Pas à pas Faites de la marche un art!

Difficile de ne pas tomber dans l'analyse à la lecture de cet essai sur la marche tant il fourmille d'anecdotes et d'informations intéressantes. Et qui mieux que l'explorateur et aventurier Erling Kagge, premier à avoir réussi le fameux « challenge des trois pôles », pour faire l'éloge de la marche ?

Au rythme de courts billets, le Norvégien nous ramène à l'essence de la marche, de ses vertus oubliées à ses bienfaits récemment découverts par la science, tout en introduisant des anecdotes de voyages ou des parcours atypiques de marcheurs reconnus ou d'illustres inconnus. L'auteur à l'art et la manière d'introduire chacun de ses billets avec une réflexion personnelle ou un exemple dont la portée universelle fait forcément écho en chacun de nous.

L'ouvrage débute sur l'auteur qui d'emblée nous confie que sa grand-mère a commencé à mourir quand elle a perdu l'usage de ses deux jambes. Dans le même temps, Erling Kagge est le témoin privilégié des premiers pas de sa petite fille. Ce parallèle intelligent permet de mettre en lumière combien la marche est au centre de la vie : privée de marche, la vie nous quitte, alors qu'elle ne fait que commencer lorsqu'on découvre l'usage de nos deux jambes. C'est pourquoi « apprendre à marcher est peut-être bien l’entreprise la plus périlleuse de toute notre vie. »

La marche est donc le thème central du livre : elle offre un sentiment de liberté et permet de se remettre au centre de sa vie, bien dans ses bottes et dans son cerveau. Plus que ça, elle offre un véritable sas de décompression entre les différentes obligations qui rythment le quotidien. Elle offre la distance nécessaire pour prendre du recul face à nos problèmes. Elle serait plus puissante et bienfaitrice que n'importe quel médicament selon l'auteur. Dans le dernier chapitre, Kagge se penche sur les risques d'une vie assise et sédentaire au profit d'expériences mentales. Une étude qui mériterait d'être poursuivie à la lumière de la crise sanitaire qui a bouleversé nos habitudes de déplacement, de consommation et, plus largement, de vie.

Lentement, rapidement, de manière saccadée, avec le corps droit et affirmé, le corps souple et élancé, notre façon de marcher en dit beaucoup sur nous (notre état émotionnel, notre statut social et dans certains cas, notre métier), peut-être même plus que notre regard d'après l'auteur. Mais marcher, c'est aussi expérimenter l'élasticité du temps qui se dilue et ralentit dans toute sa grâce pour nous tendre une loupe sur les merveilles du monde qui nous entoure et ce, même dans notre environnement proche. Erling Kagge fait d'ailleurs une éloge de la lenteur à travers la marche. Pour l'illustrer, l'auteur cite Kundera qui a établi un brillant parallèle entre la lenteur qui permet de mémoriser et la vitesse qui favorise les chances d'oublier. A mettre en pratique de notre vie de tous les jours !

La marche, c'est aussi des lieux et on ne peut prétendre écrire un livre sur un tel sujet sans faire voyager son lecteur. Erling Kagge nous emmène ainsi aux Etats-Unis, sur terre lorsqu'il effectue une complète traversée de Los Angeles et sous-terre lorsqu'il traverse les égouts de New-York. Nous partons aussi à l'assaut de l'Everest au côté du britannique George Mallory dont la bravoure est éblouissante.

Mais plus que des lieux, la marche, ce sont aussi les personnes qui font vivre ces lieux. Kagge nous rappelle donc que tous les grands penseurs marchaient et ont eut leurs meilleures idées en marchant (Socrate, Darwin, Kierkegaard pour ne citer qu'eux) et que certains en ont même fait le sens de leur vie (Henry David Thoreau) ou un appel à élever l'existence au plus haut niveau (George Mallory). La marche peut aussi être un symbole puissant et pacifique de manifestation et de contestation (Gandhi). Plus fort encore, elle peut bousculer l'existence de façon irrémédiable, à l'image de cette femme aveugle qui traverse la route pour faire soigner son enfant dans une clinique itinérante et retrouve finalement la vue. Son acte héroïque et complètement désintéressé lui permet de voir son enfant pour la première fois !

Une deuxième partie du livre s'éloigne cependant de la marche pure pour s'orienter vers le bien-être, le second étant tout de même intimement lié au premier. La meilleure illustration est l'équation du bien-être imaginée par le philosophe norvégien Arne Naess qu'il pose ainsi : Bonheur = Ferveur² / Douleur physique + douleur psychique. L'idée étant que chaque être humain possède son lot de démons à affronter mais que si la ferveur est plus forte et plus importante (l'exposant est variable), alors en résultera un bonheur plus ou moins conséquent. La sylvothérapie (ou « bain des bois ») est également l'une des nombreuses pratiques évoquées par l'auteur pour atteindre le bien-être.

Que retenir de ce Pas à Pas ? Malgré son petit format, la densité des informations, anecdotes, histoires et portraits ne peut nous permettre de tout retenir en une seule lecture. Et c'est peut-être là que réside la magie de ce livre : on peut certes le lire d'une traite et en ressortir boosté, prêt à croquer la vie à pleines dents. Mais finalement, qu'il est bon de prendre son temps, de l'ouvrir chaque jour pour en picorer des idées, qui, quand elles ne font pas rêver, donnent l'envie de lacer ses chaussures pour aller faire ce qui nous maintient en vie et nous apporte tant de joies : marcher.

Une éloge de la marche carrément réussie : de la poésie, des références culturelles, des anecdotes personnelles sur les voyages de l'auteur ; tout se mélange pour atteindre l'équilibre parfait.

Un livre qui nous donne envie d'aller se dégourdir les jambes !