Noiraud avait actionné la forge pendant cinq jours, son corps noirci par la travail brillait comme une boulette de charbon de qualité supérieure. Seul le blanc de ses yeux et ses dents avaient conservé leur couleur originelle, restituant un regard des plus charmeurs. Lorsqu'il vous regardait, les lèvres crispée par l'effort, mille pointes de feu vous transpercaient le cœur. "

Le lendemain matin, masqué par le rideau de scène, il jouait tristement de l'accordéon. Ce jour-là, toute la tristesse et l'infortune de son existence surgirent à sa mémoire. Ne voyant se dessiner aucun avenir, il sondait ce qu'avait été sa vie ; son spleen était si fort qu'il ne se rappelait que les moments malheureux, souvenirs qui ajoutaient à sa tristesse et son désespoir. Il végétait dans une vie insipide."

Pour dire cette expérience en un mot, le temps avait disparu. Concrètement: disparue, la conscience du jour que l'on était, absent, le sentiment du lendemain. Je peux mettre un nom sur cette expérience: c'était le temps du kamikakushi, l'"enlèvement par les dieux". Quand on est enlevé par les dieux, une demi-année peut passer comme une semaine, quelques secondes ou dizaines de secondes passent comme trois mois. Le temps n'est plus ordonné. Toute mesure devient impossible.

Chaque mouvement de main, chaque lancer de pied est à la fois naturel et instinctif. La musique est entraînante et sa répétition la rend à la fois plus familière et séduisante. Oubliant qu'ils incarnent des soldats, ils croient jouer leur propre rôle. Ils s'expriment dans chacun de leurs gestes, avec toute leur volonté et leur instinct. Ils dansent à corps perdu, leur silhouette passe vivement d'un miroir à l'autre, si bien qu'ils sont cernés de toutes parts par leur propre image. Ils se trouvent superbes.

Des piaillements dans les petites boutiques en bordure de canal, jusqu'aux divers chants et accompagnements de shamisen qui fusent des étages supérieurs des maisons de grande classe et haute renommée, ce spectacle, pour la plupart, tous auront du mal à l'oublier.

Le tonneau métallique, couvert de rouille et de suie, avait l'air d'en avoir détruit une bonne quantité. L'homme en recueillait une grosse poignée, qu'il jetait sans ménagement dans le feu. Alors les flammes s'élevaient encore plus haut. Plusieurs qui se cognaient contre le rebord retombaient sur le sol. Avec leur forme en spirale elles roulaient deux ou trois fois sur elles-mêmes, avant de s'arrêter, bloquées par un cailloux.

"Quoi? Vous voulez que je vous parle de Yoshiwara? Oh, attendez, vous ne manquez pas de culot, vous! Ça ne se fait pas de prononcer ce nom-là à haute voix à l'entrée du magasin! Les employés vont nous regarder avec un drôle d'air!"