Extraits

- Rentre chez toi. Maintenant.

Il s'éloigna en me tournant le dos. Je récupérai mon téléphone pour envoyer à Solange ce texto : Je n'aime pas ton frère. Je retournai à la voiture d'un pas lourd. Les chiens, faisant entendre de faibles grognements, m'avaient délaissée pour suivre Nicholas. J'espérais un peu qu'ils le mordent. Juste au niveau du cul.

Au moment même où j'allais saisir la poignée de la portière, une main se referma sur mon épaule et me fit tourner. Avant que je puisse émettre le moindre son, la bouche de Nicholas couvrait la mienne entièrement. Il m'attira un peu plus à lui d'un coup sec.

Ses yeux étaient d'un gris flou comme la pluie. Ses lèvres remuèrent, brièvement. C'était à peine un murmure, mais même ce son-là était noyé sous le semblant de baiser.

- Nous ne sommes pas seuls.

Je me raidis.

- Chut.

Il pencha la tête. Tout observateur aurait supposé qu'il m'embrassait et qu'il y prenait plaisir. Je reconnais que j'y prenais plaisir aussi.

Une ombre se déplaça à proximité des haies, avec une rapidité bien peu naturelle. Les grillons se turent.

Connaissant la finesse de l'ouïe des vampires, je lançai un coup d'oeil ostensible par-dessus l'épaule de Nicholas. Il ne prononça pas un mot, ne fit même pas un signe de tête, mais je savais qu'il avait compris. Il continua de m'embrasser, sortant précipitamment sa langue pour toucher la mienne. J'en oubliai tout autour de moi. Il m'éloigna lentement de la voiture en me guidant à reculons vers la maison.

- Ne cours pas.

Il me mordilla la lèvre inférieure.

- Je sais.

Craignant d'être la seule à éprouver toutes ces intéressantes sensations, je mordillai à mon tour. Ses mains se raidirent. Il avait la bouche contre mon oreille lorsque nous atteignîmes le porche. Sur la première marche, il glissa ses mains sur ma taille, sur mes hanches. Ses lèvres étaient habiles, méchamment délicieuses.

Parfaites.

- Ca fait quoi d'être fille unique ?

- Comment est-ce que je le saurais ? Tes frères me harcèlent tout autant que toi.

- Exact.

- Tu montes pas ? demandai-je.

Il s'approcha de moi.

- Dans une minute.

Je me sentais enfin réchauffée. La couverture glissa de mes épaules. Il me regardait comme s'il voulait m'éplucher comme une orange. Je me souvenais de la sensation de sa bouche sur la mienne. Je fronçai les sourcils, inquiète sans raison.

- Quoi ?

- J'ai juste envie d'essayer un truc.

Il me touchait avec douceur, ses doigts parcourant ma joue, mon bras, jusqu'à mon poignet. Ses yeux évoquaient la pluie en automne : violents, mystérieux, magnifiques.

Fascinants.

- Arrête, murmurai-je.

- Ne t'approche pas de Kieran, murmura-t-il. Il est dangereux.

- Et pas toi ?

- Faut voir.

Il franchit la distance qui nous séparait en un clin d'oeil à peine.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je n'en ai aucune idée, admit-il.

Ses lèvres effleurèrent presque les miennes.

- Je croyais que tu m'en voulais.

J'avais vraiment envie de me pencher en avant, juste un tout petit peu.

- C'est le cas.

- Tu es aussi en train d'utiliser tes charmes de vampire sur moi.

- ça ne marche pas sur toi.

- Va pas l'oublier.

Ma voix était douce comme de la crème fouettée et en contradiction avec mon sourire suffisant.

Nous ne fermâmes pas les yeux, pas même lorsque nos lèvres se touchèrent.

J'eus des picotements jusque dans les orteils. Je n'avais plus froid du tout.

A la vérité, on aurait dit que c'était le jour le plus long et le plus humide de l'été. Il avait la peau froide. J'avais un peu envie de le mordiller, comme s'il eût été une glace.

Lorsque sa langue toucha la mienne, mes paupières finirent par se fermer. Je m'abandonnai à l'instant, je m'y jetai presque.

Je voulais qu'il dure pendant au moins un an et demi. Je n'avais jamais éprouvé quelque chose de semblable.

Je pourrais ne plus m'en passer du tout.

Imaginez un peu si nous nous aimions pour de vrai.

Il remua le nez.

- T'as l'air d'un lapin dément, lui dis-je. Qu'est-ce que tu fais ?

- T'es passé au shampoing au citron.

Je clignai les yeux d'étonnement et repensai à ma douche du matin ; j'avais l'impression que cela remontait à des années. Il avait les poings serrés, mais sa voix était douce et rauque. Il détourna la tête ; il était si près que ses cheveux effleurèrent ma joue.

- Ca sent bon.

J'accompagnai ma démarche d'un déhanchement. J'étais persuadée que tous les agents d'Hélios-Ra apprenait à rouler des mécaniques au même titre que l'aiguisage de leurs armes et l'art et la manière d'appliquer l'eau bénite.

-Pourquoi boites-tu comme ça ? demanda Nicholas.

-Je roule des mécaniques, l'informais-je .

-On dirait que tu portes une couche.

Charmant. Et j'avais le béguin pour ce mec.

Attendez.

J'avais le béguin pour ce mec ?

Nicholas me retourna la main.Ses yeux s'embrasèrent, prirent la couleur du givre à la vue du sang sur mes poings. Je haussai les épaules penaude.

_J'ai failli lui casser le nez, dis-je avec un demi sourire.Faudra que je me démène davantage la prochaine fois.

Il lacha ma main et se recula.Il y avait sur son visage un je-ne-sais-quoi de féroce, même quand il esquissa un sourire.

_J'imagine que je devrais me réjouir de n'être pas le seul à qui tu donnes des coup de poing.

-Qu'est-ce que t'a fait tenir le coup? murmurai-je. Tu te souviens?

-Il acquiesça d'un signe de tête, mais refusait de ma regarder. Voyant qu'il ne développait pas, je me tournai pour me mettre en face de lui.

-Quoi? C'est un secret? Est-ce que je ne connais pas tous les secrets obscurs et profonds des Drake, depuis le temps?

Il s'agite, mal à l'aise.

-J'imagine.

-Bon, alors?

-Toi.

Je ravalai ma salive, stupéfaite.

-Moi?

-Ouais.

-Il se leva et s'avança jusqu'à la porte, où il s'arrêta un très court instant.

-Tu m'as permis de tenir.

- T'as réussi à joindre tes parents ?

- Non.

- Merde.

- Tu l'as dit.

- En tout cas, on peut pas rester là à s'inquiéter toute la nuit. Il faut que je fasse quelque chose.

- Pourquoi tu ne passes pas un coup de fil à un autre chasseur de vampires pour qu'il vienne prendre le thé ? suggéra-t-il avec ironie.

Il paraissait plus calme, pourtant. On avait moins l'impression qu'il allait se faire sauter une dent à force de serrer les mâchoires.

- Comment t'as réussi ça, d'ailleurs ?

- J'ai appelé les renseignements. Son numéro était dans l'annuaire.

- Sérieux ?

- Et je lui ai fait les poches.

Je paradai comme un paon.

Nicholas secoua la tête, souriant de ce sourire rare et légèrement de travers qui me remuait le ventre.

- C'est pas vrai.

- J'te promets. Et j'ai trouvé son guide d'Helios-Ra pour les vampires. J'imagine que toutes les recrues en ont un exemplaire. Je figurais même dedans. Je suis une personne suspecte. Vive moi.

- Tu crois qu'elle m'en donnerait un (Taser) ?

- Après la dernière fois ? Y a pas de risque.

- Quoi ? Honnêtement ! C'était il y a des lustres.

- Personne n'a oublié ce qui s'est passé quand tu l'as convaincue de t'apprendre le tir à l'arc.

- Comment est-ce que j'aurais pu me douter que je savais aussi bien viser ?

Elle avait bien failli transpercer Marcus en plein coeur, ce qui l'aurait tué, comme n'importe qui.

Comme je continuai à m'agripper à Solange, l'un d'eux me poussa parce que je bloquais le passage. Je trébuchai.

- Hé ! Touche pas à ma copine, dit Nicholas avec colère.

- Ta copine ?

Je le regardai, les yeux écarquillés. Il me considérait comme sa copine ? Puis je poussai le garde à mon tour avant que quelqu'un puisse me voir rougir.

- Je veux dire, lâche-moi.