Nid d'Eve, nid d'Adam, les différents visages de la prostitution

(Partie romancée)

Huit jours ont passé depuis ce drame. Ambiance recueillement chez Nid d’Ève, Nid d’Adam. J’ai le sentiment de faire partie d’une grande famille, ébranlée par le deuil d’un proche parent, unie dans la même douleur, où chacun réconforte l’autre de sa présence chaleureuse.

Dans le creux de nos ventres se manifeste une irrésistible envie de vivre, de vaincre, d’agir, de conjuguer nos forces pour lutter contre les proxénètes avides de pouvoir et d’argent qui détruisent sans le moindre scrupule des femmes en situation de rupture affective et sociale. Le départ de Svetlana nous a galvanisés.

Parmi les conversations que j’entends revient cette interrogation cruciale : comment lutter contre l’esclavagisme et néanmoins défendre pour chacun le droit de disposer de son corps comme il l’entend ? Comment ne pas se sentir coupable de soutenir une activité qui permet que de jolies jeunes filles soient brisées, anéanties et finalement achevées, même si ce sont elles qui se portent parfois le coup fatal ?

Julia s’adresse à l’assistance.

— Bonjour à tous et merci d’être là. Le suicide de Svetlana nous a tous ébranlés ; c’est à sa mémoire que la réunion de ce soir est dédiée. Son geste est d’autant plus terrible que nous avions pris contact avec l’ambassade de Bulgarie et que nous aurions pu la renvoyer vers ses parents, tout en œuvrant pour sa sécurité le temps d’effectuer les démarches administratives. C’est la peur qui l’a tuée... Plus que jamais, nous sommes déterminés à offrir à nos gouvernants un état des lieux de la prostitution le plus réaliste qui soit. J’ai entendu la question qui vous brûle les lèvres. Laissez-moi vous exprimer ma conviction : oui, nous pouvons défendre bec et ongles la reconnaissance et la protection des travailleurs du Sexe, libres d’exercer ce métier de manière indépendante et volontaire. Ce n’est absolument pas incompatible avec la lutte contre les violences faites aux femmes, aux hommes ou aux enfants, bien au contraire. Notre travail vise en partie à ce qu’on ne fasse plus l’amalgame entre prostitution choisie et contrainte. Personne ici ne cautionne la seconde. Durant notre prochaine réunion, nous aurons l’occasion d’en débattre en profondeur. Aujourd’hui, notre séance visera à mieux vous cerner, à éclairer votre parcours individuel par l’exposition de vos vécus affectifs. Nous allons parler d’amour, de tendresse et du rapport que vous entretenez avec votre corps. Autant dans votre vie amoureuse que dans vos échanges avec vos clients.