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Tu oserais raconter à tes vieux que tu es homosexuel? demanda Joaquin dans l'avion qui les ramenait à Lima.
- Pas question, t'es fou, ils feraient un scandale monstre, dit Alfonso.
- Mais si tu les aimes, tu devrais être franc avec eux.
- Au contraire, justement parce que je les aime, je préfère qu'ils ne sachent jamais. S'ils le découvraient, ils en seraient très malheureux.
- Un jour ils vont l'apprendre par quelqu'un d'autre, Alfonso, et ce sera pire, parce que tu passeras pour un menteur.
- Je ne pense pas qu'ils le découvriront, Joaquin. A Lima, il y a un tas de gens qui mènent une double vie. Toute la question est de savoir s'y prendre.
- Mais tu ne te sentirais pas plus tranquille si tu leur disais la vérité?
- Dans ce pays, il y a certaines choses, dont on ne doit pas parler, et notre faiblesse pour les hommes fait partie de ces choses-là. Au Pérou, tu peux te camer, voler ou courir les femmes, mais tu ne peux pas te payer le luxe d'être pédé.
- Qu'ils aillent se faire foutre, les culs-bénis, et les intolérants qui ne sont pas disposés à accepter les gens comme ils sont. Qu'ils aillent au diable!
- Bien sûr, mais tu dois accepter que le monde est une grande saloperie, Joaquin. Les idéalistes finissent clochards. Si tu veux réussir, tu dois être pragmatique et froid.
- On ne vit qu'une fois, Alfonso. Si je n’ai pas le courage d'être ce que je suis, je vais arriver à la vieillesse en me haïssant, frustré, plein d'amertume.
- Tu ne me comprends pas. Je ne suis pas contre l'homosexualité. Ce que je te dis c'est de le faire en douce, de ne pas causer de scandale, de ne pas foutre en l'air ta réputation.
- C'est que je ne pourrais pas me marier sous prétexte de garder ma réputation et de plaire à mes vieux, Alfonso. Je me sentirais un rat, un manipulateur. Je ne pourrais plus me regarder dans la glace.
- Le mariage a ses avantages, mec. Si tu ne te maries jamais, tu vas finir seul, amer, comme ces vieux beaux qui s'en vont à Haïti draguer un de ces acteurs de pacotille qui se baladent du côté de Miraflores. Pense un peu: ça doit être formidable de rentrer à la maison et d'avoir une femme qui te fait de la bonne cuisine, qui te repasse tes chemises, qui te coupe les ongles et qui te met du talc sur les couilles, et des mômes qui jouent avec toi et qui te font mourir de rire. Parce que, sans déconner, Joaquin, la vie de famille, c'est génial. Moi, de toute façon, je veux avoir des petits pour les voir grandir.
- Et quand tu as envie d'être avec un homme, qu'est-ce que tu fais?,
-. Tu vas faire un tour, tu dragues quelqu'un, tu te fais mettre un coup, et voilà. C'est comme quand ta voiture commence à ne plus marcher: tu la portes chez le mécanicien, on lui fait une vidange, un lavage-graissage et c'est bon, elle repart comme sur des roulettes.
- Je trouve ça horrible que les hommes ne soient là que pour te permettre de changer d'huile de temps en temps, Alfonso. J'aimerais avoir un compagnon, vivre avec lui.
- C'est impossible dans ce pays, Joaquin. Vise un peu ce qui nous est arrivé à Punta Sal*. Si tu veux vivre avec un homme et avoir une vie de couple, il faut que tu quittes le Pérou. Le Pérou n'est pas le Danemark, Joaquin.
- Je sais, je sais, mais si nous sommes tous des lâches et si nous continuons à nous cacher, les choses ne changeront jamais.
- Je préfère rester bien tranquille dans mon coin. Si tu crois que ta mission est de t'immoler pour la cause de quelques tapettes et travestis qui boivent leur blonde dans la rue des pizzas, je te félicite, je te tire mon chapeau et je te souhaite toute la chance du monde, mais ne me demande pas de sauter avec toi dans le précipice.
- Au fond, tu crèves de trouille, Alfonso.
- Ce n'est pas que j'ai la trouille, Joaquin, c'est que je ne suis pas aussi suicidaire que toi.
* A Punta Sal, Joaquin et Alfonso ont été virés d'un sauna après s'être embrassés en public.
Afficher en entierUne vieille femme se tenait dans le couloir.
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