Et il était aussi laborieux d’aimer un tel garçon qu’était terrifiante l’idée de le perdre.

J’avais tant de choses en moi qu’elles s’annulaient, ne laissant à leur place qu’un vide insondable, un gouffre dans lequel j’avais l’impression d’être précipité. Et dans cet abîme où tout n’était que chaos, la seule émotion qui se détachait des autres était cette rage brûlante, cette colère déraisonnable dont je ne savais que faire. Car il était aisé de cogner un homme dont j’étais jaloux, de brandir une arme contre lui et de le cribler de balles jusqu’à le réduire à néant. Mais ce monstre hideux qui nous avait dépossédés de tout n’avait nul visage à frapper, aucun sang à faire couler.

Je voulus dire quelque chose, mais tout ce qui quitta mes lèvres fut un sanglot risible. Antoine posa sa tête contre la mienne et nous restâmes ainsi, main dans la main, épaule contre épaule, tempe contre tempe, nos corps secoués des spasmes que nous imposaient nos pleurs silencieux.

— Que le Ciel vous protège, dit ma mère en un souffle à peine audible.
— Vous ?
— Toi et ton ami qui est en prison. Et les garçons comme vous qui ont perdu leur chemin.

J’ignorai exactement quoi. Aucune des choses que je souhaitais ardemment en cet instant n’aurait pu s’accompagner d’un tel mot. Seulement, c’était peu. Seulement, c’était limité et moi je voulais que ce moment dure à jamais et qu’Antoine soit mien aussi totalement, aussi désespérément que mon cœur mort lui appartenait.

— Vous avez un plan ? nous demande Adam en mâchant ses céréales encore plus bruyamment.

Le démon lâche un énième grognement étouffé. En baissant les yeux vers lui, je constate qu’il m’observe depuis le début. Son masque n’enlève rien à l’érotisme de cette vision qu’il m’offre.
— C’est tellement pervers…
Il s’écarte pour me montrer sa langue et les mouvements qu’il opère. Je manque de défaillir face à cette vue indécente.
— Pourtant, tu aimes ça, affirme-t-il d’une voix étouffée par mon intimité.
J’aime ce qu’il me fait. J’aime son regard brûlant. J’aime sa façon de me respirer avec une avidité débordante. J’aime sa sensualité. Bon sang, oui. J’aime ça.

— Tu entends quoi par particulier ?
Il se gratte la nuque.
— Eh bien… Des personnes comme moi, élude-t-il.
— Comme toi ? C’est-à-dire ?
— Des tarés ? propose Starla.
— Des moldus ? renchérit Lysander.
Sacha pouffe.
— Très drôle, la référence à Harry Potter ! Attendez, vous aussi vous avez un Poudlard ? Starla claque sa langue, agacée.
— C’est bon, j’abandonne.

— Le plus grave dans toute cette histoire, c’est lui, dis-je en désignant Sacha. Les humains ne sont pas censés connaître notre existence, sauf certaines exceptions.
— On a qu’à le liquider, propose le démon.
— Ou le vendre au marché noir, tente Starla. Le visage de Sacha devient livide. Il me lance un regard plein d’espoir.
— Ne t’inquiète pas, ça va aller. On ne va ni te liquider ni te vendre en petits morceaux…
— Je ne dirai rien à personne, je vous le jure ! pleurniche-t-il.
— Une fois mort, c’est sûr que…
— Lysander ! le coupé-je en faisant les grands yeux.
— D’accord ! J’arrête.

— On n’a pas réussi à savoir où était le collier. Quand on lui demande, il nous dit de regarder dans tes seins. C’est un putain de pervers ! se justifie Starla.
Je me frotte l’arête du nez et fourre ma main dans mon soutien-gorge. Trouvant l’objet, je le sors, devant les yeux ébahis des trois zigotos devant moi.
— Vous voyez ! Je vous l’avais dit ! s’écrie Sacha.
— Moi, j’ai voulu vérifier, se défend Lysander. C’est elle qui m’en a empêché.
Starla grogne.
— Ferme-la, toi.
— C’est bon, on a compris ! tempéré-je.

— C’était génial ! On recommence ! s’exclame Sacha.
Je reste figée. Attendez, stop…
— Quoi ? Sacha est excité comme une puce. — Elle a utilisé sa magie pour m’attacher, c’était complément dément ! Sacha me sourit, pas le moins du monde perturbé.

— Merde, l’humain s’est réveillé… soupire Starla.
— Mais on ne l’avait pas attaché ? renchérit Lysander. Je tombe des nues.
— Vous avez fait quoi ? Vous êtes malades !

La première chose qui me saute aux yeux est le pseudo qu’elle a utilisé : @labruti.
— Crows, soupiré-je, excédé. Elle sourit, fière d’elle, et même Starla semble amusée.
— Quoi ? Il y en a plein des abrutis ! Personne ne pourra savoir qu’on parle de toi. Lis l’annonce, m’ordonne-t-elle.

— Si tu touches à un seul cheveu de June, je te…
— C’est déjà fait, le coupe Lysander.
Je retiens un hoquet de surprise et manque de le gifler.

— Pourquoi tu refuses de tuer ? Le regard de Lysander se voile et sa voix n’est plus qu’un murmure douloureux.
— Parce que je l’ai promis. Il y a longtemps.

— Je ne suis pas petite, je suis adorable, rectifie-t-elle.

Est-elle absorbée par ce spectacle comme je le suis ? pensa Nell. Sait-elle que sa beauté est de loin égale à celle du ciel ? se demanda Ymîr.

— Je me fiche de qui vous aimez. Ou plutôt, j’aimerais que ce soit le cas. Le lien m’en empêche, peu importe à quel point je désire ne pas m’en préoccuper.