Extraits

Les colons européens qui sont venus s'y installer, essentiellement des Hollandais et des Français, puis des Anglais, ont manifesté à l'égard des indigènes la même arrogance et la même violence que dans les autres colonies pour les obliger à travailler.

Le but recherché par les anciens de la tribu est de transmettre aux jeunes un message : la liberté a existé. Il faudra la reconquérir.

2 mai 1990

Elles commencent officiellement début mai. Le président De Klerk dit à la délégation de l'ANC : "Notre but ultime est l'instauration d'une nouvelle démocratie d'Afrique du Sud et pour toutes ses populations." Nelson Mandela lui répond : "Les rencontres qui commencent aujourd'hui doivent être sous-tendues par l'idée que nous sommes tous des Sud-Africains." Et il ajoute en afrikaans, langue qu'il a apprise en prison : "Nous voudrions assurer la communauté blanche, y compris les Afrikaners, qu'ils n'ont rien à craindre de notre organisation."

Le 11 février 1990, quelques heures après sa sortie de prison, Nelson Mandela prononce son premier discours d'homme libre depuis trente ans. C'est au Cap, le grand port colonial du Sud, fondé en 1652 par la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Le texte va surprendre tout le monde. Tout d'abord, à cause du ton : "Je me présente devant vous, non comme un prophète, mais comme un humble serviteur du peuple. Si je suis ici aujourd'hui, c'est grâce aux sacrifices héroïques que vous avez consentis sans relâche : c'est donc entre vos mains que je remets les années qui me restent à vivre." Puis, comme pour faire écho à sa longue lettre de juillet 1989 au président Botha, il déclare, à l'intention du président De Klerk : "Le moment est venu d'intensifier notre lutte sur tous les fronts. Relâcher nos efforts maintenant serait une faute que les générations futures ne nous pardonneraient pas." Et pour qu'on sache bien qu'il n'a pas changé, que les vingt-sept années de prison n'ont été qu'une parenthèse et que tout continue, il semble reprendre la dernière phrase de son procès de 1964 : "Je me suis battu contre l'oppression. Je chéris toujours l'idéal d'une société démocratique libre où tous vivront ensemble, avec des chances égales. J'espère vivre pour réaliser cet idéal. Mais s'il le faut, je suis prêt à mourir pour lui."

Quand Nelson Mandela sort de la prison de Victor Verster, le 11 février 1990, il sait que la plus grande épreuve de sa vie (qui en est aussi le couronnement) est devant lui. Il sait que le gouvernement de Frederik De Klerk le libère parce qu'il est l'interlocuteur qui a été choisi pour représenter l'ANC et, au-delà, toute l'opposition à l'apartheid. Ses vingt années de militantisme dans les rangs de l'ANC et ses vingt-sept années de prison qui, loin de le faire oublier, l'ont transformé en une sorte de mythe vivant, en un mot toute cette vie consacrée à la lutte pour son peuple l'a placé à ce carrefour ultime, à cet instant décisif et tant attendu où il va faire l'histoire. A partir de ce jour, son destin personnel se confond avec son destin historique. La vie de Nelson Mandela devient l'histoire de l'Afrique du Sud.

En 1981, Nadine Gordimer, futur prix Nobel de littérature, mettait en épigraphe à son roman Ceux de July une citation célèbre de Gramsci : "L'ancien meurt et le nouveau n'est pas encore né; dans cet interrègne apparaît une grande variété de symptômes morbides." Plus que toute autre période de l'histoire de l'Afrique du Sud, les années 1990-1994 vont correspondre exactement à cette analyse du révolutionnaire italien. Progressivement, au long des rencontres entre les ennemis d'hier, on va voir mourir les conceptions anciennes, aussi bien celles des Blancs tenants de l'apartheid et de la répression sans fin que celle des Noirs tenants de la lutte armée qui a échoué et du socialisme qui s'effondre partout. Des idées nouvelles, issues de la confrontation des thèses contradictoires mais aussi de la volonté des interlocuteurs de trouver des solutions à tout prix, vont apparaître tant sur les plans politique et constitutionnel que sur le plan économique.

Les années 1948 et 1949 sont celles d'un grand tournant pour l'Afrique du Sud, pour la Ligue de la Jeunesse et pour Nelson Mandela. En 1948, le Parti national remporte les élections et s'installe au pouvoir. Désormais, rien ne l'empêche plus de mettre en pratique l'apartheid. Ce succès et ses conséquences donnent raison aux jeunes de la Ligue de la Jeunesse qui, depuis quatre ans, affirment que les positions et la tactique de l'ANC ne sont plus adaptées aux réalités de l'heure.

La période qui va de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la victoire du Parti national aux élections de 1948 est pour Nelson Mandela le début d'une nouvelle étape. Epoque de transition, au cours de laquelle il commence à organiser une vie d'adulte, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan politique. Il se marie, a des enfants, s'installe dans une maison qu'on lui attribue. Des événements importants marquent l'actualité de son pays et l'amènent à réfléchir et à affiner ses positions politiques. Il s'engage aussi de façon décisive dans les rangs de la Ligue de la Jeunesse pour y jouer un rôle déterminant.

<< Robben Island, plus connue parmi les Africains sous le nom d'Esiqithini, "Sur l'île", est intimement liée à l'histoire de la résistance noire au colonialisme, et à la lutte pour la libération nationale. >> Le seul prisonnier à s'être échappé de l'île est un chef africain du XVIIème siècle. Au XIXème siècle, Makana, héros de la résistance xhosa (il a attaqué la ville de Grahamstown en 1819), a lui aussi été détenu dans le pénitencier. Il s'est noyé en essayant de rejoindre la côte à la nage.

En enfermant Nelson Mandela à Robben Island, les autorités blanches veulent l'enterrer vivant. Elles pensent qu'avec le temps les Noirs vont l'oublier. Elles ne comprennent pas qu'en réalité elles le font entrer dans l'histoire quasi légendaire de la lutte des Noirs contre les Blancs. Elles participent même à la création du mythe.

Nelson Mandela est né le 18 juillet 1918, à Qunu, un petit village traditionnel du Transkei.

Huit ans auparavant, le 31 mai 1910, l'Afrique du Sud était devenue l'Union sud-africaine par le rassemblement dans un dominion britannique autonome des provinces du Cap, du Natal, de l'ancien Etat libre d'Orange et de l'ancienne république du Transvaal. Cette date du 31 mai n'avait pas été choisie au hasard puisque c'était le 31 mai 1902 qu'avait été signé le traité de Vereeniging qui mettait fin à la trop célèbre guerre des Boers, commencée en octobre 1899. Les Afrikaners, vaincus par les Britanniques en 1902, voyaient dans l'Union sud-africaine de 1910 un nouveau départ et, pour beaucoup d'entre eux, le début de la revanche contre l'Angleterre. Cette liberté farouche et cette indépendance qu'en définitive ils n'avaient pu conserver ni par la fuite, lord du Grand Trek de 1838 quand leurs ancêtres étaient remontés de la colonie du Cap vers le nord-est pour échapper à l'envahisseur britannique, ni par la guerre quand en 1899, sous la direction de Paul Kruger, ils s'étaient trouvés contraints de lutter pied à pied pour défendre leurs républiques et leurs mines d'or, ils allaient s'efforcer maintenant de les reconquérir par d'autres moyens. Cinquante et un ans plus tard, le 3 mai 1961, les Afrikaners créeraient la République sud-africaine, indépendante, et quitteraient le Commonwealth. Mais ce dernier Grand Trek d'un demi-siècle vers l'indépendance, dont la victoire du Parti national aux élections de 1948 marquera un tournant décisif, se fera dans la violence, l'exclusion et l'injustice. Nelson Mandela, qui naît en cette année 1918 dans un village perdu du Transkei au sud de l'Union, va être non seulement un des principaux acteurs mais aussi une des grandes victimes et un symbole. Aujourd'hui, après une existence de lutte, il en est devenu un des personnages clefs.