Nina et le damné

1. Triste arrivée

Ireland, 1802

Nina était secouée par les cahots de la diligence. Elle pleurait silencieusement, son chagrin ne devait pas être manifeste. C’était ainsi lorsque l’on était une jeune fille de bonne famille. Elle avait dix-sept ans. Elle était assez âgée pour devoir se comporter correctement, mais pas assez pour échapper à sa tante Ruth. Il y a encore deux semaines, ses yeux contemplaient les vallées de Toscane où elle vivait. Mais ses parents avaient eu un dramatique accident, laissant la jeune fille seule. Il lui fallut partir car plus aucune famille ne se trouvait en Italie. C’est Ruth, la sœur de sa mère qui accepta de l’accueillir. Nina ne la connaissait pas, ni d’ailleurs le pays dans lequel elle allait vivre.

La diligence s’arrêta. Le cocher ouvrit la porte à Nina et la fit descendre. Il lui tendit ensuite ses bagages et partit s’occuper des chevaux. Nina se retrouva seule dans le soir naissant. Devant elle se trouvait un vieux manoir plutôt décrépi. Elle prit son courage à deux mains, et toqua à la lourde porte d’entrée. La pluie commençait à tomber et Nina avait froid. Ce fut avec soulagement qu’elle vit qu’on lui ouvrait. Une servante adolescente la regarda de haut en bas, puis lui dit :

- Vous devez être Nina. Entrez, déchaussez-vous et attendez moi là. Je vais chercher Madame.

Alors qu’elle patientait, Nina inspecta le hall. Tout y était d’une propreté impeccable. Au plafond, un lustre décoré de pampilles pendait. Un étroit escalier montant sur au moins trois étages accueillait une galerie de portraits.

Des pas se firent entendre. La servante revenait accompagnée d’une femme entre deux âges. Au vu de son port de tête, il s’agissait certainement de la maîtresse de maison. La femme s’approcha de Nina, et la dévisagea. Elle congédia la servante, et fit signe à la jeune fille de la suivre.

- Vous voilà donc ! Je vous verrai demain pour vous parler de quelques règles. Pour l’instant vous allez vous restaurer, puis vous irez vous reposer. Je vous envoie Mariette. Elle sera là dans cinq minutes. En attendant, je vous prie de ne toucher à rien. Bonne nuit mademoiselle !

Mariette arriva rapidement, tenant un plateau dans ses mains. Elle le posa sur une table puis s’éclipsa aussitôt. Nina mangea peu. Elle était fatiguée, et son cœur était lourd. Mariette revint débarrasser le plateau et conduisit Nina à l’étage. Elle lui ouvrit la porte d’une petite chambre douillette, mais qui ne payait pas de mine. Avant de redescendre, Mariette souhaita la bienvenue à Nina. Celle-ci la remercia, puis s’installa sur son lit. Elle pût enfin laisser libre court à son chagrin. Et bien qu’elle pensait ne jamais pouvoir s’endormir, le sommeil la prit par surprise.

C’est ainsi qu’elle se réveilla toute habillée le lendemain. Après un brin de toilette et s’être changée, Nina descendit dans le hall. Là elle attendit que quelqu’un vienne la chercher. C’est la jeune servante qui lui avait ouvert la veille qui arriva en premier. Elle vit que Nina ne savait pas où se rendre, aussi décida-t-elle de la guider.

- Bonjour Mademoiselle ! Je m’appelle Cynthia. Je vais vous conduire en cuisine pour que vous mangiez. Mais ne tardez pas ! Madame vous attend pour neuf heures au petit salon. Je vous assure que vous feriez mieux d’être ponctuelle. Madame a horreur des retardataires. Puis-je vous donner un conseil ? Ne mettez jamais Madame en colère ! Maintenant je dois aller travailler. J’espère que vous allez vous plaire avec nous Mademoiselle ! Lui confia-t-elle en chuchotant.

Nina n’avait pas faim. Elle partit attendre sa tante au petit salon et n’eut pas à patienter longtemps. Ruth arriva d’un pas pressé et ferma la porte derrière elle. Elle invita Nina à s’asseoir et commença :

- Bonjour mademoiselle. J’ai peu de temps devant moi mais je dois vous exposer quelques règles de fonctionnement. Et j’augure que vous allez en avoir besoin, si vous êtes de la même trempe que votre mère. Premièrement, je ne tolèrerai aucun manquement à mes ordres. Une jeune fille telle que vous se doit d’apprendre la rudesse. Je n’accepte ni retards, ni saletés, ni insolence. Vous aurez différents cours avec un précepteur. Il me rendra compte de vos progrès. Vous n’êtes plus en Italie. La dolce-vita c’est fini. Avez-vous compris mademoiselle ?

- Oui Madame

- J’ai rendez-vous cette après-midi avec un notaire. Il va me dire si vos parents vous ont laissé un héritage. Mais vous n’êtes pas en âge de vous occuper d’argent. Je m’y rendrai seule. Vous irai voir Mariette pour qu’elle vous donne quelques tâches à effectuer. Sur ce, je vous laisse. Peut-être nous verrons-nous au souper.

Ruth quitta la pièce, laissant Nina désemparée. Elle venait de perdre ses parents aimants, et elle était désormais aux mains d’une mégère. Mais il lui faudrait obéir. Elle se mit donc en quête de Mariette qu’elle trouva dans la cuisine. Cette dernière refusa de faire travailler Nina, et préféra l’envoyer profiter du beau temps dans les jardins. C’est là qu’elle rencontra Ian, le jeune jardinier qui allait bouleverser sa vie.