Extraits

Rory aperçut une ombre sur l’arrière qui donnait sur les champs. C’était Hunter qui se tenait là, debout, appuyé contre la rambarde. Un autre homme sortit de la maison pour le rejoindre. Rory avait souvent croisé Hunter et Grant, aussi bien dans les bâtiments que dans les pâtures, mais jamais les deux hommes ne se comportaient comme des amants en public. Non pas qu’ils cachent le fait qu’ils vivent ensemble, parce que Rory avait entendu assez de railleries chez les nouveaux employés pour être certain que Hunter et Grant étaient un vrai couple. Pourtant, la scène qu’il avait sous les yeux ce soir était manifestement privée.

Grant essuya ses mains sur un torchon qu’il jeta ensuite sur son épaule pour serrer Hunter dans ses bras. Le rancher se laissa aller contre son amant. Les deux hommes échangèrent quelques mots que Rory ne pouvait entendre. Il était heureux d’être caché par l’obscurité et l’ombre du bâtiment alors que, sous le porche, le couple était en partie éclairé par une lampe qui émanait sans doute de la cuisine. Rory n’arrivait pas à détacher les yeux des deux amants, de la tendresse qui se manifestait dans leurs caresses. Bien sûr, il savait qu’un tel échange était possible entre deux hommes virils, mais il n’avait jamais eu l’occasion d’en être le témoin. Et bien entendu, il n’avait jamais vécu une pareille relation.

Jusqu’à ce moment précis, il n’avait même pas compris que c’était ce qu’il voulait. Ces deux- là avaient une relation de couple que Rory n’aurait cru possible qu’avec une épouse. Pourtant, il avait sous les yeux deux solides cowboys qui travaillaient de leurs mains, dans un ranch prospère, dans un comté rural aux idées rétrogrades, et ils vivaient ouvertement ensemble.

— Ça va être horrible, chuchota-t-il. Je ne veux pas qu’il ait à supporter ça. Je ne veux pas qu’il me voie comme ça. D’un autre côté, je serai bien mieux quand tout sera fini. Plus besoin de me cacher, plus besoin de prendre des précautions.

Rory ferma les yeux.

— Laissez-moi tranquille ! gémit-il. 

— Viens, Grincheux. On fait un autre essai.

— Grincheux ?

Le sourire hésitant atténua l’air revêche de Rory.

— Eh bien, tu n’es pas Atchoum, ni Dormeur, ni Simplet. Tu es trop mince pour être Doc. Bien sûr, tu pourrais être Timide, mais ce n’est pas terrible comme surnom. Et si tu préfères Joyeux, il va te falloir apprendre à sourire beaucoup plus.

Cette fois, Rory affichait un grand sourire. Tim s’approcha d’un pas prudent, s’attendant plus ou moins à ce que Rory s’écarte de nouveau. Celui-ci ne bougeant pas, Tim fit un autre pas et se trouva ainsi dans son espace personnel. Rory ne le regardait pas vraiment, mais il souriait toujours, aussi Tim se haussa-t-il sur la pointe des pieds pour déposer un baiser furtif sur sa barbe. 

— Écoute la musique et bouge à son rythme.

Peu à peu, Rory se laissa aller contre Tim, la joue posée sur sa tempe.

C'était une expérience curieusement intime. Tim n'avait pas avoué à son compagnon que lui non plus n'avait jamais dansé avec un autre homme. Ce n'était pas recommandé au Tonneau Rapide. Et pas davantage au bar La Poignée, le seul endroit que Tim connaissait où les hommes pouvaient exprimer librement leur sexualité, parce les clients étaient là pour s'enivrer ou baiser, pas pour danser.

Reportant son attention sur Rory, Tim posa une main sur sa nuque et, tout doucement, s'empara de ses lèvres. Son geste sembla aider son amant à se relaxer.

Les deux hommes commencèrent à se déplacer lentement. Leur rythme n'était pas parfait, mais Tim s'en fichait. Ce qui importait, c'était qu'ils bougent ensemble, qu'ils s'embrassent tendrement, et que Rory oublie un peu son appréhension.

Lorsque Tim ouvrit les yeux, il remarqua Izzie qui les fixait d'un regard plein d'étoiles. D'un coup de coude, elle indiqua à Hugh de lui aussi les regarder. Tim fit pivoter Rory pour leur tourner le dos. D'après lui, Rory n'avait vraiment pas besoin de comprendre qu'ils attiraient l'attention.

À la fin de la chanson, Rory s'écarta pour le regarder dans les yeux.

— Alors ? s'enquit Tim. Ce n'était pas si dur, hein ?

Rory esquissa un sourire timide.

— C'était très sympa, en fait.

Déjà, une autre chanson débutait, plus rapide, moins langoureuse. Tim reprit Rory dans ses bras pour le guider.

Ce ne fut pas facile, ils ne cessaient de s'écraser les pieds, mais Tim fut heureux de voir Rory sourire.

— Manifestement, il faudra qu'on s'entraîne, admit-il.

Il attira Rory plus près, mais pas pour danser. Il se contenta d'appuyer son front contre celui de son amant.

— Tu sais, chuchota-t-il, je danserai avec toi aussi souvent que tu voudras.

Lorsqu’il s’endormit enfin, il était très tard. Il n’arrivait toujours pas à comprendre la multitude de sentiments que Tim avait éveillés en lui.