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Extrait de l'introduction (édition 2022)

Pas facile de se garer au centre-ville un samedi après-midi. Par bonheur, juste devant vous, une place se libère à l'angle de l'avenue Victor-Hugo et du boulevard Georges-Brassens. Vous saisissez l'aubaine. Malheureusement, devant le parcmètre, vous vous rendez compte qu'il vous manque 50 centimes. Que faire ? Le plus simple est sans doute d'arrêter le premier passant et de lui demander poliment cette somme. Mais vous risquez d'être déçu. Alors, suivez ce conseil : commencez par demander l'heure et, l'heure obtenue, avant que la personne ait tourné les talons, dites-lui que vous avez besoin de 50 centimes pour alimenter le parcmètre. Nous pouvons vous assurer qu'en procédant ainsi vous multiplierez vos chances de succès ! Mais vous n'êtes pas obligé de nous croire sur paroles.

Un chercheur américain (Harris, 1972) a précisément comparé l'efficacité de ces deux façons de procéder pour obtenir un dime (environ 50 centimes d'euro aujourd'hui) dans les quartiers d'Albuquerque, la plus grande ville du Nouveau Mexique. Lorsque la requête était formulée directement, un citadin sur dix seulement acceptait de donner la somme demandée ; il s'en trouvait quatre fois plus lorsque l'expérimentateur avait préalablement demandé l'heure.

Les chercheurs qui réalisent de telles expériences (il s'agit de psychologues sociaux) n'ont généralement pas besoin de monnaie. Ils ont même l'habitude de restituer aux promeneurs l'argent qu'ils leur ont ainsi subtilisé pour les besoins de la science. Ils réalisent évidemment ces expériences pour éprouver la validité de considérations théoriques qui peuvent être assez savantes. Il reste qu'ils fournissent, ce faisant, une façon de procéder - une technique - que vous pouvez utiliser tous les jours pour obtenir d'autrui quelque chose que vous n'auriez pas obtenu par des moyens plus directs, en tout cas pas avec la même facilité. Or, obtenir de quelqu'un qu'il fasse librement quelque chose (ici : donner 50 centimes) dont il aurait préféré se dispenser, et qu'il n'aurait pas fait à la suite d'une simple demande, à appeler les choses par leur nom, c'est de la manipulation. N'est-ce pas, par exemple, une forme de manipulation que d'obtenir de Madame O. qu'elle commande un tourne-page, trois porte-bouchons, et une douzaine de cendriers gonflables, autant d'achats qu'elle n'aurait jamais sérieusement envisagés avant d'avoir rempli le bulletin de participation au super grand prix d'automne de La Maison dolmatienne qui permet de gagner cette année un chèque de 500000 euros, une KW 13 dernier modèle, et une semaine de vacances en famille sur les plages dolmates ?

On rencontre ainsi, dans cette discipline expérimentale et descriptive qu'est la psychologie sociale, un nombre non négligeable de travaux dans lesquels les chercheurs amènent des femmes, des hommes ou des enfants à se comporter en toute liberté' différemment de la façon dont ils se seraient comportés spontanément, à l'aide de techniques qu'on peut considérer comme de véritables techniques de manipulation. La recherche d'Harris qui vient d'être évoquée n'est qu'un exemple parmi d'autres. Ces travaux scientifiques sont riches d'enseignements pratiques car ils touchent directement à notre vie quotidienne. Il n'est guère, en effet, que deux façons efficaces d'obtenir de quelqu'un qu'il fasse ce qu'on voudrait le voir faire : l'exercice du pouvoir (ou des rapports de force) et la manipulation.

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Ces comportements préparatoires sont donc des plus courants. Ils sont de ceux qu’on réalise volontiers dans l’existence sociale sans avoir le sentiment de mettre le doigt dans un quelconque engrenage. Et pourtant, ces comportements sont suffisants pour rendre plus probable la réalisation d’autres comportements similaires, même s’ils sont plus coûteux.

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Dans une première expérience, l’expérimentateur s’était installé, mine de rien, avec son transistor à côté d’authentiques baigneurs new-yorkais qui se prélassaient sur une plage. Avant de s’éloigner, abandonnant sa radio à même le sable, il tenait à son voisin le plus proche l’un ou l’autre des deux propos suivants. Dans un cas (condition d’engagement) il disait : « Excusez-moi, je dois m’absenter quelques minutes, pourriez-vous surveiller mes affaires ? » Comme on l’imagine, tout le monde répondit à cette question par l’affirmative. Dans l’autre cas (condition contrôle), il disait : « Excusez-moi, je suis seul et je n’ai pas d’allumettes… auriez-vous l’amabilité de me donner du feu ? » L’expérimentateur s’était à peine retiré qu’un compère[6] venait subtiliser le transistor. Dans la condition d’engagement, 95 % des baigneurs intervinrent pour arrêter le voleur, mais il ne s’en trouva que 20 % dans la condition contrôle. Dans une expérience identique, mais réalisée cette fois dans un restaurant, le transistor ayant été remplacé par un élégant cartable en cuir, des effets encore plus contrastés furent obtenus, puisque 100 % des personnes engagées intervinrent contre seulement 12,5 % dans la condition contrôle.

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Cette explication, si elle peut paraître aisée, n’est pas aussi triviale qu’on pourrait le croire. Si on veut bien examiner attentivement les deux situations auxquelles Madame O. a dû successivement faire face, à la plage et au restaurant, on constatera qu’elles ne se distinguent que par un simple « oui » apporté en réponse à une demande à laquelle il était bien difficile d’opposer un refus. Ce n’est donc pas parce que Madame O. est d’un naturel serviable qu’elle a accepté de surveiller la valise durant quelques instants, mais parce qu’elle ne pouvait faire autrement. Qui, sauf à être d’une humeur épouvantable, aurait pu en pareilles circonstances, refuser de rendre le service demandé ? Comme quoi, un simple « oui », qu’on nous extorque incidemment, peut nous amener à nous comporter tout autrement que nous ne l’aurions fait spontanément. Il est important de bien insister sur les caractéristiques objectives de cette situation et notamment d’établir une franche distinction entre ce qui relève de la forme et ce qui relève de la logique des rapports interpersonnels. Du point de vue formel, la demande faite à Madame O. s’apparente à une question (« Voudriez-vous jeter un coup d’œil sur ma valise, s’il vous plaît ? ») à laquelle elle peut, bien entendu, répondre par oui ou par non. De ce point de vue, Madame O. est donc dans une situation de choix : la forme étant celle d’une question, elle peut accepter ou refuser de satisfaire à la demande qui lui est adressée. Rien de tel pour ce qui est de la logique des rapports interpersonnels, la demande faite à Madame O. n’étant plus alors une question, mais une requête, l’une de ces requêtes que l’on ne peut guère refuser dans l’échange social ordinaire. Cette conjonction particulière d’un niveau formel semblant solliciter l’activité de décision (répondre « oui » ou « non ») et d’un niveau social rendant nécessaire l’acceptation de la requête est caractéristique d’une situation que nous retrouverons tout au long de cet ouvrage et qui relève de la soumission librement consentie. Si Madame O. peut avoir le sentiment d’avoir librement décidé de surveiller la valise en l’absence de sa voisine, elle n’avait cependant pas le choix, puisque n’importe qui à sa place aurait fait de même.

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Ces exemples, dont la pesanteur sociale n’échappera à personne, illustrent à quel point le recours au principe de consistance comportementale est utile pour qui veut prédire, ou simplement comprendre, les conduites humaines. On saisit mieux alors le trouble qui a pu être le nôtre en constatant la facilité avec laquelle Madame O. pouvait déroger à ce principe de consistance. Son inconstance ne doit cependant pas être considérée comme le fait d’une personnalité à part, de quelqu’un dont les agissements ne seraient pas ceux de tout le monde. On ne compte plus aujourd’hui les études qui montrent les difficultés qu’il y a à prédire le comportement d’une personne, dans une situation donnée, à partir de son comportement dans une situation antérieure, ou à partir de sa personnalité ou de ses attitudes. Par exemple, s’agissant de prédire si un restaurateur américain acceptera ou refusera de servir des clients de couleur, on devrait, si les gens étaient « consistants », pouvoir s’appuyer sur au moins trois types d’informations :

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On s’étonnera sans doute qu’une même personne, se trouvant dans deux situations semblables, impliquant deux délits de même nature et aussi proches dans le temps, puisse réagir de façon si différente, assistant passivement à la scène dans le premier cas, intervenant avec autant de vigueur que de détermination dans le second. De deux choses l’une, ou bien Madame O. manque de consistance dans ses actes, ou bien l’histoire que nous venons de raconter n’a aucune crédibilité. On se plaît, en effet, à considérer que les gens ont, en dépit des circonstances, un comportement consistant. Il n’est, pour s’en convaincre, que de se référer à la définition que les psychologues donnent de la notion de personnalité : la personnalité est, par définition, ce qui permet de comprendre pourquoi les gens se comportent différemment les uns des autres dans une même situation (par exemple, en intervenant ou en n’intervenant pas pour arrêter un voleur) et pourquoi ils ont tendance à se comporter de la même manière dans des situations comparables[4]. Ainsi, se serait-on attendu, après avoir vu Madame O. assister passivement au larcin sur la plage, à la voir se conduire tout aussi passivement au restaurant. Inversement, quelqu’un ayant observé la vive réaction de Madame O. au restaurant serait, sans doute, surpris d’apprendre que cette même personne avait assisté avec une tranquille indifférence au vol d’un transistor sur la plage quelques heures auparavant.

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Madame O. est généralement seule les jeudis. Lorsque reviennent les beaux jours, il lui arrive souvent de profiter de ses heures de liberté pour se rendre à la plage de San Valentino. Après s’être longuement baignée, elle aime aller déguster des coquillages à la terrasse d’un petit restaurant du bord de mer. Ce jeudi de juin la voit donc satisfaire à ses habitudes. La journée s’annonce des plus agréables : peu de monde sur la plage, une légère brise, une eau délicieusement claire. Près d’elle, une jeune fille, l’oreille collée à son transistor, écoute une émission musicale. Madame O. éprouve maintenant le besoin de se rafraîchir. Lorsqu’elle revient s’étendre sur sa serviette de bain, après avoir fait quelques brasses, elle est le témoin d’une scène par trop fréquente sur les plages dolmates. Sa voisine, certainement en train de se rafraîchir à son tour, a laissé son transistor sans surveillance, et c’est un inconnu qui est en train de s’en servir, cherchant apparemment une station de radio différente. Il a la trentaine et se veut sûr de lui. Un coup d’œil furtif aux alentours et le voilà qui s’éloigne d’un pas lent mais déterminé, l’objet de sa convoitise sous le bras. Madame O. n’a rien perdu de cette scène, et probablement d’autres baigneurs n’ont pas été davantage dupes du manège. Personne n’a cependant réagi, ni elle, ni les autres. Madame O. hausse les épaules et allume nerveusement une cigarette : « Décidément, se dit-elle, on ne peut plus prendre un bain en paix ! »

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— À ceux ensuite que la notion de manipulation fait frémir. Ceux-là considèrent sans doute que l’exercice du pouvoir est la seule façon légitime d’obtenir quelque chose d’autrui, lorsqu’on en dispose et que les gens qui en sont dépourvus doivent s’en remettre à ces stratégies coûteuses et aléatoires que sont la persuasion et la séduction. À moins, qu’à l’instar de grands humanistes, ils ne jugent que la meilleure façon d’obtenir quelque chose des autres, c’est de les amener à réfléchir (à analyser ?) pour qu’ils découvrent par eux-mêmes que ce qu’ils ont de mieux à faire, c’est encore de vous faire plaisir. À ces lecteurs, ce traité pourra s’avérer également fort utile. Ils pourront y apprendre comment ne pas se faire manipuler et surtout, s’ils ont du pouvoir ou s’ils ont pour mission de susciter des comportements nouveaux, les précautions à prendre pour ne pas manipuler autrui à leur corps défendant.

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L’exercice du pouvoir se plaît donc à emprunter à la manipulation, celle-ci n’étant pas, comme on le prétend trop souvent, confinée aux pratiques les plus sournoises d’individus peu fréquentables : démarcheurs malhonnêtes, avocats marrons ou politiciens sans scrupules. Il est de ce fait curieux qu’aucun ouvrage de langue française n’ait à ce jour proposé au public une revue de ces techniques de manipulation qu’étudient sans toujours se l’avouer les psychologues sociaux depuis la dernière guerre mondiale et que tout un chacun pratique, plus ou moins consciemment, dans la vie de tous les jours, qu’il soit vendeur, pédagogue, parent, militant, chef ou mendiant.

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Que faire alors, sinon manipuler ? La manipulation reste, en effet, l’ultime recours dont disposent ceux qui sont dépourvus de pouvoir ou de moyen de pression. Elle présente, en outre, l’avantage de ne pas apparaître comme telle, autrui ayant le sentiment d’avoir agi librement sur la base de ses idées ou de ses valeurs, ce qui est moins négligeable qu’il n’y paraît de prime abord. Gageons que les promeneurs américains qui ont donné une dime après avoir donné l’heure n’ont pas eu le sentiment d’avoir été l’objet d’une agression insupportable à l’endroit de leur autonomie de décision ou de leur liberté d’action. On peut même supposer qu’aucun d’entre eux n’a pensé que le simple fait d’avoir donné l’heure pouvait l’avoir conduit, aussitôt après, à faire montre de générosité. En somme, les gens se soumettent – ils font ce que d’aucuns ont décidé qu’ils fassent – mais ils se soumettent en toute liberté. De là à parler de soumission librement consentie (Joule et Beauvois, 1998), il n’y a qu’un pas. Et tout le monde y trouve son compte : manipulateur et manipulé. Même si elle n’est pas l’heureuse gagnante du super grand prix d’automne des Trois Dolmatiens, Madame O. sera toujours satisfaite de disposer désormais d’un élégant porte-bouchons, de six carrés à serviette finement ciselés, et de ces douze cendriers gigognes qui amusent tant ses amis. Sans doute pensera-t-elle même avoir fait une bonne affaire. Quant au directeur commercial des Trois Dolmatiens, il sera ravi de compter Madame O. au nombre de ses nouvelles clientes. Oui, sauf à être perçue comme telle, la manipulation satisfait tout le monde ! Peut-être est-ce pour cette raison que depuis plusieurs décennies déjà les gens qui disposent du pouvoir ont appris à l’occasion de séminaires divers à assortir l’exercice de ce pouvoir de quelques techniques qui, à les considérer de près, procèdent de la manipulation. Si le recours à un mode de commandement démocratique dans un atelier, ou l’introduction d’une méthode de décision de groupe, ou encore la mise en place de cercles de qualité ou de groupes d’expression, si donc toutes ces panacées du management moderne n’ont jamais modifié fondamentalement la marche des entreprises, n’est-ce point parce qu’au bout du compte les gens en arrivent le plus souvent à « décider » de faire ce qu’en d’autres temps on leur aurait, purement et simplement, imposé ?

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