Passions d'Orient : Un troublant chantage / Nuit d'Orient / La maîtresse du cheik

Nuit d’Orient, Louise Allen

Chapitre 1

Dans la campagne du Hertfordshire. Janvier 1817.

« En Turquie ? Vous voulez vous rendre en Turquie ? Avez-vous perdu la raison ? Vous, une Lady, une veuve, voyageant seule ? C'est tout simplement scandaleux. Je vous l'interdis absolument. »

Sir Hubert Morvall fixa sur sa belle-mère un regard ferme et autoritaire, jouant à la perfection son nouveau rôle de chef de famille.

— Je ne vois pas comment vous pourriez m'en empêcher, Hubert, répondit Caroline avec un sourire tranquille qui, elle le savait, ne manquerait pas de le faire enrager encore plus.

Malgré tous ses efforts pour tenter d'aimer son beau-fils, elle l'avait toujours trouvé égocentrique et ennuyeux, dénué de tout sens de l'humour. Sans compter qu'il semblait éprouver un plaisir presque indécent à succéder à son père et à devenir ainsi le cinquième Baron Morvall.

À côté d'elle, sa belle-fille Clara, enceinte de trois mois, poussa un petit soupir affligé.

— Mais vous n'avez pas encore quitté le deuil, Maman, gémit-elle en battant des cils. Caroline pinça les lèvres. Pour l'amour du ciel, pourquoi une femme d'à peine deux ans de moins qu'elle s'obstinait à l'appeler « Maman » ? Elle avait chaque fois l'impression de vieillir de trente ans.

— Demain, cela fera un an que notre cher Sir William nous a quittés, ajouta Clara dans un murmure révérencieux.

— Oui, et c'est demain que j'ai l'intention de quitter le deuil et de faire mes valises, coupa brusquement Caroline.

Son mari aurait détesté toute cette mièvrerie. Selon elle, la meilleure façon d'honorer sa mémoire était d'entreprendre le voyage dont il avait toujours rêvé, et qu'il avait préparé avec tant de soin pendant toutes ces années, elle l'entendait presque lui chuchoter son approbation à travers l'air étouffant du salon. La mort de sa première femme, puis les restrictions imposées sur les déplacements à cause de l'interminable guerre avec la France, avaient empêché le Baron de mener à bien son projet. Plus tard, après son second mariage, il n'avait pas souhaité exposer sa jeune épouse aux rigueurs d'une telle expédition. Alors qu'ils avaient finalement décidé de partir, William avait été terrassé par une crise cardiaque à l'âge de cinquante-six ans.

— J'ai tout organisé, reprit Caroline en chassant les mauvais souvenirs de son esprit. Elle était tout à fait consciente d'attiser la colère d'Hubert, et, au fond d'elle, elle s'en réjouissait même. Pour tout dire, il lui rappelait le dindon de la ferme du domaine, avec son double menton naissant qui tremblotait tandis qu'il gloussait d'indignation.

— J'ai loué les services d'un guide expérimenté que je dois rencontrer mardi à Londres. Nous prenons la mer samedi.

L'espace d'un instant, Caroline crut que son beau-fils allait succomber à une attaque tant il était vert de rage. Puis, à son grand soulagement, il reprit peu à peu une couleur normale.

— Vous avez tout manigancé derrière mon dos, fulmina-t-il. Faire une chose pareille à votre âge...

— Hubert, j'ai vingt-six ans. Vous en avez vingt-sept. Je ne vois vraiment pas ce que mon âge vient faire dans cette histoire, et j'estime que vous n'avez rien à me dire à ce propos. Comme vous le savez parfaitement, je suis indépendante de vous tant sur le plan légal que financier, et j'ai le droit de faire ce que bon me semble. Je n'ai absolument aucune obligation de vous tenir informé de mes projets ou de ma correspondance. Si je vous préviens maintenant, c'est uniquement pour le bien de Clara. Je suis désolée de ne pas vous l'avoir dit plus tôt, ajouta-t-elle en se tournant vers sa belle-fille, mais je savais que nous aurions cette discussion, et je n'aurais pas supporté d'entendre les remontrances d'Hubert pendant des semaines.

— Mais Sir Hubert est le chef de famille à présent, répondit celle-ci en lui prenant la main. Nous devons lui obéir.

Caroline, comme souvent, fut frappée par la façon dont Clara se soumettait sans conditions à l'autorité pompeuse de son mari. Il était peu probable qu'elle l'aimât, ou bien, si c'était le cas, la passion physique n'entrait pas en jeu. Quelques jours auparavant, alors que Caroline compatissait au sujet des nausées matinales de Clara, celle-ci lui avait confié que les petits désagréments liés à sa grossesse étaient amplement compensés par l'absence de ce qu'elle appelait les obligations conjugales.

Caroline, pour sa part, avait connu un mariage court, mais extrêmement heureux. Sir William s'était révélé être un homme débordant d'énergie, manifestant un grand appétit pour la vie et doué d'un talent incontestable pour faire l'amour à sa jeune épouse. Elle savait pertinemment que s'il avait été capable de lui procurer autant de plaisir, c'était grâce aux nombreuses aventures extra-conjugales qu'il avait eues avant elle, inutile de dire qu'elle ne s'en plaignait pas. En revanche, force était de constater, en observant Hubert et Clara, que les compétences en matière d'amour - et le désir de les acquérir - n'étaient pas héréditaires.

Si la compagnie enthousiaste et bruyante de William lui manquait, elle se languissait également de leurs nuits passionnées. À vingt-six ans, elle était bien trop jeune pour se résigner à une vie d'éternel célibat. Mais comment résoudre ce problème sans se retrouver liée à un autre mari qu'elle était certaine de ne pas aimer autant que le premier ?

— Qu'est-ce qui vous fait sourire, Caroline ? s'enquit Hubert. Il n'y a vraiment pas de quoi rire.

— Il n'y a jamais de quoi rire avec vous, Hubert, fit-elle froidement remarquer. Je m'étonnais juste une fois de plus des différences qui vous séparent de votre cher papa. Dois-je vous rappeler que je n'ai pas besoin de votre permission pour faire quoi que ce soit ?

— Je ne sais pas ce qui a pris à Papa de vous laisser autant d'argent sans prévoir un minimum de contrôle sur vos dépenses, maugréa-t-il en faisant les cent pas devant la cheminée. Vous finirez comme cette Mme Stanhope.

— Vous voulez dire dans un palais libanais, entourée de jeunes amants virils ? C'est ce qu'on dit de Lady Hester, n'est-ce pas ? Cela ne me semble pas si désagréable. En tout cas, ce serait certainement beaucoup plus plaisant que de finir l'hiver ici.

Pourrais-je prendre un amant ? Oserais-je ? Après tout, cela me permettrait d'éviter de me lier à un homme pour le reste de mes jours... C'était une idée scandaleuse, même si elle était certaine que William l'aurait encouragée dans ce sens s'il avait encore été là pour la conseiller. Le plaisir de Caroline avait toujours été primordial pour lui, et il ne faisait que peu de cas des convenances. Mais comment une veuve respectable pouvait-elle chercher un amant sans risquer de provoquer un scandale ?