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Pendant quatre-vingts ans, Calum avait survécu à toutes les calamités qui s'étaient abattues sur le pays. Il avait atteint un âge prodigieux, sachant qu'il avait dû se battre contre toutes sortes de malfaisants : des brigands, des monstres, des bêtes sauvages et des sorciers. Mais il n'avait pu se soustraire aux affres de la vieillesse.
Depuis plusieurs mois, il ne parvenait plus à s'asseoir à sa table de travail. Le mal qui le dévorait vivant était si douloureux que le moindre mouvement devenait une torture. Lui qui avait été grand et robuste, se réduisait à présent à un sac d'os informe. Ne se reconnaissant pas dans la fragile créature que lui renvoyait le miroir, Calum l'avait fait retirer de sa chambre. Même s'il se sentait jeune et fort, il savait que les glaces ne mentaient pas. Son corps perclus de douleur se chargeait de le lui rappeler.
Ses meilleurs amis venaient souvent lui rendre visite. Il s'était donc arrangé pour rester allongé sur le côté, de façon à leur faire face sans avoir à bouger. Sa gouvernante lui était d'une aide précieuse. Il lui laisserait sa maison et l'argent qu'il possédait. Après vingt années de bons et loyaux services, elle méritait davantage, mais c'est tout ce qu'il avait. Combattre le Mal n'était pas une activité très lucrative.
Afficher en entierLe crâne qui reposait sur le secrétaire luisait à la lumière du jour. Il était aussi lisse qu'une statue de bronze. Au premier abord, on aurait dit un crâne humain. En l'examinant de plus près, on remarquait des cavités oculaires presque aussi larges que celles d'un oiseau de proie. La forte dentition jaunie, aux bords acérés, comportait sur le devant des crocs propres à déchiqueter la chair.
Calum Maîtrechant se remémora la créature à qui avait appartenu ce crâne. Un être qui tenait du loup et du faucon..., avec quelques restes d'humanité. Cet homme avait été un ami et un compagnon durant son combat contre le Mal. Dans une ultime lueur de lucidité, il avait supplié Calum de le tuer. Gordin Smey avait été un homme de valeur et un bon père de famille. Il avait vaincu beaucoup de monstres avant d'en devenir un à son tour.
Pour ne jamais oublier que le pays de Kartakass pouvait corrompre le meilleur des hommes, Calum avait gardé son crâne en souvenir.
Cloué sous les replis moelleux des couettes comme un quartier de viande rivé à son crochet, Calum était prisonnier de son lit. En contemplant le crâne de son ami mort depuis longtemps, il enviait sa fin rapide.
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