Extraits

Au sein des Editions Stamos, Tess supervisait la production. Cela faisait quelques mois qu’Alex et sa sœur avaient décidé de moderniser l’entreprise familiale en lui faisant prendre un virage éditorial risqué, et leur stratégie semblait vouloir payer. Ils avaient abandonné les guides et manuels en tout genre que les Editions Stamos publiaient depuis leur création pour se spécialiser dans les romans graphiques, un genre littéraire qu’Alex lui-même appréciait beaucoup et pour lequel il était prêt à se battre coûte que coûte. Et, depuis un an, il ne ménageait pas sa peine.

Alex Stamos s’enfonça dans l’obscurité. Dans la tempête de neige qui faisait rage, les phares de sa voiture n’étaient d’aucune utilité. La visibilité était nulle et, même en roulant au pas, il dérapait sur la chaussée glissante.

Même s’il avait été beaucoup sollicité depuis qu’il avait pris la tête des Editions Stamos, c’était la première fois qu’il risquait sa vie pour son travail. Lorsqu’il se pencha vers le siège passager pour attraper son téléphone qui sonnait, sa voiture fit une nouvelle embardée.

Cela faisait quelques années déjà qu’Angela écrivait. Depuis qu’elle avait abandonné ses études de psychologie pour se consacrer au journalisme. Mais cela n’avait pas été évident tous les jours de trouver du travail et elle avait connu quelques fins de mois difficiles. Comme elle travaillait trop peu à son goût, elle avait au départ vu son blog comme une occasion d’exercer sa plume au quotidien. Mais le succès grandissant de son site n’avait pas tardé à attirer les annonceurs et elle réussissait à présent à en vivre. Pourtant, elle ne se sentait toujours pas légitime en tant qu’auteur et journaliste. Après tout, n’importe qui pouvait créer un blog. Ecrire un livre était une tâche bien plus difficile. C’était pour cela que ce projet lui tenait spécialement à cœur et qu’il fallait qu’elle fasse tout pour qu’il aboutisse.

– C’est une évidence, Angie. Nous sommes toutes comme toi. Si nous n’aimions pas autant les hommes, pourquoi essayerions-nous à tout prix de les rendre meilleurs ? Et nous te sommes toutes reconnaissantes de prendre les choses en main.

– Au fait, est-ce que tu as des nouvelles d’Alex Stamos ? demanda Angela qui s’était remise à penser à son livre. Ça fait une semaine que je lui laisse des messages.

– Le compteur des appels a explosé, dit le producteur de l’émission qui venait de les rejoindre, tout excité. C’est la première fois qu’on a autant de coups de téléphone à cette heure d’écoute. Il faut absolument qu’on programme une nouvelle interview pour le mois prochain. On pourrait même envisager une émission un peu plus longue quand votre livre sortira.

– Ce serait super, je vous remercie. Est-ce que c’est bon ? demanda-t–elle en se levant. Je peux m’en aller ?

– Nous n’allons pas vous retenir plus longtemps, Angela, dit Kelly Caulfield. Vous pouvez rentrer chez vous et vous dépêcher de finir votre livre. Et, si je puis me permettre, ajouta-t–elle en aparté, je trouve pour ma part que Danny Devlin mérite cinq cœurs brisés.

Angela ouvrit la bouche pour répondre, avant de se raviser. Elle devait peser ses mots si elle ne voulait pas que l’interview tourne à son désavantage.

– M. Devlin possède un droit de réponse, c’est bien évident, dit-elle posément. Chacun est libre d’exposer son point de vue, du moment que le débat reste cordial.

– J’imagine que l’intéressé vous a entendue. Et maintenant, Angela, parlez-nous un peu de votre livre.

– Avant de faire venir un plombier chez vous ou de vous rendre chez un nouveau médecin, vous cherchez à vous renseigner à leur sujet, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est la même chose ici. Nous mettons tous les témoignages à la disposition des lectrices, mais, après, c’est à elles de se forger leur propre opinion. Et, honnêtement, je pense que nous faisons un travail utile. Nous avons même démasqué bon nombre de maris volages.

– Bonjour, Chicago ! Ici Kelly Caulfield. Je suis avec notre invitée du jour, Angela Weatherby dont le site internet – Baratineurs. com – créé il y a deux ans à peine est devenu un véritable phénomène national. Ce qui au départ avait été conçu comme un forum pour que les célibataires de Chicago malheureuses en amour puissent partager leurs expériences est devenu le répertoire de référence pour toutes nos compatriotes qui veulent éviter les déceptions sentimentales. Une sorte de liste noire des hommes à fuir coûte que coûte.

Lorsque Angela Weatherby aperçut son image sur les écrans de contrôle du studio de télévision, elle vit son air inquiet. Le sourire qu’elle s’empressa d’afficher ne changea rien à l’affaire : elle se sentait mal à l’aise.