Parce que tu es toi

C'étaient les gloussements du bébé qui avaient attiré son attention en premier. Le son était celui d'un pur bonheur. Les rires enroués qui suivirent les gloussements furent ce qui le fit se lever et rechercher leur source. Cela ne lui prit pas longtemps. Les résidents de ce complexe n'utilisaient que très rarement la piscine et il avait l'habitude de l'avoir pour lui tout seul aux premières heures du jour.

Ce matin, après son bain matinal, Sully s'était allongé sur un transat pour se laisser sécher par le soleil. Il avait dû s'endormir, et c'était sa récompense pour ne pas travailler aujourd'hui. Il porta distraitement ses lunettes de soleil à ses lèvres et mâchouilla la branche coûteuse de ses Oakley.

Dans la partie peu profonde de la piscine, un jeune homme était assis sur la dernière marche, le bas de son corps immergé dans l'eau scintillante. Sur ses genoux se trouvait un bébé, et d'après ce qu'il voyait, il avait un peu moins d'un an. Le bébé avait une peau d'un blanc crémeux et des cheveux d'une couleur brun foncé plutôt étrange, un peu comme si l’on avait raté sa teinture. Il frappait l'eau en gloussant avec une petite main en forme d'étoile de mer, puis hurlait lorsque des gouttelettes l'éclaboussaient.

Alors que le beau bébé avec ses gloussements était une invitation à la joie, le père, un homme au corps pâle, était une invitation au péché. Ses cheveux noirs avaient besoin d'une coupe et il avait l'air de ne pas s'être rasé depuis des jours. Seigneur, ces tatouages ! Sully voulait lécher toutes les gouttes d'eau sur chaque centimètre de la peau recouverte d'encre qui serpentait sur les muscles compacts en contraste direct avec la chair crémeuse.

Il savait qui ils étaient. En quelque sorte. La semaine dernière, ils étaient arrivés comme la nuit tombait, accompagnés par un homme plus âgé qui conduisait un camion de déménagement. Le jeune homme avait porté le bébé dans une de ces poches kangourou alors qu'ils déchargeaient quelques maigres possessions du camion. Selon l'étiquette blanche qui était soudain apparue sur la boîte aux lettres, c'était D. Strake, son nouveau voisin de dessous.

— Hé, appela-t-il, heureux que sa voix soit raisonnablement normale.

Le jeune homme se raidit, ses bras se resserrant autour du bébé qui gémit en signe de protestation. Une analyse rapide et pas vraiment subtile de la zone sembla rassurer Strake et il relâcha son emprise sur le bébé en rencontrant les yeux de Sully. Ce dernier prit une profonde inspiration. De beaux yeux tourmentés. Des yeux sombres et profonds qui étaient remplis de peur et de méfiance.

— Tout va bien. Je suis Sully Moore. Sullivan en fait, mais seule ma grand-mère Moore m'appelle comme ça. Je suis votre voisin du dessus.

Il fit un signe du menton en direction de son appartement, incapable de détacher ses yeux de l'homme et l'enfant dans la piscine.

— Devyn Strake. Et voici mon fils, Kail.