Extraits

- J'essaie juste de te faire comprendre quelque chose. Dans le cas de la famille - dans toute notre vie, en fait - il n'existe pas de groupe témoin. On ne peut jamais savoir ce qui se serait passé si on avait changé certaines choses, fait d'autres choix, suivi une autre voie. Tu veux un conseil ? Je sais que tu ne me l'as pas demandé, mais tu devrais essayer de prendre les choses comme elles viennent. Cesse de vouloir réécrire le scénario du passé.

Elle redressa les épaules et le menton. Elle parut prendre de l'assurance, se changeant imperceptiblement en quelqu'un d'autre, La victime effarouchée avait laissé la place à une jeune femme maîtresse d'elle-même, bien qu'encore un peu secouée, manifestement

— Vous n'avez pas à vous excuser, répondit-il. Beaucoup de gens perdent les pédales quand ils sont blessés et qu'ils saignent. Ça prouve simplement que vous êtes humaine.

— Où sommes-nous ?

— Dans ma clinique.

— J'ai eu un accident de voiture devant votre clinique ? C'est drôlement bien planifié, dit-elle en souriant faiblement.

— Ça vous est déjà arrivé ? demanda-t-il. D'avoir une syncope.

— Non. Grand Dieu, non, jamais !

— Avant de vous évanouir, vous souvenez-vous d'avoir eu mal à la tête, des douleurs dans le dos, à la poitrine, de vous être sentie essoufflée ?

— Non, j'étais à côté de vous. Tout allait bien jusqu'à ce que... je ne me rappelle pas.

En enlevant sa parka, il se rappela que ses vêtements étaient tachés après la mise bas de la jument. Il s'empressa de se retourner pour qu'elle ne s'en aperçoive pas, ôta sa chemise, la fourra dans un panier d'osier et s'empara d'une blouse propre.

Sa patiente était très calme, tout à coup. En se tournant vers elle, il se rendit compte qu'elle fixait son torse nu. Sa bouche — une très belle bouche, en vérité — formait un O hébété parfaitement rond. Elle était toujours très pâle et risquait probablement de s'évanouir de nouveau. Il aurait donné cher pour qu'il en soit autrement, mais ce n'était pas sa santé physique qui était la cause de cette réaction. Quelque chose la terrifiait, et il espérait bien que ce n'était pas lui.

— Il fallait que je mette une blouse propre, marmonna-t-il.

Elle détourna le regard et passa la pièce en revue. Il sentait que la confiance qu'il lui avait inspirée s'émoussait. A l'école vétérinaire, on pouvait sans problème ôter sa chemise devant un patient pour la bonne raison qu'en règle générale ledit patient n'en avait que faire.

— Désolé, marmonna-t-il en s'empressant de passer un stéthoscope autour de son cou dans l'espoir de la rassurer. Je veux juste vous aider, je vous assure.

— Je vous en suis reconnaissante, dit-elle en se cramponnant des deux mains à la table en acier et en lorgnant les fournitures et les instruments qui se trouvaient sur le comptoir. Je vous promets de ne pas paniquer. C'était... Ça ne me ressemble pas. Et tout cela, ça fait très... Rocky Horror Picture Show.

Noah eut instantanément une vision de Susan Sarandon en soutien-gorge et petite culotte.

Si seulement!

Il baissa la table à l'aide d'une pompe actionnée au pied.

— Vous saignez toujours... Non, ne regardez pas !

Il ne tenait pas à ce qu'elle fasse une nouvelle syncope.

— Il faut absolument que je jette un coup d'œil à votre jambe.

Il alla se frictionner les mains avec du désinfectant, puis il prit une paire de gants en latex et les enfila tout en regardant la plaie.

— Je vais peut-être être obligé de couper votre pantalon, dit-il.

Puis il ne put s'empêcher de sourire.

— Qu'est-ce qu'il y a de si drôle? lui demanda-t-elle.

— C'est la première fois de ma vie que je dis ça à un patient... Asseyez-vous sur la table, d'accord ? Et remontez un peu pour que votre jambe soit bien allongée.

A son grand étonnement, elle s'exécuta, tout en jetant des coups d'œil dans la salle pleine de produits vétérinaires.