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Imaginons donc un être dont le cerveau soit hanté de fantômes qui ont une tendance à la réalité, comme les images ont une tendance hallucinatoire, et qui, en même temps, ne soit pas encore doué de la volonté nécessaire pour agir, ou pour projeter ses fantômes après avoir lutté contre eux. Je pense que cet être n'est pas rare, et qu'il représente même un moment de l'évolution intellectuelle de beaucoup d'artistes de notre temps. L'intelligence et l'esthétique intérieure se forment bien plus tôt que la volonté.
(La perversité)
Afficher en entierLe souvenir de la première fois où on a lu un livre aimé se mêle au souvenir du lieu et au souvenir de l'heure et de la lumière.Aujourd'hui comme alors,la page m'apparaît à travers une brune verdâtre de décembre,ou éclatant sous le soleil de juin,et,près d'elle,de chères figures d'objets et de meuble qui ne sont plus.Comme,après avoir longtemps regardé une fenêtre,on revoit,en fermant les yeux,son spectre transparent à croisières noires,ainsi la feuille traversée de ses lignes s'éclaire,dans la mémoire de son ancienne clarté.L'odeur aussi est évocatrice.Le premier livre que j'eus me fut rapporté d'Angleterre par ma gouvernante.J'avais quatre ans.Je me souviens nettement de son attitude et de ses plis de robe,d'une table à ouvrage placée vis-à-vis de la fenêtre,du livre à couverture rouge,neuf,brillant,et de l'odeur pénétrante qu'il exhalait entre ses pages:une odeur âcre de créosote et d'encre fraîche que les livres anglais nouvellement imprimés gardent assez longtemps.De ce livre je reparlerai plus tard :j'y ai appris à lire.Mais son odeur me donne encore aujourd'hui le frisson d'un nouveau monde entrevu,et la faim de l'intelligence.Encore aujourd'hui je ne reçois pas d'Angleterre un livre nouveau que je ne plonge ma figure entre ses pages jusqu'au fil qui le broche,pour humer son brouillard et sa fumée,et aspirer tout ce qui peut rester de ma joie d'enfance.
Afficher en entierL’ombre lente et fluette me conduisit beaucoup parmi l’herbe noire des enfers, où nos pieds se teignaient aux fleurs du safran. Et là j’eus le regret des îles dans la mer pourprée, des grèves siciliennes rayées de chevelures marines et de la lumière blanche du soleil. Et l’ombre aimante comprit mon désir. Elle toucha mes yeux de sa main ténébreuse et je vis remonter Daphnis et Chloé vers les champs de Lesbos. Et j’éprouvai leur douleur de goûter parmi la nuit terrestre l’amertume de leur seconde vie. Et la Bonne Déesse donna la taille du laurier à Daphnis, et à Chloé la grâce de l’oseraie verte. Aussitôt je connus le calme des plantes et la joie des tiges immobiles.
Alors j’envoyai vers le poète Herondas des mimes nouveaux parfumés du parfum des femmes de Cos et du parfum des fleurs blêmes de l’enfer et du parfum des herbes souples et sauvages de la terre. Ainsi le voulut cette fluette ombre infernale.
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