Extraits

— Je t’ai abonné, parce qu’il paraît qu’c’est l’meilleur magazine pour gays, annonça-t-elle avec enthousiasme.

Anthony devint écarlate.

[…]

— J’l’ai ouvert pour vérifier qu’il y avait aucune fille dedans, tu peux être tranquille.

Il ne put empêcher sa voix de grimper d’un octave.

— Tu l’as lu ?

— Bah, j’l’ai feuilleté pour être sûre avant de te l’offrir. On me l’avait confirmé au téléphone, mais je suis méfiante, j’ai préféré…

— Tu les as appelés ? l’interrompit-il.

La mine atterrée prouvait qu’il n’en croyait pas ses oreilles.

[…]

— Fallait bien. C’est un charmant monsieur qui m’a répondu. J’lui ai expliqué que j’étais ta grand-mère et que j’voulais t’abonner, mais qu’avant, j’voulais être sûre qu’aucune paire de seins traînait au milieu des articles.

Anthony respira et expira à fond. Bon. Les appels étant certainement anonymes, ce n’était finalement pas bien grave.

— Comme j’lui ai dit que j’avais pas d’ordinateur et que j’pouvais pas acheter leur journal chez monsieur Vallier à cause des mauvaises langues, ils ont accepté de s’occuper d’moi personnellement. J’ai juré sur l’honneur que j’enverrai un chèque. J’ai donné ton adresse à Paris. Ce sera mieux pour suivre les chroniques. J’ai bien fait, hein ? Sinon, ici, ils se seraient empilés et t’aurais passé ton temps à les lire plutôt que de profiter de nous quand tu serais venu. Comme Yannick, c’est celui avec qui j’ai parlé, a été arrangeant, j’vais lui envoyer quelques pots de confiture d’orange. Il arrivera plus à en manger une aussi bonne ensuite, mais j’peux pas lui fournir toutes nos réserves. J’vais aussi lui offrir un paquet de mandarines confites, parce qu’il m’a dit qu’il faisait une exception pour moi.

— Combien de temps es-tu restée au téléphone avec lui ?

— J’sais plus. Après, il m’a dit qu’il me mettait sur haut-parleur, alors j’ai discuté avec d’autres personnes. Il y avait de l’animation dans leurs bureaux, tu peux me croire. Paraît que je suis la première grand-mère à faire ça.

— Oh, ça… je n’en doute pas.

— Je suis sûr que vous allez vous plaire. Ta voiture continuera à dormir tranquillement dans le garage en t’attendant, voilà tout.

— Je voulais la ramener aussi, mais ton Adam ne veut rien entendre. J’sais pas ce qu’elle lui a fait, mais il l’aime pas.

— Je suppose qu’il imagine que tu vas tellement adorer rouler sur ton quad que tu ne voudras plus conduire autre chose. — Ils sont drôles les hommes. Ils croient tout savoir. Heureusement que toi et moi on fait de la résistance, hein p’tit bouchon ?

— Mais… Mamie, je suis un homme, s’offusqua-t-il.

— Tu es trop tendre pour l’être tout à fait. T’es une sorte d’hybride.

— Je ne sais pas comment je dois le prendre, dit-il, contrarié.

— Elle a seulement trois vitesses, mais on peut toujours compter sur Pétronille pour rentrer à la maison, chantonna Violette. (La mamie d'anthony)

Un second virage les envoya valser dans l’autre sens, puis leurs crânes cognèrent le toit quand la pauvre vieille 4L décolla du bitume en roulant sur un ralentisseur. Lorsque les pneus touchèrent à nouveau le sol dans un bruit bizarre de grincement métallique, Adam s’agrippa au siège avant. Il eut à peine le temps de se remettre de ce qui venait de se passer, qu’il vit avec effarement le prochain feu virer à l’orange. Allait-elle avoir l’audace de le franchir avant qu’il vire au rouge ? Lorsque Violette accéléra, Adam engloutit Anthony dans ses bras pour le protéger de son mieux d’un danger qu’il jugea imminent. Quelques coups de klaxon intempestifs les accompagnèrent sur plusieurs mètres, jusqu’à ce qu’ils aient réussi à franchir le carrefour. Ne parvenant pas à apaiser son angoisse, Adam grommela entre ses dents.

— Tabarnak ! Combien de temps reste-t-il avant d’arriver ?

— Cinq minutes.

— Combien de fois peut-on mourir en cinq minutes ?

— Mamie, ralentis ! Adam n’est pas habitué à ta conduite, il va être malade si tu continues à le secouer comme ça. Tant pis pour sa fierté. Adam confirma ses dires. Pour sauver Anthony, il était prêt à tout.

— Dommage, regretta-t-elle en levant le pied. Pétronille aime bien montrer ce qu’elle a sous l’capot. C’est qu’elle sort pas souvent, alors elle fait parfois un peu ce qu’elle veut. Elle n’a jamais eu d’accident, et moi j’ai encore tous mes points, annonça-t-elle fièrement en slalomant dans la circulation.

Adam se demanda qui lui avait appris à conduire. Un champion de course ? Par on ne sait quel miracle, Mamie parvint finalement à se garer devant une maison située dans un agréable lotissement sans qu’il y ait de casse ni que personne n’ait sauté en route. Pourtant, Adam l’avait envisagé. Conclusion : il préférait affronter mille fois les rigueurs et les difficultés de la Yukon Quest plutôt que de remonter un jour dans ce char

— Je repensais à la fois où ton père m’avait demandé de lui dire des mots crus quand on était au lit.

— Maman, je t’en prie, je ne veux rien savoir à propos de ça.

— Tu ne vas pas te choquer à ton âge quand même. Donc, il me dit comme ça, dis-moi des mots crus. Et moi, pauvre écervelée, je lui réponds carotte râpée.

Le morceau de jambon que Charlotte s’apprêtait à mettre dans sa bouche tremblota au bout de sa fourchette.

[...] il [=Mikado] n’entendit pas celui qui l’appelait avec insistance. Ce ne fut que lorsqu’une main se posa sur son épaule qu’il sursauta et s’écria en se tournant.

— Bas les pattes ! Je suis armé.

— T’es armé ? C’est nouveau ça, répondit en éclatant de rire celui qui venait de le surprendre.

— Mathis !

— Lui-même. Comment vas-tu, belle blonde ?

— À pied.

— Toujours aussi drôle à ce que je vois. Et Anthony ?

— Beaucoup mieux depuis qu’il ne te suce plus.

— Tu es devenu vulgaire, dis donc !

— Avec les mecs qui n’ont rien de plus gros que des cacahuètes dans le slip, je ne m’embarrasse généralement pas de politesses.