petits éclats de vie ou chroniques d'une mamy-boomeuse

4. LE VÉLO D’APPARTEMENT.

Il est là. Il trône dans un coin de la salle de séjour depuis plusieurs mois. Il est encombrant, et bien peu esthétique !

Mes enfants me l’ont offert, ensemble, à l’occasion d’un anniversaire.

C’était l’époque, où, après une longue période d’inexistence, je décidai de prendre mon corps en mains…Les dix ans qui avaient précédé, abstinence généralisée, douleur du deuil et souffrance de la maladie, m’avaient atteinte de dégâts, sans doute difficilement réparables !

Pour nous, les femmes, c’est rituel : en cas de déprime, nous débutons toujours notre auto-thérapie par une visite chez le coiffeur pour une coupe de cheveux, comme si, tel Samson, notre chevelure recelait l’essence même de notre bien-être !

Mais, ce n’est que la première étape d’une suite d’actions élaborées !

La suivante consiste à se regarder dans un miroir de plain-pied, et d’affronter, avec courage, les conséquences de la négligence de son corps, conjuguées aux effets du temps…

Seins mous et pendants, cuisses en peau d’orange, bras flasques, ventre rebondi et hanches en amphore…

La déprime, alors, s’exacerbe au fil des jours qui suivent ; puis, au hasard de la lecture d’un magazine féminin, de discussions entre copines ou d’émission télévisée…c’est l’atroce et urgente prise de conscience : il faut rapidement faire quelque chose !

C’est également ainsi que cela a commencé pour moi ; alors que je démarchais dans les grandes surfaces des alentours en prévision d’une idée de cadeau pour mes enfants…

Il en a toujours été de la sorte chez nous : une liste préalable répertorie les désirs, sans limites, de chacun, à chaque fête. Petits et grands souhaits, tout y est noté, afin de laisser un vaste choix à celui qui offre, sans déception pour celui qui reçoit !

Semaine du printemps. Promotion exceptionnelle de la semaine dans mon hyper habituel : un vélo d’appartement, dernier cri, à un prix imbattable !

Je l’ai inscrit, au premier rang des desiderata sur ma courte liste…

Et je l’ai reçu, soigneusement empaqueté dans un papier cadeau aux couleurs psychédéliques, à la fin du repas donné en l’honneur de mon anniversaire. J’ai, bien sûr, feint la surprise et ai profité de la présence de tous mes jeunes, pour le monter : il était en pièces détachées !

L’étonnement de chaque convive précède l’irrésistible envie de l’essayer…On le règle, hauteur, degré de pédalage, on place, dans le boîtier, deux piles pour l’écran de bord…

Quelle sophistication ! Distance, durée, vitesse, consommation de calories, et même, le rythme des pulsations cardiaques…

Un avenir d’efforts physiques s’ouvre à moi !!!

A partir de ce jour mémorable, se planifient mes trente minutes quotidiennes de pédalage.

Lever six heures au lieu de six heures trente…Au fur et à mesure des jours qui passent, mon exercice d’entretien devient rite…

La tenue, d’abord…

Au lever, j’enfile mes chaussettes, mon pyjama molletonné - je dors nue depuis mon divorce, plus de vingt ans, en fait -…mais, après quelques jours, et surtout quelques suées cuisantes, je préjuge la nudité idéale pour ce genre d’activité…

Erreur grossière !

La selle n’est pas d’un contact des plus confortables à ma douillette intimité, et puis, mes seins, au rythme du pédalier, ballottent, flasques et inesthétiques, avec un clappement mou et régulier.

De plus, il s’écoule un délai assez long pour que j’aie le temps de « choper la crève » - moi, qui ne transpire que très rarement - avant que la transpiration n’envahisse mon corps…

Je renonce donc à la nudité, au profit d’un soutien-gorge en coton blanc, spécial sport, et d’une culotte large et fonctionnelle du même textile… - que mes enfants nomment « culotte de grand-mère »! - Et puis, j’ouvre grand la porte-fenêtre afin d’oxygéner mes poumons pendant l’exercice.

La question fatale est de savoir combien de temps je vais tenir le rythme d’un tel rite !

Moi, la révoltée paresseuse…me créer une contrainte d’effort programmée quotidiennement, quelle gageure !

Je tiens le coup quelques jours, quelques semaines, un mois parfois…

Puis, au détour d’une rupture de mon rythme de vie : vacances, fatigue occasionnelle, visite…l’interruption, brutale et justifiée, se prolonge alors, croît et se métamorphose en un arrêt fatal !

Et, je découvre…la Culpabilité, la Faute !

Statique et inemployé, le vélo s’érige dans le coin, derrière la porte ; mais, à chacune de nos entrevues, s’instaure, entre lui et moi, un étrange sentiment…

Le guidon, la selle, l’appareil tout entier me…provoque, séduisant et soumis…et, moi, d’une mauvaise foi inflexible, je détourne mon regard, ouvre largement la porte pour qu’il disparaisse intégralement à mon regard.

L’ôter de ma vue, le dissimuler à ma mauvaise conscience !