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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:21:26+01:00

Uehara éteignit son ordinateur et le posa sur le lit. Il se leva et se mit à chercher de quoi s’habiller pour sortir. Il ne savait pas où étaient rangés ses vêtements car depuis qu’il habitait seul dans cet appartement, il ne sortait jamais sans sa mère. Il passa une veste de survêtement à l’effigie des Orlando Magics sur son pyjama et se rendit compte qu’il était pieds nus. Il était un peu plus de cinq heures du matin. Un courant d’air glacial s’insinuait dans la pièce par la fenêtre. Il avait oublié de brancher le chauffage. Uehara pensa qu’il risquait d’avoir froid s’il restait sans chaussettes. Il ouvrit le placard et fouilla l’étagère où ses affaires étaient pliées mais ne trouva rien qui ressemble à une paire de chaussettes. Il ne sortait jamais de cet appartement sinon pour se rendre à l’hôpital psychiatrique, et sa mère l’accompagnait toujours. Il ne se souvenait pas des préparatifs qui entouraient ces sorties, pas seulement des vêtements qu’il portait pour l’occasion, non, c’était le souvenir même de ces sorties qui avait disparu. Il savait que sa mère le conduisait à l’hôpital une fois toutes les deux ou trois semaines, mais il était incapable de revoir ces scènes en images : il ne visualisait rien, pas plus les circonstances qui devaient immanquablement entourer ces sorties hors de l’appartement que lui-même s’apprêtant à sortir. Uehara partait à l’hôpital dans un état de semi-conscience.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:21:07+01:00

Les alignements d’êtres humains ou de poupées produisent toujours un effet singulier. Ce phénomène est tout à fait sensible dans les temples de Kyoto ou d’Angkor où des sculptures de bouddhas sont dressées les unes à côté des autres. Il se produit la même chose avec les poupées Hina. Ce n’est pas la personnalité propre des trois courtisanes et des cinq musiciens impériaux que l’on perçoit immédiatement, mais leur appartenance sexuelle, leur rang ou leur charge. Et c’est à mon avis la raison pour laquelle on ne se lasse jamais de les contempler. Il faut les observer afin de parvenir à saisir peu à peu les nuances de leur caractère, ce qui les réunit ou les oppose. À l’instar des trois courtisanes, les trois vieillards de cette chambre sans ombres finissaient par révéler toutes les facettes de leur personnalité propre mais aussi le point commun qui les faisait se ressembler : celui d’être à moitié mort. Je pénétrais tous les jours dans cette chambre d’hôpital où je restais plusieurs heures, assis sur un tabouret, à les contempler. Jamais aucun n’a ouvert les yeux. Vous allez me prendre pour un pervers si j’écris des choses pareilles mais quand je quittais la chambre et retrouvais dehors le vent qui caressait mon visage, je comprenais que moi, j’étais réellement vivant. Je veux dire que j’étais réellement vivant à la différence des trois vieillards. « À moitié mort » est bien sûr une expression tout à fait impropre. Je venais chaque jour examiner les trois mourants. J’écoutais le liquide des perfusions s’écouler depuis les flacons de verre. En tombant, le produit faisait un bruit de gouttelettes d’eau après la pluie. Les trois hommes étaient si maigres qu’on finissait par les confondre. La même expression sur leur visage. Les os de leur squelette semblaient vouloir déchirer la peau qui les recouvrait. Les globes oculaires s’étaient retirés au fond des orbites. Certains avaient un tuyau de plastique transparent, très fin, enfoncé dans une narine. Deux d’entre eux avaient sur le visage un masque à oxygène de couleur cendre. On aurait dit un bec. Une aiguille à perfusion s’enfonçait sous la peau de leur avant-bras et un tube en plastique transparent la prolongeait jusqu’au flacon renversé et suspendu à une potence. Un des trois vieillards avait un bandage autour du cou : ce n’était plus un masque mais un gros tube directement planté dans la gorge qui lui permettait de respirer. Les couvertures remontées jusqu’à la poitrine se soulevaient péniblement puis s’affaissaient en produisant un râle sec recraché dans les masques et aspiré par les tuyaux transparents. « À moitié mort ». Il serait sans doute plus exact de dire que les masques à oxygène et les tubes, les pompes des respirateurs et les appareils de monitoring, les potences, enfin que tout cet outillage ne formait plus – et c’est l’impression que j’avais – qu’un seul corps, un nouvel organisme vivant. Les trois mourants avaient cela en commun, pourtant de petites différences subsistaient entre eux : deux d’entre eux respiraient grâce à un masque fixé sur le visage alors que le troisième avait un tube directement enfoncé dans la gorge. Cela faisait bien sûr une différence infime, mais la morphologie de chacun différait aussi légèrement. Mon grand-père était, par exemple, celui qui avait le visage le plus étroit et le cou le plus allongé. Le vieillard alité à sa gauche – celui qui avait un tube fixé dans la gorge – était le seul à avoir gardé des cheveux noirs comme le charbon, et je ne sais pas si c’est parce qu’il rêvait mais je voyais souvent un sourire se dessiner sur son visage et ses lèvres frémir. Parmi les trois, c’était lui dont on distinguait le plus clairement le squelette et j’ignore si c’était la raison pour laquelle il avait de petites boules d’une couleur difficile à définir sur le visage, qui recouvraient aussi sa poitrine et qu’on pouvait observer encore à la surface interne de ses bras. Elles ne ressemblaient pas du tout aux taches marron ou aux hématomes qu’on peut voir sur la peau des personnes âgées. C’étaient de petites boules roses de la taille de l’ongle d’un nourrisson pour les plus petites ou d’une pièce de dix yens pour les plus grosses. Je ne sais pas ce que c’était. Le vieillard qui dormait dans le lit à droite de celui de mon grand-père était le plus menu des trois, mais il avait la peau laiteuse. Aucun des trois n’avait bien sûr l’occasion de prendre la lumière du soleil, mais la peau de ce vieillard était si blanche qu’elle me rappelait la blancheur des poteries chinoises que j’avais vues au cours d’une sortie au musée national d’Ueno. Un blanc translucide. La pigmentation de la peau n’avait pas disparu, c’était comme s’il avait été badigeonné d’une fine couche de peinture blanche sous laquelle ressortaient d’autant les bleus et les rouges de ses veines, surtout celles qui couraient le long des tempes, sous le menton et à l’intérieur des avant-bras. Je m’approchais parfois de lui pour admirer ses veines. Leur couleur donnait l’impression d’une pastille de gouache en train de se dissoudre dans l’eau et le réseau qu’elles formaient produisait un motif flou. En les examinant de plus près, je les voyais trembloter sous la surface de la peau. Je me tenais près de lui pour examiner ses veines quand j’ai vu le ver. C’était exactement à la même période que maintenant. La lumière qui filtrait par l’épais rideau barrant la fenêtre éclairait la moitié de la chambre. J’avais remarqué que la veine qui courait le long du cou du vieillard vibrait plus que les autres et j’étais en train de contempler la peau laiteuse qui recouvrait sa gorge quand j’ai senti s’agiter quelque chose à la périphérie de la zone où j’avais concentré mon regard. J’ai d’abord pensé que c’étaient les ombres portées des divers tuyaux. Mais ce déplacement avait quelque chose de singulier et j’ai soudain été envahi d’un étrange pressentiment. Il arrivait parfois que les tuyaux en plastique reliés aux instruments se mettent à bouger à cause de la respiration des vieillards. On aurait dit le balancement d’une araignée mais ce n’était pas cela. La chose semblait progresser en se tortillant sur elle-même, comme un serpent. J’ai d’abord cru que c’était un filet de morve qui coulait de son nez, mais ce n’était pas du tout ça. C’était comme un fil de couleur grise, un organisme vivant extrêmement long qui s’échappait en rampant de la narine où ne s’enfonçait aucun tube. La chose avait une couleur cendreuse et elle était formée d’un tronc articulé en plusieurs segments qui s’allongeaient ou se rétractaient à mesure que cheminait cette sorte d’insecte. J’ai soudain été paralysé et tous les membres de mon corps se sont raidis. J’étais incapable de quitter la pièce ni même de crier, comme si quelqu’un m’avait maintenu de force en appuyant de tout son poids sur mes épaules. L’insecte au corps gris s’écoulait de la narine et progressait insensiblement sur les lèvres du vieil homme. Il s’est dressé soudain alors que la plus grande partie de son corps était toujours dans la narine avant de reprendre son lent déplacement, comme un serpent ou une limace, même s’il était dépourvu de tête à la différence des serpents ou des limaces. Il était fin comme un fil de gaze ou de bande Velcro déchirée et les plis reliant les segments de son tronc me faisaient penser aux rides situées sous les phalanges d’un doigt. Mon attention était tellement absorbée par le ver que je ne me suis pas immédiatement rendu compte que le vieillard avait cessé de respirer. Il était mort. Le ver s’est tortillé sur les lèvres et, après avoir dépassé le sommet que formait le menton, a plongé vers la gorge. À l’instant où je remarquais qu’il gardait l’extrémité du tronc légèrement relevée quand il cheminait, il a quitté brusquement le corps du vieillard et est tombé sur la paume de ma main. Il a glissé le long de mon bras et progressé rapidement jusqu’à mon visage. C’était un ver incroyablement long car l’autre partie de son corps pendait encore du nez du vieil homme. Il n’a pas pénétré en moi par une narine mais s’est enfoncé doucement dans mon œil. Je n’ai ressenti aucune douleur quand cet insecte de couleur grise s’est introduit en moi. Son corps était encore relié à la narine du vieillard. Je percevais distinctement cette espèce de long fil gris tendu entre mon œil et la narine du vieillard où il semblait être retenu comme s’il avait été aspiré par le cadavre. Quand il a touché mon œil, ma vision s’est troublée. Le ver formait comme un pont entre le corps du vieillard et le mien. J’ai essayé plusieurs fois de frotter mon visage avec mes mains comme si les fils d’une toile d’araignée s’étaient pris dans mes joues et mon front. Je n’avais pas pu m’empêcher de faire ce geste, cela avait été plus fort que moi. Le ver s’est coupé brusquement en deux et la partie qui était en train d’entrer dans mon œil est restée ballante un instant avant de disparaître. Je n’ai absolument pas eu l’impression qu’un corps étranger pénétrait en moi. J’ai seulement vu que le reste du ver continuait à s’agiter, quoique de plus en plus lentement. Puis deux infirmières sont entrées et j’ai quitté aussitôt la chambre. J’ignore ce que l’autre partie du ver est devenue.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:20:54+01:00

C’est moi qui ai laissé un message l’autre jour sur le forum. Yoshiko Sakagami doit avoir tant de choses à faire que je ne pense pas qu’elle ait eu le temps de le lire, et pourtant, j’avais essayé d’exposer ma situation avec la plus grande honnêteté. Je suis un reclus. Je ne vois personne à l’exception de ma mère, de ma sœur et d’un psychiatre, et même à ces trois-là, je ne parle jamais. Aujourd’hui, j’ai décidé d’écrire ce message pour confier mon secret à Yoshiko Sakagami. C’est une chose dont je n’ai parlé à personne, sauf au début, une seule fois, à un psychiatre qui s’est contenté de rire et de me conseiller de ne pas penser à ce genre de choses. Madame Sakagami, avez-vous déjà assisté à la mort de quelqu’un ? Je ne vous demande pas si vous avez déjà rencontré une personne qui va mourir ou vu le corps d’une personne déjà morte, je voudrais savoir si vous avez vu une personne en train de mourir sous vos yeux ? Moi, cela m’est arrivé une seule fois. J’ai eu si peur que j’ai essayé d’oublier par la suite ce que j’avais vu, bien évidemment, je n’ai pas réussi. Quand j’étais en troisième année à l’école primaire, mon grand-père est mort. Il avait un cancer. Il est resté très longtemps hospitalisé. J’ai entendu dire par la suite que les cellules cancéreuses se développaient moins vite avec l’âge et qu’un cancer ne se généralisait que très lentement chez les personnes âgées. Je ne sais pas si c’est la vérité. Ma grand-mère est morte avant ma naissance et j’aimais beaucoup mon grand-père. Je n’avais que lui. Il m’emmenait souvent à la pêche. L’océan était loin de chez nous et nous allions pêcher en rivière, près d’un barrage ou en amont de la rivière Kita, près de sa source. On prenait surtout des truites ou des iwanas. Je me souviens encore du vent qui courait dans les champs couverts de pissenlits. Je n’aime pas les plantes ou les fleurs en général, mais j’aime les pissenlits. Avant de mourir, mon grand-père a commencé à maigrir. J’allais le voir à l’hôpital presque tous les jours et je voyais bien qu’il maigrissait. Il avait d’abord été installé dans une salle assez vaste avec les malades ordinaires, puis quand il a fallu le mettre sous perfusion et lui brancher un tube dans le nez ou à d’autres parties du corps, il a été transféré dans une chambre plus petite qui ne comprenait que trois lits. Mon frère appelait cette chambre pour trois personnes « la chambre des morts-vivants ». Il disait ça pour rire, mais cette expression n’avait rien d’exagéré pour qualifier l’atmosphère qui régnait dans cette pièce : je me souviens que mon cœur se mettait à battre plus fort dès que j’y pénétrais. Personne n’appelait cette chambre ainsi, mais il était implicite que c’était là que les vieux attendaient la mort. Dans les grandes salles où étaient alités de nombreux patients – pour la plupart des cancéreux – et où ils recevaient la visite de leurs proches, lorsqu’un malade mourait, il était évident que ça rendait l’atmosphère insupportable. Or comme vous le savez, madame Sakagami – et ce n’est pas propre au cancer –, ce genre d’atmosphère n’est pas une bonne chose pour les autres malades. Ils doivent au contraire avoir la certitude qu’ils vont guérir. Et si votre voisin de lit, la personne avec qui vous parliez depuis plusieurs jours, vient à mourir, c’est une épreuve très difficile à supporter, l’atmosphère devient pesante et le désespoir s’installe. C’est pour cette raison que certains malades sont transférés dans des chambres spéciales dès que les médecins sentent qu’ils approchent de la mort. Mon grand-père était couché dans une de ces chambres. Elle baignait dans la pénombre. Dans n’importe quelle pièce, il y a en général des zones où la lumière pénètre plus fortement en laissant dans l’ombre les autres endroits. Mais ce n’était pas le cas dans la chambre de mon grand-père où une demi-obscurité flottait également partout, jusque dans les plus petits recoins. C’était en tout cas l’impression que j’avais, sans doute parce qu’il n’y avait rien dans cette chambre à l’exception des trois lits, des potences où étaient suspendus des goutte-à-goutte et des tubes qui s’échappaient des consoles supportant les appareils d’assistance respiratoire. Une chambre sans ombres. Mes parents me répétaient qu’il n’était plus nécessaire que j’aille tous les jours à l’hôpital depuis que mon grand-père avait été transféré dans cette chambre mais j’aimais pénétrer dans cette pièce. Mon grand-père gardait les yeux fermés et semblait dormir en permanence. Il ne parlait plus et ne se levait jamais. Mais je ne pouvais pas m’empêcher d’aller lui rendre visite tous les jours. Je pourrais presque dire que j’aimais aller le voir. Je me souviens parfaitement du chemin pour aller à l’hôpital. Il était proche de la maison et de l’école. J’étais encore en primaire mais j’étais capable de m’y rendre sans qu’on m’accompagne. Toutes les infirmières me connaissaient et elles me laissaient pénétrer seul dans la chambre où se trouvait mon grand-père. Dans les hôpitaux préfectoraux, il y a toujours beaucoup de monde qui circule dans le hall d’accueil. La chambre de mon grand-père se trouvait au premier et je grimpais toujours à l’étage sans prendre l’ascenseur. Les fenêtres de la cage d’escalier donnaient sur un jardin intérieur et je pouvais observer les gens qui s’y promenaient. Dans les hôpitaux, on a l’impression que les gens marchent sur un tapis d’aiguilles. Ils sont inquiets mais jamais aucune arrogance ne se lit sur leurs visages, jamais un éclat de voix : chacun vient y chercher un peu de secours. Les gens ont l’air imperturbablement concentré. Je montais à l’étage en observant les malades et les visiteurs. Au premier, il y avait trois grandes salles et cinq ou six petites. J’aimais beaucoup passer devant les grandes salles où étaient couchés une quinzaine de patients. Chacun discutait calmement, chuchotait presque. À force de passer devant ces chambres, j’en étais venu à croire que la maladie était un événement merveilleux. J’aimais le spectacle d’un visiteur occupé à masser le dos ou la nuque d’un proche, ou celui d’une personne, un bouquet de fleurs dans les bras, se penchant sur un patient alité et se mettant à lui parler doucement. J’aimais aussi contempler les malades endormis dans leur lit. Dans ces chambres, régnait une atmosphère de calme et de sérénité. Tout était toujours paisible. Regarder la télévision était interdit parce que cela fatiguait les yeux et seul le murmure des conversations entre les patients et les membres de leur famille filtrait par les portes entrouvertes, comme le son d’une radio dont on aurait baissé le volume au minimum. Une odeur de désinfectant flottait partout, le sol était bleu pâle, les murs brillaient. En suivant le couloir qui longeait les salles communes, on tombait sur une porte surmontée d’une inscription en lettres vertes fluorescentes : « Sortie de secours ». La chambre de mon grand-père se trouvait juste à côté. En poussant la porte et en pénétrant dans la pièce, seules les respirations de trois silhouettes amaigries étaient perceptibles. Mon cœur se mettait aussitôt à battre plus fort. Dans cette chambre sans ombres, les trois vieillards étaient allongés en rang et la couverture légère qui leur barrait la poitrine se soulevait de temps à autre, si imperceptiblement que j’avais l’impression que ce n’était pas ces trois hommes qui vivaient et respiraient encore mais les trois couvertures. Mon grand-père était couché dans le lit du milieu mais tous trois se ressemblaient tant ils étaient maigres. Et avec leurs yeux toujours profondément clos, ces tubes branchés dans les narines ou dans la gorge, il était difficile de les reconnaître. On aurait dit qu’ils avaient le même visage. Dans un coin de la pièce, il y avait toujours un bouquet de fleurs dont on n’ôtait jamais le film plastique transparent qui le recouvrait. Même si je suis un garçon et qu’on se moquait souvent de moi à la maison à cause de cela, j’ai toujours aimé la fête du Hina Matsuri. À la naissance de ma sœur, mon grand-père lui avait offert un présentoir à sept marches et depuis, quand arrivait la saison d’exposer les poupées, je ne pouvais m’empêcher de passer des heures à les contempler. Les poupées étaient toujours parfaitement alignées et cet alignement me fascinait : voilà pourquoi j’aime la fête du Hina Matsuri. Dans cette chambre, les trois vieillards étaient impeccablement alignés comme ces poupées de bois.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:20:49+01:00

Je ne pense pas que cela pose un problème. La seule condition ou contrainte inhérente à ce site est que nous refoulons les messages critiquant ouvertement Yoshiko Sakagami. Mais ne te méprends surtout pas. Sur ce forum ont eu lieu – il y a peu – plusieurs échanges d’une rare violence et tu n’es sans doute pas sans ignorer que Yoshiko Sakagami occupe une position très sensible en raison de son statut de présentatrice du journal télévisé. Un commentaire pouvant être interprété comme légèrement gauchisant ou une déclaration pouvant être au contraire jugée trop libérale, bref, un rien de cette sorte et les hebdomadaires d’information ou les revues de la droite conservatrice s’en emparent pour l’attaquer personnellement. Tu n’es pas sans ignorer que les médias japonais sont fondamentalement dépourvus du moindre esprit critique si bien que, vois-tu, toute attaque contre Yoshiko Sakagami dégénère immanquablement en attaques sur sa vie privée. De ci de ça sur un éventuel petit ami, de qui de quoi si on l’a vue en compagnie dans un bar. Tu conviendras que tout cela reste très médiocre. Le moindre incident se retrouve systématiquement monté en épingle par certains médias. Ce site attise leur convoitise car ils l’ont dans le collimateur et elle est toujours la première visée. Dans cette situation, une réaction normale aurait consisté à fermer le site, mais vois-tu, Yoshiko Sakagami n’est pas du genre à se laisser impressionner par cette effervescence déraisonnable. Et c’est la raison pour laquelle, nous autres, nous lui portons un immense respect et aimerions te voir partager ce sentiment. Nous avons réussi à localiser ton adresse e-mail car, parmi les membres de notre organisation, se trouvent plusieurs spécialistes en programmation informatique, en développement de logiciels et des collaborateurs très au fait des questions de sécurité sur l’Internet ainsi que plusieurs hackers. C’est la raison pour laquelle il nous est très facile de neutraliser les naïfs de ton espèce, que ce soit sur le Net ou dans leur vie matérielle et sociale. Ne crois pas que nous te menaçons. Je ne fais que t’exposer la réalité des choses le plus simplement possible. Ne crois surtout pas que nous bluffons. Nous avons, nous-mêmes, dû faire un douloureux apprentissage et en sommes venus à la conclusion qu’il n’existait pas d’autre façon de protéger Yoshiko Sakagami. Cela ne signifie pas pour autant que nous lirons tous les messages que tu pourras lui envoyer. Nous n’avons aucune intention de violer le pacte implicite de discrétion en vigueur sur la Toile. Mais il faut que tu saches que nous n’accepterons aucune attaque visant Yoshiko Sakagami.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:20:40+01:00

J’ai, moi aussi, un ami qui vit reclus. Cette espèce d’individus se rencontre couramment ici-bas. Moi qui tenais le suicide pour le péché capital en ce bas monde, je crois à présent que c’est en réalité de vivre en retrait du monde. Voilà le mal absolu. Sur ce forum, les discussions concernant la mission d’inspection en Irak et les problèmes qu’elle rencontre, ou encore les greffes d’organes prélevés sur des personnes en état de mort cérébrale, occupent la quasi-totalité de l’espace de débat. Pourtant, je suis convaincu que de tels problèmes méritent d’être pensés comme ne renvoyant, en définitive, qu’à ce désir absolu de survie qui anime aussi bien les États que les peuples ou tout être humain. Dans cette perspective, qu’en est-il de cette forme de réclusion ? Je conçois que la réclusion puisse être douloureuse. Mais nous souffrons tous et moi aussi, je souffre ! Les souffrances peuvent différer en nature. Ainsi, la souffrance éprouvée par ceux d’entre nous qui n’ont pas oublié que les bombardements américains se poursuivaient est-elle probablement d’une nature différente de la souffrance éprouvée par les membres d’une famille dont l’un des leurs se trouve en état de coma dépassé. Tu désires te confier ? Alors, je te donne un conseil : quitte ta chambre et sors dans la rue, fais-toi un ami et parle-lui…

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:20:33+01:00

C’était le texte qu’il avait écrit lorsqu’il s’était décidé à laisser quelques lignes sur le forum de discussion du site de Yoshiko Sakagami. Il lui avait fallu presque trois heures pour écrire ces lignes car il n’était pas encore familiarisé avec le clavier de son ordinateur. À cause du cocktail d’antidépresseurs, il avait mal à la tête quand il appuya sur la touche envoi après avoir signé son message « le petit buissonnier ». Il fit en sorte que son adresse n’apparaisse pas en tête du message parce qu’il avait du mal à imaginer les réactions que sa lettre allait susciter. Lorsqu’il avait cliqué sur la touche envoi, son rythme cardiaque s’était brusquement accéléré et son mal de tête avait redoublé. Le souvenir de ce sentiment d’épuisement et de malaise permanent qu’il ressentait à l’époque où il avait commencé à sécher les cours au collège lui était revenu en mémoire. Il eut à nouveau l’impression que l’air se solidifiait et formait un mur d’aiguilles. Ça lui était revenu à l’esprit en essayant de lever un bras. La même impression de malaise continu, ce même mélange de douleurs et de terreurs diffuses qui habitaient alors son être. Uehara s’était juré d’envoyer ce message. Il pensait que seule Yoshiko Sakagami serait capable de lui expliquer la nature de l’expérience qu’il avait faite et les caractéristiques de cet insecte. Il n’y avait qu’elle qui pourrait comprendre son secret.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:20:25+01:00

Ce n’était pas uniquement à cause de son visage sévère et de ses yeux particulièrement bridés ni du tailleur rouge qu’elle portait infatigablement qu’Uehara était fasciné par Yoshiko Sakagami. Enfant déjà, il aimait les visages de femmes aux yeux extrêmement bridés, des femmes au nez camus surplombant un menton proéminent. C’était probablement une réaction au visage infiniment doux de sa mère. Depuis qu’Uehara restait cloîtré dans sa chambre, sa libido avait quasiment disparu. Lorsqu’il tombait sur des photos de femmes nues dans un magazine ou voyait des filles dévêtues prendre des poses sexy dans des programmes télévisés diffusés tard la nuit, il était tout à fait conscient de voir des femmes nues, mais la raison pour laquelle elles se déshabillaient ou prenaient ces poses lui semblait de plus en plus incompréhensible. C’était sans doute un autre effet du mélange de quatre substances qu’on lui prescrivait à l’hôpital, même si le médecin en attribuait plutôt la cause au fait qu’Uehara ne fréquentait plus personne à l’exception des membres de sa propre famille et pensait aussi qu’il risquait non seulement de perdre peu à peu tout désir sexuel mais encore jusqu’au désir de boire ou de manger. Il arrivait pourtant à Uehara d’être subitement envahi par un désir sexuel qu’il ne parvenait pas à contrôler, un peu comme un nourrisson profondément endormi ouvrirait soudain les yeux et éclaterait en sanglots. Mais cette excitation n’était pas liée à la vision de femmes nues dans un magazine ou à la télévision. Elle semblait plutôt avoir un lien avec la qualité de son sommeil et ce phénomène se produisait souvent à l’instant où il s’éveillait d’un premier assoupissement ou encore lorsque l’effet du somnifère qu’il avait pris commençait à se dissiper. Il avait alors l’impression que l’atmosphère de la chambre se déchirait et qu’une chose indicible s’introduisait soudain par cette fente pour venir insuffler à son corps un désir si fort qu’Uehara ne parvenait plus à se maîtriser et qu’il était parfois pris de vertiges. Dans ces moments-là, il se demandait si on pouvait encore qualifier ce phénomène de « sexuel » et si la raison n’en était pas plutôt qu’il n’avait jamais confié son secret à personne. Même si sa mère se trouvait près de lui quand ce désir le prenait, Uehara se masturbait si violemment qu’il se déchirait parfois le prépuce. Au début, sa mère pleurait et le frappait lorsqu’il se branlait devant elle, mais à présent, elle le regardait en silence avec le même détachement qu’un éthologiste aurait eu pour observer le comportement d’un animal rare. Quoi qu’il en soit, ces accès soudains de libido et la personne de Yoshiko Sakagami n’avaient aucun lien de cause à effet.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:20:17+01:00

Il y avait environ trois semaines, à la plus grande joie de sa mère, Uehara avait manifesté le désir d’avoir un ordinateur et elle lui avait acheté un portable en lui faisant promettre de ne rien dire à son père : « Ce sera un secret entre toi et moi », avait-elle murmuré. Uehara avait pris contact avec un fournisseur d’accès pour se connecter à l’Internet et avoir une adresse électronique.

Uehara avait décidé de se connecter à l’Internet quand Yoshiko Sakagami était entrée dans sa vie. Elle était présentatrice d’un journal télévisé et il avait appris par un article dans un magazine qu’elle animait un site sur le Web. « Faites-moi part de vos opinions et je ne manquerai pas de vous répondre », annonçait-elle.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:20:10+01:00

Ce n’est que tout récemment qu’Uehara avait appris l’existence de Yoshiko Sakagami. Un jour, par hasard, il l’avait vue apparaître sur l’écran du téléviseur. À cause des médicaments, Uehara se déplaçait avec difficulté et, ce jour-là, il s’était traîné presque en rampant jusque sous la douche. Lorsqu’il en était ressorti en s’essuyant le corps, Yoshiko Sakagami était apparue sur l’écran du téléviseur. « C’est Yoshiko Sakagami », avait annoncé sa mère et Uehara avait retenu son nom. « Elle te plaît ? » avait-elle ajouté en le voyant fixer l’écran. Il avait acquiescé et la semaine suivante, elle lui apportait le livre que Yoshiko Sakagami venait d’écrire ainsi qu’une interview donnée à un magazine. Le livre était imprimé en gros caractères mais le texte était truffé de mots étrangers dont il ne comprenait pas la signification : il s’était lassé rapidement et ne l’avait jamais terminé.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T12:20:01+01:00

Uehara avait quatorze ans lorsqu’il avait refusé d’aller au collège. Il était en deuxième année. Mais ce n’est qu’après avoir fait le tour de plusieurs hôpitaux psychiatriques accompagné de sa mère qu’il avait commencé à se replier sur lui-même, puis habité seul un petit appartement situé non loin de la maison familiale quand ses parents avaient fini par renoncer à s’occuper de lui. « Y a peut-être tout simplement pas de place pour toi dans la société », avait déclaré son frère la dernière fois qu’il était venu le voir. Sa sœur passait de temps en temps, mais comme Uehara ne décrochait pas un mot, elle se contentait de mettre une pizza ou un gâteau dans le frigo et repartait aussitôt. Il n’avait pas revu son père depuis deux ans. Sa mère venait une fois par semaine lui apporter des provisions et laver son linge. Elle se mettait ensuite à parler de religion ou du livre qu’elle venait de terminer devant Uehara qui restait imperturbablement muet puis elle retournait chez elle.

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