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Elle avait répondu la vérité, qu’elle s’occupait de sa petite fille et c’était vrai, parce que Fabrice était du genre vieille école et que selon lui une femme ne devait travailler que si elle n’avait réellement pas d’autre choix pour subvenir à ses besoins, et puis si on fait des gosses c’est pour les élever soi - même, il disait, si c’est pour les confier à d’autres et les retrouver seulement le soir pour le bain le dîner et les mettre au lit, à quoi bon. Alors à l’époque elle s’occupait de la petite à plein temps. Puis Laura était entrée à l’école et il y avait ces six heures quatre jours par semaine dont elle ne savait pas trop quoi faire. Les courses le ménage les lessives ça ne suffisait pas à les remplir. Elle s’ennuyait un peu dans l’appartement vide, entièrement tendue vers la sortie d’école, mais au fond ce n’était pas si mal, c’est ce qu’elle se dit aujourd’hui
Afficher en entierComment fera - t - il quand elle ne sera plus là ? Peut-il seulement se projeter dans ce futur - là, privé de tout avenir ? Toute leur vie il a pensé qu’il partirait avant elle. Toute leur vie il n’a jamais pu s’imaginer poursuivre seul. S’éloigner d’elle. La perdre de vue pour de bon. Même quand ont éclaté les orages. Les incartades. Les coups de canif. Même quand son cœur idiot a cru battre pour une autre et ses yeux aveugles entrevoir la possibilité d’une existence différente. Moins réglée. Moins étale. Moins limpide. Accordée à son désordre intérieur, son incessant bouillonnement, sa rage enfouie. Comment a - t - il put se fourvoyer ainsi ? Ne pas comprendre qu’ils étaient tout ce dont il avait besoin.
Afficher en entiervaincu. Parfois il vaut mieux savoir ce dont on est capable ou pas.
Il arrive au mobile home et Chet se jette sur lui. Quand il est parti courir tout à l’heure l’animal dormait encore. Des frelons lui volaient dans le crâne à cause des whiskies qu’ils s’étaient enfilés la veille avec Jeff dans une nuit bizarrement tiède pour la saison. Le vent de terre les caressait et Jeff parlait de partir loin, de faire quelque chose de sa vie, mais c’était tellement abstrait qu’on voyait mal par quel bout il comptait prendre les choses. C’est le problème avec la vie, a pensé Antoine. La nôtre est toujours trop étriquée, et celle à laquelle on voudrait prétendre est trop grande pour simplement se la figurer. La somme des possibles, c’est l’infini qui revient à zéro. Au final, ça passe. Ça finit toujours par passer. Chet a tellement faim qu’Antoine n’est pas certain qu’il ne le trouverait pas à son goût s’il ne lui sortait pas sa viande du frigo. L’odeur lui monte à la gorge. Il ne vomit pas parce qu’il n’a rien à vomir, mais ce n’est pas l’envie qui lui manque. Il prend une douche et se met au boulot même si c’est dimanche. Même s’il ne devrait pas être là. Même si à cette heure il devrait être dans le car avec les autres à écouter le coach débiter ses trucs sur l’équipe adverse. Ses tactiques à deux balles pour contrer le jeu d’en face alors qu’à son avis, qui que tu aies devant toi, il n’y a qu’un truc à faire, s’emparer du ballon et le fourrer au fond des cages. Quand le coach lui a dit sans rire qu’il ne voulait pas de lui dans le bus ni sur le banc, que ça aurait rimé à rien vu qu’il était suspendu, ça lui a tellement scié les pattes qu’il s’est barré sans un mot. Ça valait mieux. Antoine se connaît. Il était dans une telle rage qu’il aurait pu lui en mettre une. Et ça il ne faut pas. Un coach ça se respecte. Que tu t’appelles Anelka Ribéry ou Tartempion. Depuis, le coach essaie de l’appeler toutes les cinq minutes mais il peut toujours attendre qu’Antoine décroche.
Afficher en entierSauf que leur mère quand il y repense c'est toujours avec son grand sourire aux lèvres et pas la moindre trace de fatigue malgré le boulot. Toujours vaillante. Toujours aux petits soins. Toujours à mettre des fleurs partout, et la lumière de son rire. Comment elle faisait pour tenir comme ça, il n'en sait rien. Souvent il se dit que rien ne pouvait l'abattre, que rien ne pouvait la scier. Alors ils ont fini par lui refiler une tumeur pour la punir. La faire ployer. Plier l'échine. Ne lui demandez pas qui c'est "ils", il n'en sait rien. Mais il a souvent l'impression qu'ils existent et qu'ils sont bien décidés à les user jusqu'à la corde. Ne lui demandez pas non plus de qui il parle quand il dit "nous". Nous c'est nous. C'est tout. Ceux qui en sont le savent très bien. Et les autres aussi. Chacun sait où il est. De quel côté de la barrière.
Afficher en entierEt même celle que t'aurais pas cru, que t'avais branchée en boîte bien bourrée et la jupe en haut des cuisses, au bout de six mois tu pouvais être sûr qu'elle voudrait l'appart nickel des soirées à la maison une répartition des tâches un gosse, que tu cesses de te saper comme un foutu adolescent, que tu décroches un vrai boulot et que t'arrêtes de sortir avec tes copains attardés qui lui semblaient pourtant si cool un an plus tôt.
Afficher en entierS'il en avait le temps, il en viendrait presque à se dire qu'il n'est pas si con ce cabot, avant que Marion les largue c'était même une bestiole tout ce qu'il y a de plus respectable, à croire que lui aussi ne supporte pas de ne plus voir le gosse, de ne plus l'avoir sur le dos tout le temps à lui tirer les poils, que c'est pour ça qu'il a tourné maboul, un genre de dépression pour chiens créée par le manque mais peut-être bien qu'Antoine projette.
Afficher en entierPourtant tous les deux, ça n'avait pas toujours été ça. Il fallait les voir avant que la glu les colle au plancher. Avant que la vie, le temps ou les choses comme elles finissent par tourner les transforment en ce qu'ils n'étaient pas six mois plus tôt. (...) Non, au début il y avait eu quelque chose comme de la grâce. Et de la légèreté. Quelque chose de vraiment beau. De vibrant. Mieux vaut ne pas y penser.
Afficher en entierRien n'est si simple ni acquis pour personne. Parfois elle se dit : pourquoi est-ce que pour moi la vie ne va pas de soi ? Et puis elle se reprend. Est-ce que c'est seulement le cas pour quelqu'un en ce monde ?
Afficher en entierTout ce qui fait qu'on a pris un chemin et pas les autres. Et même qu'on a jamais eu l'impression qu'il y ait eu un choix un jour. D'autres voies. D'autres routes. D'autres vies. La vie dans un dé à coudre.
Afficher en entierPartout sur la plage, des tonnes d'algues s'étalent au milieu des sacs plastique, de générations de seaux de pelles de râteaux, de tubes de crème solaire, d'emballages aux noms et motifs effacés, de bouteilles de soda, de sandales, de pneus, de bidons engloutis depuis tant d'années que la mer a fini par les vomir.
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