Extraits

Oh, papa.

On peut bien sûr avoir un dîner dans le calme durant lequel je te raconte comment ça se passe à Lille. Comment je crève à l'idée d'y retourner. Comment je crève d'avantage parce que je me raccrochais à l'idée qu'ici, ce serait mieux. Mais qu'en fait, ça me suit partout. Comment je peux encore sentir les mains de ce garçon sur ma peau et son souffle dans mon oreille. Cette larme qui roule sur ma joue et qui me hante. Comment la distance n'a rien changé. Parce que les ombres sont en moi. Comment je suis toujours au fin fond de ce putain d'océan, à agoniser. Comment rien ni personne ne m'aide à sortir la tête de l'eau, parce que je n'arrive pas à saisir les mains qu'on me tend.

Comment j'ai peur.

Mais ça, je doute que ce soit l'idée que tu te fasses d'un dîner dans le calme. Alors je vais sourire. Et je vais te dire que ça va.

Et peut-être qu'à force de le répéter, ça finira par devenir vrai. Peut-être que ces ombres finiront par disparaître.

Parce qu'au fond, ça va. Tout va bien. Non ?

Je sais que quand on ne dit pas « Oui » à un garçon, il n'a pas le droit de nous toucher sans notre accord. Et je sais que cette nuit-là, je n'ai pas dit « Oui ».

Mais je n'ai pas dit « Non ». Et ça complique tout. Un viol dans l'idée, c'est supposé être brutal, non ? On est censé se débattre, hurler. Je n'irais pas jusqu'à dire que Léo a été doux, mais ce n'était pas comme ça. Pourtant je peux le sentir partout en moi, que Léo a fait quelque chose à mon corps que je ne voulais pas.

[...]

- Jade, regarde-moi. C'est pas ta faute, tu m'entends ?

T'avais bu. Parfois, quand on a bu et qu'on est triste, on ne sait pas toujours ce qu'on fait. Jade, regarde-moi. Même si t'avais dit oui, ce soir-là, le consentement est nul si on est bourré. Il est nul Jade. Ça veut dire qu'il n'aurait jamais dû te faire ça. Ça veut dire que ce n'est pas ta faute, mais la sienne.

- Mais je n'ai pas dit non. Comment pouvait-il le savoir ?

- Il aurait dû le savoir, Jade. Il aurait dû s'en assurer. Et il le savait probablement, d'ailleurs.

[...]

- Et même si t'avait rien fait de tout ça, Jade. On est au vingt et unième siècle, un garçon doit savoir qu'un consentement, ça s'obtient.

- Oui, c'est juste Ambre qui s'est fait suivre dans la rue. Mais ça va.

Les prunelles d’Élise s'emplissent d'une colère que seules les femmes peuvent partager. Un mec ne saura jamais ce que ça fait de se sentir en danger rien qu'en marchant dans la rue. D'avoir tout le temps peur de ce qui pourrait arriver. De jeter des coups d’œil mécaniques par-dessus son épaule pour être sûre de ne pas être suivie. D'enfiler ses écouteurs, mais de ne pas mettre de musique. De placer ses clés entre ses doigts juste au cas où. De changer de trottoir, une, deux, trois fois.

De prier pour que ça suffise. Et d'avoir constamment la preuve que ce n'est pas le cas.

Le danger avec notre esprit, c'est qu'il peut être notre meilleur ami comme notre pire ennemi.

- Tu vois, c'est ça le problème, dit-elle. C'est jamais marqué sur leur tête, pas vrai ? Tu les regardes et tu devinerais jamais.

[...]

- Mais c'est injuste. On est tellement nombreuses. Même dans une école comme la nôtre. Même avec la prévention. Parfois, j'ai l'impression que c'est un combat perdu d'avance. Qu'ils ne changeront jamais. C'est le putain de pôle sécurité de l'école, Jade ! Le mec avec lequel j'ai passé des soirées à parler de ça. De comment casser cette putain de boucle. C'est pas possible, putain !

[...]

Ce sentiment d'injustice. De la colère d'être une femme. Avec tout ce qui arrive. Les inégalités, le sexisme, les violences, les abus. La peur, la honte. Ça me donne envie de hurler. Ils n'ont pas le droit, je pense.

[...]

- Jade, t'étais dans le déni. T'étais toi-même en train d'accepter et de comprendre ce qui s'était passé. Avec toute la honte et la culpabilité que t'as dû ressentir, parce que c'est toujours nous qu'on blâme en premier. C'est la putain de culture du viol, ça, Jade. Que les victimes se sentent responsables, qu'elles aient l'impression qu'elles auraient dû faire ci, ou ne pas faire ça.

- Tout ce que je dis, c'est que éloquence, ça permet d'apprendre à s'exprimer. Et en tant que femme qui aura demain à se confronter à des hommes qui n'arrivent pas à voir au-delà du système patriarcale dans lequel ils sont eux-mêmes enfermés, des hommes qui couperons la parole, chercherons à parler de ta place, souhaiterons que tu sois plus discrète, moins ambitieuse, moins puissante ; apprendre à s'exprimer, c'est la base.

Les prunelles d'Élise s'emplissent une colère que seules les femmes peuvent partager. Un mec qui ne saura jamais ce que ça fait de se sentir en danger rien qu'en marchant dans la rue. D'avoir tout le temps peur de ce qui pourrait arriver. De jeter des coups d'œil mécaniques par-dessus son épaule pour être sûr de ne pas être suivi. D'enfiler ses écouteurs, mais de ne pas mettre de musique. De passer ses clés entre ses doigts juste au cas où. De changer de trottoir, une, deux, trois fois.

De prier pour que ça suffise. Et d'avoir constamment la preuve que ce n'est pas le cas.

Je sais que quand on ne dit pas "Oui" à un garçon, il n'a pas le droit de nous toucher sans notre accord. Et je sais que cette nuit-là, je n'ai pas dit "Oui".

Mais je n'ai pas dit "Non". Et ça complique tout. Un viol, dans l'idée, c'est supposé être brutal non ? On est censé se débattre, hurler. Je n'irais pas jusqu'à dire que Léo a été doux, mais ce n'était pas comme ça. Pourtant je peux le sentir partout en moi, que Léo a fait quelque chose à mon corps que je ne voulais pas.

- Tu lui dois rien, Ambre, je souffle. Rien du tout. Si t'as pas envie de coucher avec lui, tu le lui dis. Tu dis non. Promets-moi que tu diras non.

Il y a des choses que je ne dirai jamais à Ambre parce que si je le fais, alors elles existeront et je ne le veux pas.