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— Quel est votre nom ? Où habitez-vous ?
La panique soudaine que ressentit Remy à l’idée que quelqu’un puisse voir son appartement lui fit relâcher suffisamment ses cordes vocales pour qu’il réagisse.
— Me.. Merci, bredouilla-t-il, mais tout va bien. Je suis en retard. Je dois vraiment y aller.
Maintenant que son cerveau s’était remis à fonctionner, Remy réalisait qu’il allait devoir marcher jusqu’à son travail, et qu’il ferait donc mieux de se mettre en chemin.
— Je pense vraiment que vous devriez vous faire examiner.
Remy secoua la tête.
— Je vais bien, j’ai juste été… choqué, stupéfait, aussi pathétique que d’habitude … surpris.
L’homme n’avait pas l’air convaincu.
Un peu chien, un peu chatte.
Je suis le fauve de mes nuits rouges.
La bête qui se nourrit d’elle-même.
Quand je pense à moi, c’est cette image que j’ai : celle d’un loup blanc qui marche à pas de lui dans une forêt vibrante et dense, noire et troublée.
Une forêt qui cherche à se refermer sur lui à son passage.
Les bras des arbres dansent autour de moi comme des anémones de mer aux tentacules lisses, ondoyant lentement dans l’espoir d’une caresse.
Le désir, c'est moi, mais je l'ai déjà écrit.
Je l'ai éprouvé si intimement.
Dessiné en creux comme des lignes de Nazca sous ma peau.
Le désir, c’est une pieuvre à un million de bras.
Je me voue à trouver les chemins qui me mèneront directement à son foyer.
À la fièvre. Au fort. Au flou.
Je suis un glaçon dans un bain brûlant.
Je me liquéfie sans bruit.
Je ne résiste pas aux dansantes vagues de chaleur.
— Je viens toujours seul, ici.
Je bois une gorgée de café et dirige mon attention vers l’extérieur, pour observer la même chose que lui : le passage hâtif des gens.
— C’est ici que tu trouves l’inspiration pour tes textes.
— Ici ou ailleurs. Je voyage énormément, je traque l’inspiration. J’ai besoin de me retrouver seul dans ma voiture, de chasser les orages et les nuits d’étoiles filantes, de rester en contemplation pendant des jours entiers. Je n’aime pas le bruit. Alex, Amy et Sina sont bruyants. Ici, c’est calme, et ça m’aide.
Un chanteur de rock qui n’aime pas le bruit. Il semble lire dans mes pensées, puisqu’il m’accorde un sourire en coin, sans se justifier sur ce paradoxe. Je le tiens au creux de mes mains. Il se noue à toutes ses autres contradictions, autour de mes doigts, jusqu’à ce que je comprenne ce qui n’appelle pas à être expliqué. Je suppose que c’est ce qu’il apprécie chez ses amis. Ils ne lui demandent pas de comptes et apprécient son existence sans s’acharner à la décrypter.
— Ils ont l’air de beaucoup t’aimer, dis-je au bout d’un moment.
— Et je les aime beaucoup. Mais j’ai besoin de silence, parfois. Souvent.
Et moi, j’ai besoin de bruit, alors que je pensais détester ça. Ou peut-être que j’apprécie seulement son bruit à lui, suivi de son calme.
— Tu n’as pas peur que je trouble ta paix ?
— J’aime bien que tu la troubles.
— Pourquoi le respirateur ?
— Il est dans un semi-coma.
— On est dans le coma ou on ne l’est pas !
— Le semi-coma est provoqué par le choc de l’accident. Quand l’organisme est traumatisé, il déclenche une sorte de système d’autodéfense pour se préserver. Il ne peut pas respirer seul.
C’est bien foutu, le corps humain, en cas de danger il cesse de respirer.
— Alors… dit-elle. Il la regarda fixement, et elle sentit qu’il l’évaluait, assimilant chaque détail de son visage, de son corps et de ses cheveux.
— C’est fini, dit-elle. J’espère qu’il enverra les papiers. Et s’il ne le fait pas, alors, tant pis. Je m’en fiche. Nous ne le reverrons jamais.
Neil acquiesça brièvement.
— Bien. Je… je suis désolé.
Elle tapota ses cheveux châtains, doux et spongieux.
— Des choses mauvaises arrivent, Neil. Toutes les filles du Sud le savent. Mais ce n’est pas toi qui es mauvais. C’est lui.
Neil ne semblait pas convaincu, alors elle attrapa son menton et l’obligea à la regarder.
— Tu es spécial. Tu n’es pas comme tout le monde. Et peut-être que certaines personnes vont te détester pour ça. Mais moi, je t’aime. Que Dieu me vienne en aide, je t’aime. Et je ferai tout pour toi. Tu es mon fils.
Neil avait l’air de vouloir dire quelque chose de tranchant ; il le faisait parfois quand elle était trop sentimentale. Mais il dit juste :
— Je t’aime aussi.
Elle se racla la gorge et essaya de ne pas pleurer. Il ne le disait presque jamais, mais elle savait toujours que c’était vrai. Pourtant, ça ne faisait mal que dans le bon sens du terme.
— Je t’aime aussi, répéta-t-il. Et je promets de me rattraper. Je te rendrai fière.
— Pas de souci, dis-je en m'accroupissant devant la cheminée avec les allumettes pour le feu.
— Tu as des marshmallows ? questionna-t-il.
— Oui.
— Tu voudrais bien qu'on en fasse griller ?
Je décelai un enthousiasme que je n'avais pas entendu chez lui jusque là. J'allai chercher le paquet que je venais d'acheter et ressortis les pics à brochette que nous avions utilisés la première fois. Lucas tira son fauteuil tout près du feu et je nous fis du chocolat chaud.
— Arrête de t'agiter et viens t'asseoir, Arthur ! m'appela-t-il. C'est bien les gens des villes ça, toujours à courir.
— Un latte soja, s’il vous plaît.
— Un latte soja, le répétai-je à Cherry, la douce rousse qui connaissait mes préférences, du moins, en matière de boissons caféinées. Et pour moi, comme d’habitude.
— Ça marche, lança Cherry en se retournant pour commencer à préparer la commande.
— Vous nous trouvez une place ? proposai-je à Hunter, pour éviter qu’il regarde par-dessus mon épaule pendant que je payais nos boissons.
Il opina du chef et s’aventura dans le café. Je poussai un court soupir de soulagement.
— Votre nouveau petit ami ? demanda Cherry avec un clin d’œil.
— Oh, non, certainement pas.
— Tant mieux. Vous allez mieux avec l’autre blond.
— Lui non plus n’est pas mon petit ami ! lançai-je en riant, avant de lui tendre l’argent. C’est juste un ami. Un collègue. Un truc du genre.
— Dans ce cas, vous devriez tenter votre coup, dit-elle, en battant des cils.
Je déposai un pourboire dans le bocal et secouai la tête.
— Merci pour les boissons, Cherry.
Je compatissais pour lui. Vraiment. Je compatissais pour tous les gens qui vivaient dans la rue, en particulier avec ce genre de temps.
Ces jours-ci, j’étais aussi absolument terrifié d’aborder quelqu’un que je ne connaissais pas déjà très bien, j’enfonçai donc mon visage un peu plus profondément dans mon col et commençai à grimper les marches.
–– Neil ?
Je m’arrêtai, un pied en suspens au-dessus de la marche suivante. La peur habituelle me donna envie de courir comme un dératé jusqu’au bâtiment, mais la curiosité me fit lentement me retourner.
Le sans-abri se tordit le cou, levant les yeux sur moi de dessous le rebord d’une casquette de base-ball des Dodgers. Il avait une barbe d’au moins deux ou trois jours, et il était maigre, pâle, et épuisé, mais dès que les lampadaires de la rue éclairèrent ses yeux, mon cœur s’arrêta.
–– Jeremy ?
Je descendis l’escalier avec précipitation, oubliant complètement le verglas et atterrissant presque sur le cul pour ma peine. Je retrouvai mon équilibre, et quand je fus stabilisé, je me retrouvai face à face avec Jeremy Kelley, mon meilleur ami d’enfance.
–– Dieu merci, dit-il, en claquant des dents. J’espérais que tu vivais toujours ici.
–– Oui, c’est le cas. Et…
–– Écoute, je sais que j’arrive de nulle part, dit-il, rapidement. Je peux expliquer, mais s’il te plaît, ne me…
–– Jeremy.
Il s’arrêta, et je vis de la terreur dans ses yeux alors qu’il rivait les miens. Je n’avais pas besoin de demander pourquoi. La dernière fois que nous nous étions vus, cela ne s’était pas si bien fini, et il se demandait probablement si j’allais le laisser dehors. J’espérais sincèrement qu’il me connaissait mieux que cela.
Je le regardai de haut en bas, me demandant par quel miracle il n’était pas mort d’hypothermie dans des bottes de facture militaire, un jean, et une parka qui n’était pas faite pour affronter un hiver au nord de la ligne Mason-Dixon. Je ne sais pas ce qui l’avait mené sur le seuil de ma porte, mais il était désespéré et pas du tout en état de rester dehors une minute de plus.
Je fis un geste vers l’escalier.
–– Rentrons avant que tu gèles. Allez viens.
— Belle bête, une race très typée, souffla-t-il.
Je déglutis et fis marcher Pompelup rênes longues quelques secondes pour lui répondre.
— Je dois bien admettre que cette race néerlandaise me plaît beaucoup.
— Tu devrais t’essayer aux mustangs.
— Est-ce une proposition ? le provoquai-je.
Il passa la langue sur la pointe de ses dents. Il me laissa sans réponse et tourna les talons, s’éloignant d’un pas détendu. Je m’efforçai de ne pas le regarder partir et repris mes activités sans trop me soucier de cette petite conversation. De toute évidence, je n’avais pas la tête à mettre le doigt sur ce je ne sais quoi de bizarre chez lui.
Qu’est-ce au juste qu’une rumeur ? L’illusion d’un secret collectif. Elle est une toilette publique que tout le monde utilise, mais dont chacun croit être le seul à connaître l’emplacement. Il n’y a aucun secret au cœur de la rumeur ; il n’y a que des hommes qui seraient malheureux s’ils ne pensaient pas en détenir un, ou détenir une vérité rare dont ils auraient le privilège.
Je ne crois pas au secret partagé. Une fois dit, une fois coulé dans une phrase, une confession, un récit, un secret n’en est plus un. Tout langage le viole. Toute mise en parole est déjà une élucidation de son cœur primordial et obscur, une souillure du silence qui en est la seule vraie condition d’existence. Un secret qu’on se dit, qu’on se dit à soi-même sous une forme claire, est déjà perdu. Il ne peut exister qu’en nous, en ce soi trouble, ce cloître mal éclairé où la vérité doit non seulement toujours s’entourer d’ombres, mais encore être une part de cette ombre. Un vrai secret n’est jamais clair, même à sa propre conscience. Alors deux consciences pour un secret, c’est trop à mes yeux. Dès qu’on le dit, on le trahit, et doublement : d’abord parce qu’on a mis des mots sur ce qui était un réseau mystérieux de vérités n’ayant de sens que dans notre silence intérieur ; ensuite parce que les mots qu’on a choisis pour le confesser ne resteront pas les mêmes dans la mémoire de celui qui le reçoit. Les mots du secret, qui sont la première trahison du secret, seront immanquablement trahis à leur tour dans l’esprit de celui à qui on le confie, qu’il le garde ou le répète.
— Comment puis-je savoir que tu n’es pas flic ?
Mahir ne sourcilla pas.
— Tu as un mec qui vérifie nos antécédents, non ?
— Bien sûr.
— Est-ce qu’il est doué ?
Les yeux de Ridley se plissèrent.
— Est-ce que tu es en train de suggérer que j’engage des connards incompétents ?
— Non. Bien au contraire.
— Quoi ?
— S’il est doué dans ce qu’il fait, dit Mahir, il aurait trouvé si quelque chose me reliait aux flics. S’il ne l’a pas fait, alors…
Ridley pinça les lèvres. Après un long moment, il acquiesça.
— D’accord.
Puis il posa les mains au bord du bureau et lentement, très lentement, comme s’il le faisait exprès pour faire perdre la tête à Mahir, il se releva. Quand il fut complètement debout, il se tenait peut-être à quelques centimètres de Mahir, tout au plus. Normalement, il aurait été ravi de se trouver aussi proche de quelqu’un d’aussi séduisant, mais la sensation qui lui serrait la poitrine n’avait rien à voir avec de l’excitation.
— Il y a eu des flics, ici, déclara Ridley. Sous couverture, et tout ça.
— Ils ont réussi à passer votre…
— Oui, ils ont réussi à passer, rétorqua Ridley d’une voix sèche. Parfois, ce sont des fils de pute sacrément rusés. Et si tu es flic, ou si tu as déjà rêvé d’être flic dans tes fantasmes les plus fous et les plus tarés, alors je te suggère de faire demi-tour et de sortir. Maintenant.
Mahir ne bougea pas.
— Je ne suis pas flic.
— C’est ce que tu dis.
Ridley pencha la tête, les rapprochant un tout petit peu plus tous les deux.
— Les trois derniers mecs sous couverture ont quitté cet endroit dans des sacs de la morgue.
— Je ne te le fais pas dire.
Machinalement, je laisse mon attention dériver sur le cul de monsieur l’agent car, soyons clairs, la nature l’a super bien gaulé. Autant dire que cette petite relation informelle que j’ai initiée avec lui pour une tout autre raison que l’amour passionnel ne présente pas que des mauvais côtés.
— Je vois ! maugrée une voix que j’ai appris à ne plus supporter. C’est pratique !
Sans surprise, Baptiste nous accueille comme s’il était branché sur du 220 V, surgissant de son quartier général, la librairie du 10 de la rue, bras croisés sur son torse, avant-bras à l’air libre, légèrement hâlés et atrocement sexy.
Ses satanés avant-bras. Ses mains. Je suis certain qu’il sait, peut-être qu’il l’a entendu à l’époque où nous partagions le même toit, qu’après le cul, cette partie du corps chez un mec me rend dingue. Ce n’est pas possible autrement, il s’arrange toujours pour me les agiter sous le nez au moindre face-à-face. Tout comme ses lunettes qui lui confèrent un air d’intello salace. Il ne les porte habituellement que lorsqu’il lit ou qu’il bosse.
Mais là…
— Qu’insinuez-vous, monsieur Lemarquand ?
Loïc Prébost, le flic du coin, et accessoirement mon coup de cette nuit, redresse les épaules et bombe le torse pour l’affronter, manifestement prêt à le remettre à sa place. Et moi ? J’observe le tout en me retenant difficilement de me marrer.
En fait, non, je ne me retiens pas. Resté à l’écart, j’adresse un sourire de victoire à monsieur Lemarquand qui tente de m’assassiner de son regard vert profond.
— Je n’insinue rien du tout. Mais c’est une évidence que, vu le laps de temps ridiculement court que vous avez mis à arriver jusqu’ici, votre parti est déjà pris.
Mon amant de la nuit fronce les sourcils en attrapant un carnet coincé dans sa ceinture, puis un crayon.
— Vous laissez donc entendre que je me laisse… acheter ? Que je n’effectue pas correctement mon travail parce que… j’aurais passé la nuit avec monsieur La Croix ?
— La nuit ? ricane mon presque voisin en détournant son regard du mien pour le pourfendre, lui. Je me demande bien ce que vous avez pu faire durant toute une nuit avec monsieur le badigeonneur de cupcakes congelés. Si vous cherchez à combler votre temps libre, alors, je vous propose une nuit en ma compagnie, vous verrez la différence.
L’agent de police fronce une nouvelle fois ses yeux bruns pour dévisager Baptiste.
— Donc, maintenant vous cherchez à me corrompre ? Vous aggravez votre cas, je préfère vous prévenir.
— Je… Tu fais ce que tu veux, marmonnai-je, cachant ma déception derrière un faux bâillement.
Il ferma les yeux et sourit.
— Donc ça te dérangerait…
La manière dont il décryptait mes attitudes et me le faisait tranquillement savoir m’agaçait. Je haussai les épaules, repoussai ses jambes sans ménagement et me levai. Il souleva à nouveau les paupières, roula lascivement sur le flanc et me regarda me servir un verre d’eau en souriant ironiquement. Lui tournant le dos, je voyais son reflet dans le miroir face à moi, au-dessus du lavabo. Il savait que je le regardais. Je soupirai.
— Évidemment que ça me dérangerait, avouai-je finalement. Je… je ne sais pas à quoi tu joues, mais il faut choisir. C’est Fiente ou moi.
— Fiente ? répéta-t-il en éclatant de rire. Voilà un surnom qu’il appréciera sûrement !
Je ne pus réprimer un tremblement à l’idée de ce que Gauckler me ferait s’il apprenait que je le surnommais ainsi.
— Tu vas lui dire ? soufflai-je sans oser me retourner.
— À ton avis ? ricana-t-il.
Je pivotai enfin sur moi-même, désemparé.
— Je ne comprends pas… Dans quel camp es-tu ?
— Uniquement le mien, répliqua-t-il sardoniquement. C’est une chose que m’a apprise mon cher papa. L’égoïsme est le meilleur moyen de survie.
— Mais tu… Pourquoi tu te conduis comme ça avec moi si c’est pour te ranger ensuite aux côtés de Gauckler ?
— Ça a un côté très pervers, non ? Ça doit être ça qui me plaît dans l’idée.
Il souriait toujours. Je secouai tristement la tête.
— Quand je pense que j’étais sur le point de te faire confiance… Tu as raison, je suis vraiment stupide…
Son sourire s’effaça. Il se laissa retomber sur le dos avec un soupir, les yeux rivés au plafond. Au bout d’un moment il se redressa et m’adressa un sourire amical.
— C’est toi qui as raison, lança-t-il. Je ne vais pas perdre mon temps avec ce crétin de Gauckler, nous allons dîner ensemble.
Désorienté par ce énième changement d’attitude, je ne sus que répondre et il rit doucement.
C’est de rester coincé dans cette réalité qui m’entoure et m’engloutit. Je l’ai créée en même temps que ce manteau de douleur…
Il pèse lourd sur moi, m’enterre plus bas que terre, annihilant chacune de mes tentatives pour remonter à la surface. Il me fait suffoquer et saccage mon âme…
Il ne m’autorise aucun espoir de liberté.
Il avait presque atteint le parking quand il se cogna contre quelqu’un et que des mains fermes l’agrippèrent par les épaules.
— Désolé. Je ne vous avais pas vu.
C’était une belle voix masculine, grave, avec un léger accent. Il leva les yeux et vit un homme aux cheveux bruns bouclés, et trempés par la pluie. Son visage était difficilement visible dans la faible lumière des lampadaires qui bordaient l’hôpital. Joel remarqua quand même qu’il était beau, en toute objectivité.
— Vous allez bien ?
L’inconnu fronça les sourcils, l’air inquiet.
— Bon, à l’évidence, ça ne va pas fort. Désolé, c’était une question stupide. Je devrais le savoir, je bosse ici. Mais je peux faire quelque chose pour vous ? Vous devez vous rendre quelque part ?
— Non, parvint à répondre Joel malgré les sanglots qui lui comprimaient la poitrine. Non… Je dois juste… rentrer chez moi. Je cherche ma voiture.
— Vous ne pouvez pas conduire dans cet état, dit-il en le prenant par le bras. Où est-ce que vous l’avez laissée ? Allons-y, que vous puissiez vous calmer un peu, d’accord ?
— Salut, dit-il pour commencer.
Nick quitta sa tablette des yeux, haussant les deux sourcils en guise de question polie.
— Il y a cette fête, vendredi, dit Pat avant qu’il ne puisse y réfléchir.
L’expression de Nick ne changea pas.
— Oui ?
— Oui.
Il y avait toujours une fête quelque part le vendredi, alors c’était un pari sûr. S’il avait besoin, Pat attirerait seulement quelques voisins et des gens de l’équipe de natation avec la promesse de bières gratuites. Et hop, une fête instantanée.
— Tu veux y aller ?
— Je n’aime pas les fêtes.
Le visage de Nick était complètement impassible et il était si immobile que Pat ne pouvait pas comprendre ce que voulait dire sa réponse. Il fut brièvement tenté d’enfoncer un doigt dans son épaule juste pour briser cette immobilité peu naturelle.
— Mais j’imagine que tu as déjà passé du bon temps à une fête, persévéra-t-il plutôt.
Il refusait obstinément de se sentir peu sûr de lui.
Nick leva une épaule dans un soupçon minimaliste de haussement.
— Difficile de trouver une fête comme celle-ci.
C’était une ouverture, n’est-ce pas ? Peu importait, Pat la prendrait.
— Pas vraiment, mec. Cela dépend plus de la compagnie que de la fête.
Pat crut voir le visage de Nick s’illuminer alors que celui-ci lui lançait, de ses yeux noirs féroces, un regard perçant. Il aurait dû avoir l’air de la dernière personne que Pat voudrait inviter à une fête, mais il ressemblait plutôt à la seule chose qui pouvait combler le trou en forme de Nick dans sa vie.
Il avait véritablement un cœur servile. Personne ne frottait le sol avec autant de passion simplement parce que c’était sur la liste des tâches de l’équipe de nuit. Surtout depuis la fois où Patrick avait essayé d’aider et que Marbinian (bref) avait failli faire une crise et avait insisté pour être le seul responsable du nettoyage, depuis ce jour-là jusqu’à ce que l’univers s’effondre en une balle comprimée de matière noire, merci bien.
— Putain, c’était quoi ça ?
— J’en sais rien, murmura-t-il, la gorge nouée.
— Je te l’avais dit ! Cette poupée… elle est hantée ! Tout a commencé à péter quand tu l’as prise ! On va crever ici et…
Il abattit sa main libre sur la bouche de Tyler, coupant court à ses élucubrations. Chhhhutttt. Il devait réfléchir et la panique de son ami ne faisait qu’alimenter la sienne. OK... Réflexion et logique. Cette maison tombait en ruine. Ce qu’ils avaient entendu, les portes qui claquaient et les grincements devaient être dus aux courants d’air. Il n’y avait presque plus aucun carreau sur les fenêtres. Oh purée ! C’était ça !
— C’était juste les vitres, d’accord ? chuchota-t-il. Il y a du vent dehors. La maison est seulement en train de se casser la gueule, c’est tout.
Il ne savait pas s’il essayait de rassurer Tyler ou lui-même, mais cela sembla marcher. Le souffle de Tyler se fit moins rapide et il le sentit hocher la tête derrière sa main. Doucement, il la baissa, puis tendit l’oreille. Le silence régnait à nouveau à l’extérieur, mais leurs respirations encore saccadées résonnaient dans l’espace clos. Sa peur s’atténua, peu à peu remplacée par un trouble grandissant.
Ce n’est pas grave, commença Perry, espérant qu’Horace n’avait pas l’intention de garder son carnet de croquis. Est-ce que vous… ?
Si, c’est grave, reprit Horace avec sérieux. Mais c’est difficile à expliquer sans avoir l’air complètement fou.
Fou ? Horace Daly semblait avoir un sens assez dramatique de la formule. Mais à sa décharge, il vivait dans un hôtel presque abandonné et venait d’être attaqué par trois types en costume de squelette. Alors peut-être que le dramatique était sa manière de fonctionner par défaut ?
Perry ouvrit la bouche pour… eh bien, il ne savait pas bien pourquoi. Demander si Horace avait besoin d’aide pour rentrer chez lui ? Lui proposer de faire une déposition à la police peut-être ? Parce qu’honnêtement, c’était ce qu’ils auraient dû être en train de faire en ce moment. Appeler la police. Plus ils attendaient, moins ils auraient de chances de…
De qui se moquait-il ? Ils n’avaient plus aucune chance d’attraper les agresseurs d’Horace à ce stade.
Ce dernier le contemplait toujours de son regard intense et enflammé. Quand il le fixait comme ça, il lui semblait presque… d’une certaine manière… familier.
Avait-il déjà vu Horace auparavant ? Où ? Pourquoi avait-il la bizarre impression que c’était à l’église ? Perry n’y était pas allé depuis qu’il avait quitté la maison de ses parents presque deux ans auparavant. Et il était pratiquement sûr qu’Horace n’était pas presbytérien.
Celui-ci, suivant toujours le cours de ses propres réflexions, reprit la parole à sa manière grave et grandiose.
Tu vois, Perry, quelqu’un essaie de me tuer.
Pour un Dom, l’excitation se trouve dans le fait de savoir qu’il donne à son soumis exactement ce qu’il désire. Le soumis est réellement celui qui contrôle. Il s’agit de faire en sorte que tout soit parfait pour lui.
Ce que ce tu fais, cet auto-BDSM, c’est très bien. Mais seul, tu as toujours le contrôle, alors même si tu expérimentes le plaisir et la douleur, il n’y a pas de véritable soumission.
Tu as besoin d’être formé par un Dom expérimenté. Tes photographies sont sacrément belles, mais elles manquent de ce plaisir et de cette satisfaction incroyables que l’on ressent en partageant cette expérience à un niveau émotionnel avec un Dom. Ce que tu fais sur ton blog, ce n’est que du théâtre. »
Il l’avait maintenant sous les yeux, portant un jean moulant et des bottes fatiguées, ses cheveux mi-longs cachés sous un chapeau en feutre, et une guitare vintage en bandoulière. Tout ce dont Ollie avait rêvé quand son imagination l’avait dépassé. Mais merde, Shay Maloney était magnifique.
Ollie jura encore une fois et se pencha sur la barrière alors que Smuggler’s Beat entamait sa première chanson, une version tribale d’une ceilidh traditionnelle d’Irlande et d’Écosse. Le groupe était reconnu pour leur style folk retravaillé, mais Ollie avait omis de faire des recherches là-dessus, aussi, il était donc loin d’être préparé au rythme battant et écrasant qui pénétrait ses os sans lui demander son avis. Smuggler’s Beat était… génial, et il ne faisait aucun doute à Ollie que son secret reposait sur l’indubitable charisme de son leader éblouissant.
Mon peu d’énergie cède sous le poids de mon accablement. Ce n’est que Basil, mais tout de même, j’aurais préféré ne pas avoir de témoin.
— Tiens… Dis-moi, tu ne t’es pas ménagé, on dirait.
— Nan, pas une seule seconde.
— Ça fait plaisir à voir.
— C’est peut-être la première fois que je reviens ici, mais je fais un peu de sport tous les jours chez moi, mec.
— Ah bon ?
— Je ne suis pas obligé de tout te dire. T’es une vraie mère poule et je déteste ça.
— Une mère poule !? Ne te fous pas de ma gueule !
— Je dois presque te demander le droit de respirer.
— Je veux juste que tu te bouges le cul.
— C’est ce que je fais, merde ! J’ai seulement besoin de temps, d’un peu de temps !
— OK ! OK ! T’énerves pas, tu me fais flipper.
— Ta gueule, ducon ! Je ne suis plus à même de te foutre une branlée.
— Bah, c’était déjà le cas avant.
— Dans tes rêves, connard !
Basil est mort de rire, ce qui me fait du bien aussi. Il y a une paye que nous n’avons pas cédé à nos railleries habituelles ou à un bon fou rire. À l’aide de mes béquilles, si gentiment données, je me redresse vaillamment. Je commence à avoir vraiment froid. Je cherche des yeux ma veste de survêtement et tombe malencontreusement sur un regard noisette, un regard bouleversé, mais heureux. Un regard qui me scrute intensément, qui me détaille de la tête aux pieds, qui brille d’une humidité retenue. Un regard qui manque de me faire chavirer et retomber sur ce sol dur, et inhospitalier.
Andréa et ses émotions à fleur de peau. Andréa et tout ce qu’il revêt d’importance pour moi. Andréa et mes terreurs les plus terribles. Andréa…
Dis oui… dis oui…
Akira semble rendre les armes, à mon plus grand soulagement. Ses doigts commencent à bouger contre ma paume tandis que ses yeux ne me quittent pas d’un pouce. S’il continue comme ça, il va finir par me donner envie de tester autre chose que sa main. Alors que je m’attends à ce qu’il s’écarte et qu’on puisse discuter avec calme, il se rapproche de moi, encore plus, sa main dans la mienne se déplaçant un peu plus haut sur mon poignet tandis que son autre bras passe sous ma veste et se pose sur ma taille, puis le bas de mon dos. Il va me tuer, s’il continue comme ça. Son odeur m’envahit totalement et, quand sa bouche se retrouve contre mon oreille, je suis bien incapable de réprimer un nouveau frisson.
Putain, il va me rendre dingue.
Son souffle chaud chatouille mon lobe juste avant qu’il ne prenne la parole.
— Tes amis m’ont fait vivre un enfer pendant des années, Nick, et tu n’as jamais rien fait pour les arrêter. Pire, tu n’as pas mâché tes mots pour me traiter de sale pédé alors que ta petite bande se marrait. Ce n’est pas avec de fausses excuses que je vais tout oublier. Alors, non merci.
Sur ces paroles qui me blessent au plus profond, je ne vais pas le nier, Akira s’écarte de moi, emportant avec lui sa chaleur et l’odeur addictive de son parfum. Il a à peine touché son verre, mais il n’en est clairement pas à ce genre de considérations, puisqu’il part sans un regard en arrière.
Dire que je suis déçu est un putain d’euphémisme. Ma poitrine se serre à l’idée que j’ai tout loupé, vraiment tout, de A à Z, avec lui. J’aimerais le rattraper, mais j’hésite. Je sais que je ne fais que payer pour mes erreurs, en réalité, et, oui, quelque part, je le mérite sûrement.
– Je pense que tu vas avoir besoin d’un ami dans les temps qui viennent. Il me semble que le poste est vacant…, ajouta-t-il avec un demi-sourire.
Kenta garda le silence un long moment, tel un homme pesant la valeur d’un serment. Il ne savait pas encore s’il pouvait avoir confiance en Salem, ce qui était bien normal. D’ailleurs, deux heures plus tôt, Salem lui-même n’aurait pas su si qui que ce soit pourrait un jour avoir confiance en lui.
Pourtant, il était là, à moitié à poil, en train de faire cette foutue promesse qu’il avait bien l’intention de tenir…
– Un ami, ce serait une bonne chose, oui. Parce que je n’y arriverai pas seul, avoua Kenta d’une voix presque inaudible.
Lui aussi avait pris sa décision.
Le jeune homme hocha la tête, plus comme on salue que comme on acquiesce.
– Personne ne te le demande, Okami-san. Je ne te laisserai pas seul. Jamais. Cette île est à toi. Et je serai à toi aussi, si tu veux de moi. Mon bras, mon corps, ma vie.