des plaisirs interdits, des tentations illégales, des excès d'émotions en tout genre. Mais où était-il à présent ? La même vie lui offrait l'occasion de rencontrer un homme des plus attirants, certainement le plus séduisant de tous ceux qu'il avait rencontrés. Alors pourquoi ne pas franchir les limites ? Sa main s'éloigna de la sienne et remonta vers sa joue. Ses doigts glissèrent sur sa peau, longèrent la ligne de sa mâchoire. Il frissonna sur ce doux contact, la perception de la soie sous sa paume.

— Éteignez-le ou...

Damon laissa sa phrase en suspens après avoir murmuré ces trois mots. Ainsi il permettait à son professeur de faire ses choix, de prendre ses décisions. Parce qu'il ne voulait ni le contraindre ni le posséder par la force. Christopher ne le quittait pas des yeux. Devait-il succomber, oublier l'interdit, outrepasser ses limites ? Ce contact moins chaste, plus direct sur sa peau venait de le faire réagir, de réveiller un corps que personne n'avait plus touché depuis son divorce avec sa femme. Et personne ne l'avait jamais contemplé avec cette étincelle qu'il captait dans le regard de Damon depuis des jours. Christopher y voyait son désir, son impétuosité, sa force calme mêlée d'assurance. Il sentit le pouce de Damon venir effleurer ses lèvres, s'octroyer un droit qu'il ne lui avait pas donné verbalement. Mais Christopher savait aussi que son regard le trahissait autant qu'il ne reculait pas face à une distance quasi inexistante entre lui et son élève. Il sentit alors ses lèvres se poser sur sa joue et son cœur s'emballa dans de violents rebonds sur cet assaut plus direct. Inconsciemment, sa main venait de se poser sur le rebord de la table, sa respiration s'était coupé un bref instant tandis qu'il percevait les lèvres de son élève glisser lentement jusqu'à son cou. Damon Ryan le torturait, se jouait de ses faiblesses et de cette maudite attirance qu'il avait réussi à faire naître malgré lui.

- Damon... Non, dit-il d'une voix chaude.

Damon n'était plus sûr de pouvoir s'arrêter, encore moins de le vouloir. Ce "non" signifiait tant de "oui" dans sa voix. Une voix qui le faisait vibrer de l'intérieur, qu'il reconnaîtrait entre mille, qui le rendait plus sensible encore aux charmes de son professeur. Pour Damon, les bruits, les sons avaient une importance presque capitale. Et l'intonation des mots de Christopher l'étourdissait autant que ses parfums au creux de son cou. Ses lèvres se laissaient posséder par la douceur de sa peau. Pourquoi Christopher ne le repoussait-il pas ? Simplement, parce que son corps ne le voulait pas, songeait Damon. Il apprendrait à son professeur combien il était impossible de refouler un désir profond. Il testait le sien, le titillait, curieux d'en connaître la puissance. Si les regards de Christopher ne l'avaient pas trompé, alors celui-ci finirait par succomber, réclamer davantage. Sa main libre glissa sur son flanc, trembla de sentir la courbe de son corps sous sa chemise. Aussi attiré que son propriétaire, elle s'égara dans son dos, partit au creux de ses reins.

- Je ne fais rien, susurra-t-il près de son oreille.

Qu'en serait-il quand il ferait quelque chose, songea alors Christopher dans une pensée qu'il refoula. Le corps de son élève contre le sien, il n'osait plus bouger de peur de faire un faux pas, de révéler ses propres émotions. Mais n'était-il pas déjà en train de se trahir en le laissant poser ses mains sur lui ? Ne pas repousser Damon Ryan dans ses assauts signifiait y consentir, approuver en silence ses approches et ses baisers au creux de son cou. Alors Christopher redressa à peine son visage et celui de Damon se retrouva face au sien, ses prunelles noisette se rivant dans ses yeux. Christopher pouvait sentir son souffle chaud, percevoir son haleine sucrée. Tout semblait à la limite, les émotions décuplées par les interdits que son élève représentait. Mais à ce petit jeu de dualité, Christopher avait déjà perdu face aux traits ténébreux du jeune homme. Il sentit ses lèvres effleurer les siennes et ses paupières se baissèrent, comme pour rendre les armes face à des émotions trop fortes et dévastatrices. Au départ léger et presque imperceptible, le baiser devint plus profond, plus appuyé.