Extraits

Je fixe mon écran de téléphone, hésitante.

Je ne sais pas ce que j'attends. Un signe de Katie, ou d'Eden ? Je secoue la tête et enlace mes genoux contre ma poitrine, le regard rivé sur les vagues déchaînées du soir. Voilà pourquoi je ne voulais pas de petit ami. A peine dix jours et me voilà dépendante de son affection.

Eden est un homme patient, mais je suis allée trop loin. Tout le monde a une limite. Il n'a pas l'intention de revenir sur ses paroles et il a raison. J'ai tout gâché.

Je l'ai trop longtemps tenu à l'écart. Je ne suis qu'une enfant butée qui refuse de grandir, comme il l'a si bien dit. Parce que grandir signifie faire confiance, se laisser aller. Alors que le contraire me permet de garder les autres à distance. C'est plus facile, plus sûr.

Elle fait mine de s'en aller mais je la retiens au dernier moment, glissant un bout de papier dans la paume de sa main.

- C'est mon numéro. S'il te plaît, garde-le. Si tu changes d'avis, s'il te plaît du mal ou... ou... si tu as juste besoin de parler, je suis là. Jour et nuit.

Elle hoche la tête, lentement, et disparaît avec ladite Lara, qui m'adresse un sourire poli mais crispé.

Quant à moi, je me rends compte que je tremble comme une feuille. Je me déteste de laisser cette gamine rentrer chez elle ce soir en sachant qu'il pourrait recommencer. Cette nui ou demain.

Faites qu'elle m'appelle.

Je prends une grande inspiration, ignorant les vacanciers joyeux à mes côtés. Cette entrevue ne s'est pas exactement passée comme je l'espérais. Mais au moins, elle a mon numéro.

Je lui ai tendu la main.

A elle de savoir la prendre.

- Katie, attends ! Ecoute, je ne veux vraiment pas te créer d'ennuis. Je veux juste discuter avec toi.

- On ne se connaît pas, dit-elle en continuant de regarder droit devant elle.

Je lui barre la route et l'oblige à s'arrêter, ma main sur son bras. Elle le retire comme si le contact l'avait brûlée, geste qui suffit à me briser le coeur en morceaux. Je me racle la gorge, tentant d'éloigner la nausée qui me prend l'estomac. Je n'aurais pas dû la toucher sans son autorisation.

Je le sais pourtant. C'est la base.

- Non, c'est vrai. C'est justement pour cela que j'aimerais qu'on discute. Je... Pete était mon beau-père, lancé-je de but en blanc. OK ? Il sortait avec ma mère quand j'étais au lycée.

Je garde mes yeux fixés sur les siens, le front plissé. Je suis à court de mots. J'aimerais lui sourire et la prendre dans mes bras en me disant qu'un jour elle me dira tout.

Mais elle ne le fera pas, je le sais. Azalée est trop butée. Et si elle ne tient pas à moi autant que je tiens à elle, pourquoi faire tous ces efforts ?

Je soupire et me passe la main dans les cheveux. Ma décision est prise, même si elle me terrifie. Elle me terrifie parce que je ne suis pas sûr qu'elle fonctionne comme je le voudrais. Et si Azalée ne me revenait pas ?

Trop tard.

- Ecoute, Aze... soupiré-je. Je t'adore. Je t'assure. Ce qu'on a, ça me plaît, plus que je n'oserai jamais te le dire. Mais là, je suis énervé. Tu ne grandis pas, ajouté-je en secouant la tête tandis que son sourire s'évanouit. Tu ne te laisses pas approcher, tu fais des blagues chaque fois que j'essaie d'avoir une conversation sérieuse avec toi. Désolé, mais j'ai passé l'âge. Je pensais pouvoir m'en tenir au sexe avec toi, mais c'est faux. T'avais raison, je veux plus. Je veux tes faiblesses, tes peurs, tes erreurs, tes démons, je veux tout. Je veux le plus horrible de toi, pas un putain de mur. Alors le jour où tu te décideras enfin à mûrir et à arrêter de te cacher, tu sais où j'habite.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et de toute façon je crois qu'elle en est incapable. Je passe devant elle et continue jusqu'à ma voiture, la laissant seule sur le trottoir. Mes mains tremblent, de colère ou de peur, je ne sais pas. Je ne me retourne à aucun moment tandis que je me poste derrière le volant, par crainte de changer d'avis.

Qu'est ce que je viens de faire ?

Je ne peux m'empêcher de jeter un œil dans le rétroviseur avant de tourner au feu rouge, la gorge nouée. Azalée est là où je l'ai laissée, immobile, dos à moi. Seule.

Ne pas faire demi-tour est l'une des choses les plus difficiles que j'aie jamais eu à faire.

- Pourquoi tu me mens ?

Ce n'est pas un reproche, mais une vraie question. Je veux savoir pourquoi elle fait ça. Je veux savoir si je me bats pour rien ou si elle s'ouvrira un jour à moi, si ça vaut la peine d'attendre. Je veux qu'elle comprenne que je suis là et que je ne vais nulle part. C'est elle, que je veut.

- Je ne mens pas, déclare-t-elle fermement.

- Et tu continues, dis-je en secouant la tête, déçu. Azalée, sérieux... Je me confie à toi. Tu sais presque tout de ma vie, plus que la plupart des gens, et moi j'ai le droit à des mensonges. Je sais que c'est difficile pour toi, que tu fais des efforts, mais je ne trouve pas ça juste. Je ne veux pas sortir avec un fantôme.

Mes paroles semblent l'irriter davantage encore. Pourtant, je ne les regrette pas. Je me doute que tout cela est difficile pour elle, mais ai-je tort de vouloir plus ?

Je commence à la connaître, Azalée a besoin qu'on la pousse un peu pour la sortir de sa zone de confort. Et c'est ce que je compte faire.

- Je n'aime pas raconter ma vie, c'est tout. Je ne vois pas où est le problème.

- Moi non plus, figure toi, et pourtant je le fais. Parce que c'est comme ça ça marche.

Un silence s'abat sur nous. Elle campe sur ses positions, la colère émanant d'elle par tous ses pores, mais je ne flanche pas. Pas cette fois.

- Pourquoi t'es partie ?

Elle comprend la question car je la sens se raidir contre moi. Apres une nanoseconde, elle glisse ses mains le long de mon corps jusqu'à mes fesses, qu'elle presse contre elle. Je ferme les yeux en soupirant, tiraillé.

Ne craque pas, Weiss. Sois fort !

Je me recule légèrement et saisis son visage en coupe pour la forcer à me regarder. J'aperçois un éclair de panique jaillir dans ses yeux quand elle comprend que sa méthode ne fonctionne pas. Pas aujourd'hui.

- Alors ? insisté-je.

- Partie où ?

- Partie de Charleston. Qu'est-ce qui t'a poussée à prendre la route pour ne jamais revenir ?

Comme prévu, elle s'éloigne de moi et la joue désinvolte. Je sais avant même qu'elle ouvre la bouche que sa prochaine tactique sera l'humour. J'en suis presque déçu.

- Tu rigoles ? Partager une voiture avec des barbus dégueulasses, dormir dans des stations-essence et se doucher tous les trois jours: c'est un rêve que je ne pouvais pas laisser passer.

Je reste de marbre. L'ironie; sa marque de fabrique. Je la regarde, silencieux, tandis qu'elle me sourit avec défiance. Je ne compte pas la laisser s'en tirer ce soir.

- Et en vrai ?

Elle soupire. Elle est terrifiée, je le sais. Terrifiée à l'idée que je réussisse à la faire flancher. Sauf qu'il faut qu'elle comprenne que ce n'est pas la fin du monde. Être en couple signifie être vulnérable.

- En vrai, j'avais envie de visiter les Etats-Unis en faisant du stop. Sauf que l'American Dream est une vraie connerie.

- Ne t'inquiète pas. Si c'est pour revoir leurs gueules de cons, je vais m'abstenir. J'espère que vous vous amuserez !

Je comprends totalement pourquoi elle refuse d'y aller, même si je suis persuadé que ne pas y avoir été conviée la blessé plus qu'elle n'aime à le croire. C'est pourquoi je serre sa taille plus fort entre mes bras, rassurant.

Et comme une réponse muette et honteuse, elle écrase ma main dans la sienne en retour.

-Dis-moi un truc que tu n'as jamais dit à personne, lui ai-je demandé un jour tandis que nous mangions sur la pelouse.

- À personne ?

- Personne.

Elle a pris un air de conspiratrice, très sérieuse. Persuadé qu'elle allait enfin se dévoiler, je me suis étendu près d'elle, la tête sur un coude et ma main sous le tissu de son sweat de sport.

- OK, alors voilà... J'ai toujours aimé faire pipi sous la douche.

Du Azalée tout craché. Sa réponse m'a agacé plus qu'à musé, mais je n'ai rien dit. Je savais que ce ne serait pas du tout cuit avec elle, je m'y étais préparé.

-Très drôle.

Je laisse les dernière paroles trouver écho dans son cœur avant de lever les yeux vers lui. Automatiquement, je frissonne des pieds à la tête. Son regard n'a jamais été aussi intense. Aussi scrutateur. Aussi... Putain.

Je sais qu'il a compris tout ce que je voulais lui dire. Que je n'ai pas toujours été comme ça, mais surtout qu'il est le seul à voir plus loin que les railleries et les mini-jupes. Et même si les cauchemars continuent de hanter mes nuits, il m'arrive d'esperer quelque chose de mieux.

Si seulement j'avais le courage de laisser le passé derrière moi.

Il ne sourit pas. Le silence tombe et je me sens soudain très bête. Pourquoi lui ai-je montré ça ? Parce que tu lui fais confiance, répond m'a voix intérieure. C'est vrai. J'ai chanté devant lui alors que cela me coûtait, et je lui fais lire aujourd'hui des paroles sorties de ma tête, de mon âme.

Pas pour qu'il ait pitié.

Mais pour qu'il apprenne à me connaître, comme il le veut si fort. J'ai beau détester parler de moi, mes chansons en disent long sur ce que je suis. Mine de rien, c'est un énorme cadeau que je lui fais. Et il s'en rend compte, j'en suis sûre.

Éden comprend toujours tout.