Extraits

— Tu les préfères peut-être jeunes ? demanda-t-il avec un sourire.

Doug se força à se détendre, avant de répondre :

— Non et toi ? Ça t’intéresse, les gamins ?

— Pas du tout.

Son sourire provoqua chez Doug un long frisson. Il reprit son tabouret.

— Écoute, reprit son vis-à-vis, j’ai quelque chose à te demander avant de passer pour un con…

Il passa la main gauche sur sa tête et parut un peu surpris, comme s’il s’attendait à avoir davantage de cheveux entre ses doigts.

— Quoi ?

— Tu travailles ici ?

Choqué, Doug eut un sursaut, son dos heurtant le comptoir derrière lui. Il n’arrivait pas à croire qu’on puisse être aussi direct, aussi grossier. Même les professionnels du sexe se montraient plus subtils ! Il fusilla le malotru d’un regard furibond.

— C’est quoi cette question pourrie ?

— D’accord, tu n’es pas un videur, alors ?

L’inconnu ferma les yeux et poussa un long soupir. Il sembla se relaxer.

— Tant mieux, ajouta-t-il. Tu imagines le ridicule, dans un bar gay, de draguer un hétéro, un membre du personnel, en plus ? J’ai préféré…

Sidéré, Doug l’interrompit :

— Pourquoi un videur ?

Une fois de plus, l’homme posa la main dans son dos.

— J’ai remarqué la trace d’un holster sur ta veste.

Doug ne portait pas son harnais, il l’avait laissé avec son arme, dans son pick-up. Le blond avait repéré un faux pli dans l’obscurité, à distance et dans un bar bondé ? Peut-être la trace était-elle très marquée ?

Pour vérifier, Doug chercha à regarder par-dessus son épaule. En vain.

— D’accord, dit-il au bout d’un moment. Je vois. Excuse-moi, j’avais pensé que tu sous-entendais autre chose.

L’homme croisa son regard, un sourcil levé. Puis il comprit et secoua la tête.

— Oh, tu as cru… merde, non ! Je n’ai pas voulu insinuer… Mais si ça avait été le cas… Je veux dire, tu es vraiment… Ça ne m’aurait pas arrêté !

Il écarquilla ses yeux très bleus et fit la moue.

— Je ferais mieux de me taire, soupira-t-il.

Christopher ferma les yeux. Il avait déjà couché avec Doug... plusieurs fois.

En fait, c'était sa plus longue relation depuis l'université. Et puis, ils avaient déjà mangé ensemble, non ? À Missoula...

Pourquoi était-il aussi bouleversé par une proposition si simple, si naturelle ? Il avait l'estomac noué. D'espoir ? De terreur ? Les deux, peut-être. Il déglutit péniblement.

— Ça me paraît une super idée. Je meurs de faim.

Doug fut alors surpris de constater que son pick-up et la Lexus n’étaient plus les seuls véhicules du parking. Une petite Subaru marquée d’un autocollant de location était garée près des marches.

Doug reconnut aussitôt les cheveux blonds de son chauffeur. Sous le choc, il sentit son estomac se contracter et une vague de souvenirs érotiques l’agresser avec une ardeur renouvelée.

Son amant de Missoula sortit de la voiture et s’étira en cambrant le dos, avant de faire rouler la tête d’un côté et de l’autre. Vêtu de façon moins décontractée qu’au cours du dernier week-end, il portait un costume bleu marine qui faisait ressortir sa blondeur et illuminait ses yeux. Il était absolument superbe !

Doug se contrôla très vite. En service, il ne pouvait se montrer trop cordial sous prétexte d’avoir récemment baisé avec cet homme.

Christopher resta un moment planté, à examiner son environnement. Sa posture indiquait une assurance tranquille. Et Doug en eut le souffle coupé.

La Lexus du révérend Liedes quittait le parking. Après l’avoir suivie des yeux, Christopher se tourna pour examiner le panneau en laiton posé près de la porte, puis il jeta un coup d’œil à son téléphone et se mit en marche vers la porte vitrée.

Doug hésita, écartelé entre son bon sens qui lui criait d’agir en pro et son corps qui bouillonnait d’excitation. Il se précipita et sortit.

Sur le perron, il se figea. Et Christopher s’était également arrêté au bas des marches, avec un regard étonné, suivi d’un sourire éblouissant.

- Tiens, tiens, tiens, dit-il avec un accent sudiste. Salut, beauté !

Doug aurait voulu sortir une vanne du genre « le monde est petit ! », mais son cerveau contrôlait trop fermement sa libido. De plus, la présence de Christopher en cet endroit précis n’avait qu’une seule raison possible.

Doug le voyait d’en haut, avec un angle identique à celui d’où il avait découvert le cadavre de Peter Eugene Hayes, accroché à son harnais le long de la falaise… Il remarqua enfin la ressemblance frappante. Son cerveau chercha presque à le convaincre que c’était sûrement le visage tuméfié du mort qu’il avait devant les yeux.

Doug se secoua. Christopher était inspecteur de police ! Pas question de perdre contenance devant un collègue. Ni devant l’homme sur lequel il fantasmait depuis deux jours.

— Allons-y. Je crève la dalle ! Je te donnerai d’autres détails pendant le petit déjeuner.

Il récupéra ses chaussures et son porte-monnaie.

— Hayes ! Il est 6 heures !

— Oui. Et alors ?

— Six heures du soir, mec, 18 heures ! Tu as dû rater quelques étapes de la journée.

— Si tu veux, plus tard, je pourrais te masser… Ça te détendrait peut-être.

Christopher roula des hanches et fit la grimace.

— J’ai mal au cul. Je me méfie de tes propositions ! Par contre, je serai ravi d’avoir ta compagnie.

— Ne me parle pas de Dieu ! grogna-t-il. J’ai peu de règles, mais sur ce point-là, je suis catégorique. Tes convictions religieuses ne me regardent pas, mais ne me parle jamais de Dieu pendant qu’on baise.

— Tu ne me laisseras jamais oublier cette déplorable réflexion ? se plaignit Christopher.

— Bien sûr que non ! confirma Doug avec un sourire amusé. J’ai du mal à croire qu’un homme comme toi ait du mal à lever qui bon lui semble.

— Oh, je n’ai jamais payé pour baiser, même si j’y ai pensé parfois, quand j’étais… aux abois. Et je confirme que pour t’avoir, je n’aurais pas hésité.

— La prostitution est illégale…

Doug glissa sa main le long du ventre plat.

— … et je te rappelle que tu es flic ajouta-t-il.

— Tu sais, Brit, ton poste a l’avantage d’avoir une très bonne mutuelle… si tu veux mon avis, tu devrais consulter. Ça ne te coûterait rien. Et un psy te guérirait peut-être de ton illusion psychotique d’être le centre du monde.