Extraits

Au collège où Liv fait sa rentrée, « les filles doivent porter une jupe noire, plissée, mi-longue ». Alors la jupe, pourquoi pas, mais le problème, c'est que Liv ne se reconnaît pas dans cette contrainte : « J'ai peut-être l'apparence d'une fille, mais à l'intérieur, je suis un garçon. »

— Alors ton attelle au poignet, c’était à cause de ton hyperlaxité ? Ce n’était pas parce que tu t’étais cassé la figure en skate ?

— Désolé d’avoir menti.

— Est-ce que tu fais du skate en vrai ?

— Bien sûr que oui ! Maman a horreur de ça, mais elle me laisse faire. Elle sait que je veux mener une vie normale. Bref, ce n’est pas bien grave. Je dois vivre avec, c’est tout. Mais ça ne regarde que moi.

— Du coup, tu le caches à tout le monde ? (Je pris conscience d’une chose.) Comme j’ai voulu cacher mes mères, ajoutai-je à voix basse.

Il acquiesça d’un hochement de tête et esquissa un demi-sourire.

— J’imagine que c’est un peu pareil, oui.

Soudain, tout prit sens. Je me mis debout.

— Mais nous n’avons aucune raison d’avoir honte, ni l’un ni l’autre. Pourquoi devrait-on cacher qui nous sommes ? On est des personnes géniales !

Oui, mon petit frère était habillé en Superman. Mais pas le modèle lambda, car il ne possède pas la tenue officielle. Il portait ses baskets défoncées avec ses chaussettes de Superman remontées jusqu'aux genoux.

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Certaines personnes trouvaient qu'il avait l'air ridicule, mais en vérité ça n'était pas le cas. Il avait l'air cool, et c'était la première fois que je pensais à lui en ces termes. Ce n'était pas tant sa tenue sinon le fait qu'il se fichait du regard des gens. Il se sentait bien dans son costume. Même s'il ne ressemblait pas vraiment à un super-héros, il avait le sentiment d'en être un.

Certains enfants nous pointèrent du doigt, d'autres se moquèrent. Je remarquai même un couple se donnant un petit coup de coude en souriant. Ils croyaient sûrement être discrets. Je les foudroyai tous du regard.

Dans la file d'entrée du cinéma, un petit gamin fixa Enzo bouche bée, à la manière complètement naturelle et franche qu'ont les mômes. J'aurais pu lui lancer une balle de tennis dans la gorge. J'étais sur le point d'aller trouver le père de l'enfant pour lui dire d'inculquer les bonnes manières à son fils, mais je me suis aperçu qu'Enzo souriait à l'enfant. Ce dernier lui rendit son sourire, du coup Enzo prit la pose, les mains sur les hanches et le torse bombé.

— Superman !

L'enfant poussa un cri perçant ; Enzo éclata de rire et s'éloigna.

Oui, mon petit frère était habillé en Superman. Mais pas le modèle lambda, car il ne possédait pas la tenue officielle. Il portait ses baskets défoncées avec ses chaussettes de Superman remontées jusqu'aux genoux. Chaque chaussette arborait une petite cape voletant dans son sillage quand il courait. Il portait aussi un short bleu même s'il faisait trop froid pour ça, par-dessus lequel il avait enfilé un slip rouge décoloré. Le tout surmonté d'un haut de pyjama Superman beaucoup trop petit qui exposait son nombril.

Certaines personnes trouvaient qu'il avait l'air ridicule, mais en vérité ça n'était pas le cas. Il avait l'air cool, et c'était la première fois que je pensais à lui en ces termes. Ce n'était pas tant sa tenue sinon le fait qu'il se fichait du regard des gens. Il se sentait bien dans son costume. Même s'il ne ressemblait pas vraiment à un super-héros, il avait le sentiment d'en être un.

Cette pensée me trotta dans la tête pendant tout le film, déjà nul à la base, et plus mauvais de minute en minute. J'étais fier de mon petit frère. On avait beau le pointer du doigt, ricaner ou le fixer des yeux, il s'en moquait parce qu'il était bien dans sa peau. Il était heureux. C'était tout ce qui comptait à ses yeux.

Peut-être avais-je une leçon à apprendre d'Enzo.

— Ça n'est pas si terrible, quand même ? (Je pivotai face à lui ; il était appuyé contre l'encadrement de la porte.) Je parle de la jupe.

Je savais la réponse qu'il attendait de moi. Il voulait que je lui dise qu'il avait raison, que ça ne me dérangeait pas de porter une jupe. Que c'était juste une idée qui m'était venue comme ça, et que d'ici quelques jours, je n'y songerais plus.

— En vérité, monsieur, c'est horrible. Vous aimeriez porter une jupe, vous ?

Il secoua la tête.

— Voilà que vous dites des sottises.

Je jetai un coup d’œil derrière moi pour m'assurer que nous étions seuls et je fis quelques pas dans sa direction.

— Je ne cherche pas à dire des sottises. Vous affirmez que vous n'aimeriez pas porter une jupe, alors pourquoi moi j'y suis obligé ?

Il commençait à s'agacer. Je poussai ma chance.

— Parce que vous êtes une fille !

Je parie que si je lui avais révélé mon Secret à ce moment-là, il ne l'aurait pas écouté. Les gens se limitent à ce qu'ils voient, n'est-ce pas ? Et M. Lynch ne voyait pas qui j'étais. Il voyait une fille.

— Ce n'est pas si simple, monsieur, répliquai-je calmement, veillant à ne pas élever la voix.

Il poussa un soupir si profond que si on l'avait percé avec une aiguille, il se serait dégonflé comme un ballon.

— Pourquoi ai-je le sentiment que cette histoire n'est pas finie ?

Un sourire faillit m'échapper, mais je le réprimai. J'étais très sérieux.

— Parce qu'elle ne l'est pas, monsieur.

Quelques secondes plus tard, il se retourna, brandissant sa trousse d'un air triomphant.

C'était la même que la mienne. Sauf que la sienne était vieille, criblée de trous de compas et bariolée de feutre. La mienne était toute neuve, achetée exprès pour la rentrée. Granny m'en avait choisi une rose mais heureusement Mom avait pris ma défense ("Tu sais bien que Liv n'aime pas le rose !"). Le jour suivant, Mom m'avait emmené au magasin, où j'avais opté pour la trousse noire, blanc, et gris, couleur camouflage. Ça me donnait l'impression d'être une sorte de guerrier urbain. (Un guerrier urbain armé jusqu'au cou de stylos, de feutres et d'une règle Ty-Rex que j'avais volée à Enzo.)

— C'est pas un peu trop viril pour toi ? commenta Jacob avec un sourire.

Je ne comptais plus le nombre de fois où j'avais entendu ce genre de remarques stupides. C'était tellement rebattu.

— Ça n'est pas un peut trop viril pour toi ? rétorquai-je en le foudroyant du regard.

On se dévisagea pendant quelques secondes en chiens de faïence. Est-ce qu'il allait falloir que je me batte avec lui ? Ça n'aurait pas été la première fois. C'est alors qu'il éclata de rire.

— OK, je l'ai mérité. C'était bien envoyé. Chouette prénom, au fait.

— Merci, dis-je. J'aime bien ta montre.

Jacob consacra les cinq minutes suivantes à me décrire toutes les fonctionnalités de sa montre de plongée. J'étais hyper jaloux. En même temps, j'étais heureux, autant qu'on puisse l'être le jour de la rentrée, affublé de vêtements qui ne vous correspondent pas du tout. Jacob Arbuckle ne m'avait peut-être pas fait une bonne première impression, mais apparemment, je m'étais trompé. D'ordinaire, je déteste avoir tort, pourtant, dans le cas présent, ça ne me dérangeait pas plus que ça.