Extraits

— Tu n’es pas un raté, répliqua-t-il fermement, sans cesser de lui caresser le dos. Mec, tu es un putain de Navy SEAL. Tu ne seras jamais un raté sous prétexte que tu aimes les queues.

Zack secoua la tête, mais lui adressa un sourire las.

— Ma famille ne verra pas les choses comme ça. Toutes les bonnes choses que j’ai faites, toutes les décisions que j’ai prises, rien de tout ça n’aura d’importance si je suis gay. Alors, ça fait dix ans que je me persuade que je ne le suis pas. Peu importe ce qu’il se passe dans ma tête quand je… tu vois. Je me disais que je pouvais être hétéro si je le souhaitais assez fort.

Il bascula sans se soucier de la rudesse de la chute, laissant simplement tous ces sentiments agréables exploser en lui, l’éviscérer, jusqu’à ce qu’il ne reste plus de lui qu’un tas informe d’os mous sur le lit.

Et s’il avait possédé les mêmes muscles ciselés que son colocataire, lui non plus ne porterait pas de tee-shirt à la maison. Il se planterait devant un miroir pour s’admirer, plutôt.

Il avait ce sourire de Pike, celui qui était pareil à une caresse intérieure et qui lui échauffait agréablement la peau, comme s’il s’était allongé au soleil au début du printemps.

— Tout ce que je sais, c’est que j’en ai marre de me haïr chaque seconde de chaque jour, et quand je suis avec toi, je me déteste un peu moins. Je viens de passer une année à essayer de déterminer ce que j’étais, mais à tes côtés, j’ai l’impression que la réponse est sous mon nez.

— Tu aimes souffrir ? À vrai dire, je ne devrais pas être surpris, vu ce que vous faites endurer à vos corps, mais…

— Ce n’est pas vrai, le coupa-t-il.

Franchement, encore une chose qu’il niait ? Cela dit, celle-ci, il était quasiment sûr que ce n’était pas la vérité. Il ne réagirait pas ainsi face à n’importe quelle personne le touchant et s’occupant de lui. Il s’était fait soigner plein de fois sans bander pour autant avant ce jour.

Pike inclina la tête, comme s’il ne le croyait pas, puis se pencha pour examiner les éraflures sur son visage, qui n’étaient vraiment rien. Zack avait récolté pire avec la course d’obstacles. Bien sûr, personne ne s’était jamais occupé de lui ainsi. Pas comme ça. C’était trop agréable, et il se dit qu’il devrait reculer…

Il eut un brusque mouvement vers l’arrière à l’instant précis où Pike se rapprochait, si bien que ce dernier tomba sur lui. Bordel de merde. Il avait Pike sur les genoux, plaqué à son torse et son cou, essayant de se redresser en mettant les mains sur ses épaules. C’était comme les premières secondes d’un saut HALO, exaltant, avec l’air hurlant à ses oreilles tandis qu’il attendait l’étape suivante.

Car il y aurait forcément quelque chose. Il le percevait à la respiration hachée de Pike, à la façon dont ce dernier se rapprochait davantage, à la manière dont lui-même ne fuyait pas, attrapant plutôt son dos comme pour le maintenir en place. C’était dans le regard que Pike posa sur ses lèvres, à quelques centimètres des siennes. Dix centimètres, cinq, un, quelques millimètres…

Pause.

Tout se figea en cet instant.

Quelque chose devait se passer. Tout… de suite. Leurs bouches s’écrasèrent l’une sur l’autre, comme s’ils avaient glissé, mais Zack savait ce qu’il en était. C’était délibéré. C’était un baiser, un acte qu’il aurait juré ne pas aimer du tout, jusqu’à deux secondes plus tôt. On l’avait déjà embrassé. Des copines de lycée et de fac, et il avait suffisamment pratiqué pour savoir qu’il n’aimait pas vraiment ça, qu’il ne ressentait pas la même chose que les autres mecs quand lèvres et langues s’emmêlaient. À ses yeux, cela avait été humide. Et brouillon. Et trop, trop intime.

Mais ça ? Ça, c’était tout à fait différent. C’était un vrai baiser, une bête qu’il n’avait pas encore apprivoisée, pas ainsi tout du moins. Aucun doute, il embrassait un homme. Pike sentait l’homme, avait un goût d’homme et l’empoignait avec la force d’un homme

— Fichue notice merdique, grommela-t-il.

— Tu veux un coup de main ?

Pike avait surtout proposé pour voir son colocataire grimacer et débattre pour savoir s’il allait accepter ou non. Il pencha la tête d’un côté, puis de l’autre, souffla fort et donna un petit coup de pied à une planche. Enfin, il poussa un nouveau soupir.

— Tu parles suédois et tu sais lire les hiéroglyphes ?

— Je parle couramment l’ikeais.

— C’est quoi le vrai problème, mon pote ? Tu ne veux pas raquer pour des draps ? Je peux te passer mes parures de rechange. Et une couette aussi, je crois.

Oh, oui, une couette portant l’odeur de Pike. Il ne manquerait plus que ça. Et un Pike gentil, c’était presque pire qu’un Pike aguicheur.

— Je n’ai toujours eu qu’un lit simple, avoua-t-il. Chez moi, puis à la fac et à l’armée. Je ne saurais pas quoi faire de la place supplémentaire.

— J’ai bien quelques suggestions, répliqua sa mauvaise influence en lui faisant un clin d’œil dont il ressentit l’effet directement dans sa queue, qui avait quelques suggestions elle aussi. Non, plus sérieusement, tu n’es pas un type mince, Musclor. Tu vas aimer avoir plus d’espace.

— Du quoi as-tu besoin ? Un expert en travaux ? Parce que si c’est le cas, je suis ton homme.

— Tu es mon homme ?

Bon Dieu, le doute et la peur qui suintaient dans la voix de son vis-à-vis lui donnèrent envie de l’embrasser à perdre haleine, jusqu’à ce qu’il n’ait d’autre choix que d’accepter. C’est une très mauvaise idée. Oui, en effet, mais il y avait ce petit grain de folie qui l’habitait. Ça pourrait marcher.

Et le voilà de retour, ce besoin pressant de serrer le bras de Zack pour lui faire comprendre qu'il comprenait et qu'il appréciait son honnêteté.

Mais il ne pouvait pas, il ne pouvait que passer à l'oeuvre suivante, un collage de vieilles photographies de jeunes marins, arrangées pour former un bateau.

- Tu vois celle-ci ? Zack lui indiquait le centre du tableau. Les hommes sont le cœur du bateau. Chacun d'eux a une histoire.

Je veux connaître ton histoire. Je veux être plus qu'une note de bas de page de ce chapitre de ta vie. Je veux écrire notre histoire ensemble.

Putain. Il n'avait pas besoin de telles envies. Il fallait qu'il soit réaliste. Mais ensuite, Zack lui sourit, un millier de mégawatts de joie pure, et il sut qu'il était perdu.