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Tugdual sourit et Oksa se rendit compte qu'elle avait envie de faire un geste absolument incongru:l'embrasser. Elle écarquilla les yeux,stupéfaite de l'inconvenance de ses pensées dans de telles circonstances.

-Patience...,articula Tugdual du bout des lèvres.

Une fois de plus,il avait lu dans ses yeux ce qui se passait dans sa tête.

-Arrête de sourire, s'il te plaît,chuchota-t-elle, le rouge aux joues.

-Et si je désobéis?

-Si tu désobéis? C'est très simple, je te fais enfermer dans le sous-sol le plus sordide de la Colonne de Verre jusqu'à ce que tu moisisses.

-Il n'y a pas de sous-sol sordide dans la Colonne,rétorqua Tugdual,amusé.

-Eh bien,j'en ferais construire un spécialement pour toi! Il sera très glauque et tu feras moins ton malin, je te le garantis!

-Tu n'as pas peur qu'on pense de toi que tu es une horrible dictatrice si tu fais ça?

-Non,mon cher,car tout vaut mieux que de supporter un jour de plus ton petit sourire en coin.

Le regard brillant,elle détourna la tête,sans toutefois pouvoir cacher ses fossettes qui se creusaient joliment.

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-Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça? soupira-t-il [Pavel]. Comment, moi qui suis si raisonnable et si prudent, puis-je avoir une fille pareille? Je pourrais être l'heureux papa d'une adorable adolescente qui ne pense qu'à se vernir les ongles et à faire du shopping ou de la natation synchronisée... Au lieu de cela, la nature m'a attribué une espèce de tête brûlée obstinée qui n'a qu'un seul but dans la vie: tourmenter son pauvre père!

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-Viens près de moi,murmura Tugdual

La Jeune Gracieuse savait qu'il ne dirait rien de plus.Elle se laissa envelopper par ses bras et se pelotonna contre lui.Le besoin de contact physique devenait chaque jour plus présent et dépassait de loin ses tendre émotions de ses quatorze ans.Aujourd'hui,elle avait plus de seize ans et le contraste la tourmentait sans répit.Elle caressa le torse de Tugdual à travers le tissu de son tee-shirt noir,alors que son coeur s'enflammait

-Je ne suis pas normal...,souffla-t-elle

Tugdual l'embrassa au coin des lèvres.

-Tu es la Jeune Gracieuse,je te signale. Cela fait de toi quelqu'un de différent,pas d'anormal.

Oksa se colla encore d'avantage contre lui et finit par céder à son envie de passer la main sous le tee-shirt du garçon. Sa peau était douce.Incroyablement douce.

-Je voudrais rester comme ça jusqu'à la fin de ma vie.

-Tu finirais par t'ennuyer.

-J'adore être avec toi.

Je ne suis jamais très loin, assura Tugdual avant de l'embrasser

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- Epuisée, crasseuse et perdue, voilà ce que je suis..., répondit-elle d'une voix atone .

- L' épuisement et la crasse peuvent rencontrer l'effacement grâce à la générosité du repos et de la savonnette, rétorqua le Foldingot .

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- H, u, m, o, u, r..., répétait-il avec une expression empreinte d'incertitude.

[...]

- Ca fait six lettres, conclut l'Insuffisant, visiblement content de cette découverte.

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[...]

- Oh toi ! rugit-elle !

Tugdual attrapa ses poings pour la stopper et la serra de force contre lui. Furieuse, Oksa tenta de se dégager alors que les échos d'un violent orage parvenaient jusqu'au souterrain en faisant tomber de minces particules de terre.

- Calme-toi..., chuchota Tugdual à son oreille. Je t'en prie.

Il ressera son étreinte comme pour la contraindre de lui obéir et Oksa sentit le coeur du garçon battre sourdement contre elle. Submergée par un vague de chaleur irrésistible, elle capitula.

- Tu m'as trop manqué ! Lança-t-elle entre ses dents. Je te déteste !

Tugdual rit légèrement et, la main sur la nuque de la jeune fille, il 'lobligea à poser la tête contre son épaule. Elle se laissa faire, et finit même par entourer la taille de Tugdual de ses bras. [...]

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-Hé ! s'offusqua Oksa. Mais qu'est-ce que je t'ai fait ?

Tugdual resta silencieux et détourna la tête.

-Tu crois peut-être que je voulais que ça se passe comme ça ?fit la jeune fille avec un cris rauque. Ce n'est quand même pas de ma faute, non ?

Les narines pincées, elle s'agrippa au rebord de pierre et tendit les bras. Elle avait une terrible envie de hurler, de s'envoler et de disparaître. Un grondement de frustration et de colère pris naissance au fond de sa gorge et la fit grimacer.

-Tu trouve que ce n'est déjà pas assez compliqué comme ça . poursuivit-elle, les larmes prêtes à jaillir. Non, il faut que tu en rajoute et que tu me fasses culpabiliser.

Soudain Tugdual se retourna et la fixa. Son expression ébranla Oksa. Ses yeux semblaient envahis par de l'encre en fusion, noire et corrosive. Oksa avait-elle déjà vu pareille souffrance dans un regard ? Certainement pas.

-Je vais revenir vite, je te le promet ! fit-elle. Tu n'auras pas longtemps a attendre.

Son ton s'était radouci. Tugdual voulu dire quelque chose, mais en fut incapable.

-Parle-moi, s'il te plaît..., supplia Oksa. Ne me laisse pas comme ça.

Les mots refusaient de sortir.

-C'est à cause de Gus ? insita Oksa.

Le jeune homme se contracta.

-Je t'aime, Tugdual.

Cette déclaration, à peine murmurée, la surprit elle-même. Jamais elle n'avait dit ce genre de chose à quiconque. Jamais Tugdual se rendrait-il compte de ce que cela représenter ?

Mais face à elle, l'encre noire sembla se transformer en un venin dévastateur. Tugdual effleura sa joue du bout des doigts et, sans un mot, s'envola dans le ciel sillonné de marbrures violettes.

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Oksa se figea malgré la frustration qui rendait sa respiration saccadée.

-Pourquoi tu ne me fais pas confiance? réussit-elle à articuler

Tugdual resta parfaitement immobile cette fois.A croire qu'il n'avait pas entendu la question d' Oksa.Puis,soudain,il ouvrit les vannes,comme il avait su le faire sur le bateau qui menait les Sauve-Qui-Peut jusqu'à l'île de la Mer des Hébrides.

-Tu veux que je te dise quoi? Que j'ai eu aussi mal de te voir partir auprès d' Ocious que j'avais eu mal en voyant partir mon père? Que la pensée d'avoir tout perdu m'a rendu presque fou?Que je me suis égaré dans ces montagnes sans chercher à être sauvé?Les Vigilantes ont failli me tuer alors que j'aurais pu les réduire en fumée,j'avais tout pour le faire. Mais je souffrais tant que la mort m'importait peu,si tu veux tout savoir. J'ai laissé ces gens me sauver uniquement parce qu'ils avaient besoin de moi.Est-ce que tu peux comprendre ce que cela signifie? J'avais besoin qu'on ait besoin de moi!

Il martela ces derniers mots avec toute la force du désespoir qui l'accablait et Oksa en fut pétrifiée.Le souffle coupé,elle resta inerte et,quand son corps lui fit signe qu'elle était au bord de l'étouffement, elle eu un violent soubresaut, comme lorsqu'elle se réveillait après un cauchemar. Et son trouble ne fut pas dissipé quand Tugdual prit son visage entre ses mains pour l’embrasser avec une intensité décuplé par ses révélations intimes.

-Il faut être sacrément solide avec toi...,murmura-t-elle.

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Rendez-vous avec la destinée

Dans les profondeurs du septième sous-sol de la Colonne de Verre, la porte flamboyait avec l’intensité fascinante du métal en fusion. Le souffle court, Oksa plissa les yeux, éblouie par les faisceaux aveuglants qui jaillissaient autour de l’encadrement et par le trou de la serrure. L’heure était enfin venue, elle allait entrer dans la Chambre de la Pèlerine. Depuis la découverte de ses dons extraordinaires dans la maison londonienne jusqu’à son arrivée à Édéfia, des images du passé lui revinrent en rafales, fouettant sa mémoire et confirmant sa détermination. Elle inspira à fond avant de se retourner. Debout en arc de cercle, tout le monde la fixait, son père et les Sauve-Qui-Peut au centre, sévèrement encadrés par Ocious et les Félons au regard féroce. Ils étaient tous là. Tous, sauf les quatre personnes dont l’absence creusait dans son cœur un vide abyssal : sa mère et celui qui était plus qu’un ami, Gus ; Dragomira, sa grand-mère disparue ; Tugdual, l’insaisissable jeune homme dont elle était résolument amoureuse. Oksa fronça les yeux, à la fois pour empêcher quiconque de lire dans son regard la violente émotion qui l’étreignait et pour se protéger de l’intense éclat émanant de la porte. Reflétée par les murs couverts de pierres précieuses dont les innombrables facettes l’amplifiaient à l’infini, la luminosité devenait plus forte de seconde en seconde. Mais l’éclat le plus pénible était généré par les Chiroptères Tête-de-Mort et les Vigilantes qui créaient un effet stroboscopique insupportable par leur voltige incessante au-dessus des Sauve-Qui-Peut. Tentée de lancer un Feufoletto pour abréger le supplice, Oksa jeta un coup d’œil écœuré aux immondes chauves-souris et aux non moins immondes chenilles ailées.

- Nous y voilà enfin ! susurra Ocious en claquant des doigts en l’air, interrompant immédiatement les allées et venues de ses escortes volantes.

Le majestueux centenaire s’avança de quelques pas en direction d’Oksa. Pavel Pollock se raidit sous le regard d’Abakoum - le sage Homme-Fé - qui fit un geste d’apaisement.

- J’attends ce moment depuis tellement longtemps... continua Ocious avec une jubilation évidente. Et pourtant, depuis que tu es parmi nous, chère enfant, c’est comme si le poids de toutes ces années n’avait plus aucune importance. La Chambre de la Pèlerine est réapparue, tu vas y entrer afin d’être intronisée puisque c’est toi qui as été choisie pour devenir notre nouvelle Gracieuse, celle qui me permettra... qui nous permettra de mener à bien notre mission.

- Votre mission ? Mais vous êtes complètement mégalo ! répliqua Oksa, les poings serrés. Et puis sachez que ce n’est pas pour vous que je suis là, c’est pour sauver les Deux Mondes ! Vous, vous ne servez à rien. À rien du tout.

Un sourire ironique figea le visage du Félon.

- Quelle pauvre gamine... fit-il. Que tu es naïve !

- Vous vous prenez pour le Maître d’Édéfia, poursuivit Oksa sur un ton fulminant, mais vous n’êtes rien d’autre qu’un vieux psychopathe sans avenir. Vous avez été un fléau pour le peuple de cette magnifique Terre qui est en train de mourir par votre faute et pourtant, vous continuez de croire que vous êtes le plus puissant. Je vous trouve... pathétique ! Vous ne pouvez pas éprouver un peu de remords, pour une fois ? Il est encore temps de montrer à tous que vous êtes un homme et non un monstre.

- Oksa ! souffla Pavel d’un air suppliant. Tais-toi. Hors d’elle, la jeune fille tira sur le bas de son tee-shirt bleu au risque de le déchirer. - Peu m’importe ton jugement insolent, fit Ocious avec un rictus méprisant, car en attendant, c’est moi qui ai le pouvoir de vie et de mort sur les tiens. Il fit un signe de la main et les gardes aux armures de cuir postés tout autour de la vaste salle ronde resserrèrent les rangs pour surveiller de façon plus étroite encore les Sauve-Qui- Peut. Avec une rapidité qui surprit tout le monde, il bondit aux côtés de Pavel et enserra son cou d’une poigne de fer. Puis, se redressant de toute sa hauteur, il darda sur Oksa un regard fielleux

- Alors tu vas me faire l’immense plaisir d’entrer dans cette Chambre, de rétablir l’équilibre et de ressortir pour m’ouvrir le Portail. C’est bien compris, ma petite ?

Oksa n’eut pas le temps de répondre, son attention soudain perturbée par un mouvement au sommet de la voûte couverte de joyaux bleus.

Un splendide oiseau aux ailes de feu volait au milieu des Chiroptères et des Vigilantes qui s’effaçaient à son passage. Il tournoya au-dessus des têtes avec une grâce silencieuse avant de se poser aux pieds d’Oksa. L’instant, incroyablement solennel, suspendit les souffles et les battements de cœur de tous, Félons comme Sauve-Qui-Peut.

- Mon Phénix ! murmura Oksa.

Après s’être inclinée, la créature céleste tendit la patte et déplia ses griffes pour libérer une clé ornée d’une étoile à huit branches. L’emblème d’Édéfia dont Oksa portait l’empreinte autour de son nombril et qui avait bouleversé toute sa vie. La clé tomba sur le sol en faisant voltiger de minuscules poussières pailletées alors que le Phénix émettait un croassement guttural avant de reprendre son envol et de disparaître dans les hauteurs du dôme.

- Ma Jeune Gracieuse fait désormais la possession de l’ultime élément, annonça un petit être joufflu en se précipitant pour ramasser la clé et la présenter à Oksa.

- Merci mon Foldingot, fit la jeune fille, la main tendue.

Surprise par le poids excessif de la clé et par son contact glacé, elle manqua de la lâcher. À quelques mètres, la porte de la Chambre se dilata en mugissant sous l’effet de l’incandescence. Oksa frémit.

- Les flammes de l’enfer... grimaça-t-elle. Une main se posa sur son épaule.

Non, ma chère petite, fit Abakoum à son oreille. Le rendez-vous avec ta destinée... Oksa plongea son regard d’ardoise dans les yeux verts de l’Homme-Fé et lui adressa un pâle sourire. Se sentir puissante et être réellement puissante, ce n’était pas tout à fait la même chose...

- Vous permettez que j’encourage ma fille ? gronda Pavel en tentant de se dégager de la poigne d’Ocious.

- Si cela peut vous faire plaisir... répliqua Ocious. Il le lâcha et braqua sa Crache-Granoks dans sa direction. Le visage défait, Pavel s’approcha d’Oksa et la pressa si fort contre lui qu’elle put percevoir que son cœur battait à la volée.

- Tout va bien se passer, Papa, se surprit-elle à annoncer.

Alors, s’empêchant de regarder quiconque et bloquant son esprit pour ne pas penser, elle s’avança vers la Chambre qui débordait de lumière.

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— C'est Édéfia, n'est-ce pas, Baba ? On est là ?

— Oui..., répondit l'ombre. Mais regarde ce qui nous attend.

Tel un laser, le rayon lumineux poursuivit sa progression sous la surface de la Terre pour s'engouffrer dans ses entrailles jusqu'au noyau. Un noyau qu'Oksa fut persuadée de voir palpiter.

— Mais j'ai toujours cru que le centre de la Terre était inerte ! balbutia-t-elle. Si je me souviens bien de mes cours, c'est censé être du fer, non ?

— N'oublie pas que tout ce qui constitue notre monde est vivant, corrigea Dragomira. Écoute, ma petite fille...

Oksa tendit l'oreille et ne tarda pas à percevoir des battements faibles et irréguliers comme ceux d'un cœur malade.

— Laisse-moi deviner, Baba... On va devoir réparer le noyau de la Terre ? Comme des mécaniciens ? Ou des chirurgiens ?

Dragomira marqua un silence avant d'annoncer d'une voix émue :

— Je dirais plutôt que nous allons soigner et sauver le cœur des Deux Mondes, ma Douchka. Comme des Gracieuses.

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