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Extrait ajouté par Marcush 2016-12-02T14:44:48+01:00

Tous droits réservés © Marcus Hönig

Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur

À Gwendoline, Jonas, Simon et Célia

Quitter le rivage n’est facile pour personne. Il faut s’embarquer, entrainer les autres à sa suite, les installer, les rassurer.

Mieux vaut choisir un jour de beau temps et ne pas laisser tout de suite s’installer la crainte de la tempête.

Quand il fait beau, on est bien disposé à croire qu’il fera toujours beau. Mais l’on sait bien que la tempête viendra, peut-être dès le lendemain.

Pourra-t-on avec ses deux petites mains rassurer tous les autres, sa famille, ses amis que l’on a attirés à sa suite ?

Les promesses seront-elles tenues ? Peut-on faire confiance à la mer ?

Avant de quitter le rivage, il faut encore une fois jeter un regard derrière soi, sur la plage vide.

Tous ceux que l’on aime sont avec nous. Il faut leur donner un regard tant qu’ils sont proches du rivage, tant que l’on les reconnait, tant qu’ils sont encore en vie, car là-bas dans les vagues, sait-on s’ils ne vont pas changer ou mourir.

On donne l’impulsion du pied sur le sable pour y aller. On s’agrippe au bois, aux autres, et la peur ne tarde pas.

On pense à renoncer et on veut dire tout haut que la peur nous envahit, mais l’horizon est si attirant. La tempête ne sera peut-être pas si forte.

Allons-y, donnons l’exemple, sortons une rame pour traverser encore plus vite. Quitter le rivage, embarquer les siens, quitter le rivage, embarquer les siens.

Il arrive que la nature donne aux injustes les moyens de leurs ambitions…

Partie 1- Ces connards ont foutu un beau bordel

Au restau la journée avait été calme. De la cuisine Marco jetait de temps en temps un œil sur les clients en salle. Des couples qui ne se disaient rien, qui tripotaient des vitres tactiles de téléphones hors d’usage. Des touristes provinciaux, l’air égaré, qui nourrissaient un vague sentiment de tromperie sur la marchandise. « Ah la capitale » leur avait-on dit ! Des hommes seuls, les prunelles palpant le fond des assiettes à travers le bouillon clair. Les choses n’allaient pas plus mal que d’habitude. Elles allaient comme d’habitude.

Seule une brève évocation d’une remise en service d’Internet faillit mettre en péril l’ambiance fade. C’était à peu près la première bonne nouvelle depuis un mois. Jamais la coupure n’avait été aussi longue. Il s’en était fallu de peu que les tables se parlent entre elles, mais cette exagération émotionnelle n’eut pas lieu.

À la fin de son service, Marco sortit du restaurant. Comme tous les soirs depuis deux semaines, la grande artère était bouclée par quelques barrières et un service d’ordre. Dans le vacarme écrasant d’une fanfare, des jeunes en pantalon bleu répétaient une parade annoncée en grande pompe pour le lendemain premier mai, commémoration du jour anniversaire de la sortie de la France de l’Union européenne. Ils descendaient et remontaient sans cesse l’avenue, claquant les talons sur les pavés. Chacun se démenant à tirer droit, scrutant du coin de l’œil ses voisins de rang.

Marco butinait dans la multitude d’affichettes de petites annonces. Mélange bigarré d’objets et de personnes disparues, d’espoirs naïfs de gains rapides et autres services inutiles. Somnolent, à peine diverti, il se remit en route vers son appartement. La nounou devait déjà l’attendre, mine serrée, devant son immeuble. Sans nounou, il ne pourrait plus aller bosser. Contrairement aux précédentes, celle-ci n’avait pas encore augmenté son prix. Marco s’engagea dans sa rue. Le dernier coude passé, les bruits ravageurs de grosse caisse et de trompettes relâchaient un peu leur étreinte. Les spectacles patriotiques auxquels s’adonnait la rue le laissaient indifférent. La politique, si elle voulait bien s’en donner la peine, pourrait bien vivre sans lui. Demain samedi, il irait à la parade avec son fils. Peut-être quelques chevaux seraient de la partie. Le petit aimait bien les animaux. La nounou annonça une hausse des prix. Il s’y attendait et ne dit rien.

Vingt minutes plus tard, l’Iphone posé sur le bord de l’évier chantait un vieil enregistrement de Kate Bush. La voix douce rebondissait sur l’eau chaude du bain. Le petit Gwen tentait en vain d’attraper le canard en plastique qui se faufilait entre les îlots de mousse. Le garçon portait le diminutif de Gwendoline, la grand-mère de Marco. Agrégée de lettres, c’est tout ce qu’il en savait. Il avait nommé son fils comme elle, comme une miniature d’elle-même, souhaitant qu’il jouisse lui aussi d’une intelligence vive et lumineuse.

La berceuse favorite fredonnée et la veilleuse orange branchée, Marco s’enfonça dans son canapé. Il profitait de chaque respiration du petit gars qui dormait à côté. Il s’y accrochait, tentait d’oublier sa journée de travail.

Au restaurant la carte diminuait à vue d’œil, rongée par les restrictions. Les familles ne s’y déplaçaient plus. Les enfants de cette génération arriveraient à l’âge adulte sans jamais avoir posé les pieds dans un restaurant. Ils passeraient d’un âge à l’autre sans saveurs nouvelles, sans connaître même les joies d’un dessert ou le privilège d’être servis à table. « Tout le monde bataille dans ce foutu pays » râla Marco en s’allumant une cigarette.

Gwen avait les nuits agitées. Ces nuits, quelques monstres approchaient malicieusement de la fenêtre de sa chambre pour les regarder dormir, lui et son doudou. Un soir, alors qu’il luttait avec des visions au-delà de ses forces, Marco lui expliqua que les monstres étaient tristes de n’avoir, eux aussi, un doudou à câliner. Ensemble ils firent don d’un magnifique lutin tricoté. Une belle tête de doudou disposé à partager un peu d’affection. Marco le mit assis sur la banquette de la fenêtre. Après un discours solennel adressé aux monstres, touchés et attentifs, tout le monde était rassuré. Gwen les vit pour la dernière fois par la fenêtre. La semaine d’après, ils étaient sous le lit.

Marco, aimant, se donnait du mal pour apprendre son job de père. Toujours surpris par l’ingéniosité de la vie qui, elle aussi, se donnait de la peine pour inventer de nouvelles peurs aux enfants.

Son Chef l’appela vers vingt-trois heures :

— T’as écouté France Info ?

— Pourquoi, tu veux que j’te donne la météo pour la nuit ? Marco s’attendait à une nouvelle attaque de panique de son Chef.

— Les paysans ont mis le feu à Rungis. Ils brûlent leurs propres productions.

— C’est pas d’aujourd’hui qu’ils sont excités les paysans.

— Je te ferai remarquer que c’est à Rungis que je me fournis. Pas de produits, restaurant fermé. Tu comprends, ou pas ? s’énerva le Chef.

— Et pourquoi les paysans se mettraient à brûler ce qu’ils ont produit ? Un coup ils râlent parce que le boulot est trop dur et après ils brûlent tout ?

— J’en sais rien. Ils disent qu’ils sont au bout du rouleau. S’ils pensent que c’est un argument. Tout le monde est au bout du rouleau ! Tout le monde s’en fout des paysans, mais Rungis, ça m’emmerde. Je te rappelle lundi.

Marco reprit une bière. C’était la dernière. Après, le frigo ne serait plus qu’un poste d’éclairage dans la cuisine. Toute inspection des placards eût été vaine. Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi des paysans furieux venaient de le priver de son salaire du week-end. Les yeux braqués dans le frigo vide, Marco entendait le petit ronfler. Il l’aimait par-dessus tout.

Le soir du premier mai, une foule docile s’agglutinait le long du parcours. La ville était parée de bleu, de blanc et de rouge. Les drapeaux de Terre Française masquaient au mieux les façades grises. Le parti au pouvoir s’était fait une spécialité dans la création d’ambiances positives et patriotiques. Les types en pantalons bleus s’impatientaient. Le bruit courait que la parade serait retardée par une allocution spéciale de la Présidente. Habitué à ce genre de dérèglements, le peuple patientait dans la moiteur de fin de journée. Après tout, cela constituait toujours une belle occasion de divertissement. Dans l’ambiance bouillante, la fanfare suait, les pieds dans les bottes en faux cuir n’en pouvaient plus. Même la musique semblait suer.

Tout le monde avait répondu au sentiment enfin naturel de la nouvelle ère. Il était toujours utile de se montrer en famille dans la rue. Non seulement pour dire « nous y étions », mais certainement pour se constituer une réserve de noms de voisins qui eux, n’y étaient pas. L’instinct était à la constitution d’alibis, premier succès d’une gouvernance nouvelle. En place depuis une décennie, toujours dite nouvelle. Comme une technologie froide, sans ancrages dans la conscience collective.

Compte tenu de l’incapacité de la fanfare à jouer convenablement en marchant, le Chef de fanfare décida que la musique l’emporterait sur la gestuelle militaire. Statiques et vexés, les musiciens jouèrent si mal que le Général en personne lança un regard suffisamment explicite pour que cesse la miaulerie. Membre éminent de la délégation régionale, il rajusta son béret et s’installa parmi les siens. À vingt heures cinq, alors que la Présidente se présentait sur le grand écran installé pour l’occasion, deux bombes firent explosion dans la tribune des officiels du parti.

Le deux mai, Marco rangeait ses courses, Gwen jouait dans ses pieds en admirant les emballages colorés. Au moment de l’attentat, ils se trouvaient loin des explosions qui ont pulvérisé la délégation du pouvoir local venue applaudir la parade, qui n’eut finalement pas lieu. Personne ne ressentant plus l’envie d’écouter le discours de la Présidente rediffusé deux heures plus tard, le peuple se retira, faisant place au service de nettoyage. « Tant pis pour les chevaux », pensa Marco en regardant le petit jouer. « De toute façon, tu verras, France Info va nous bassiner toute la semaine avec la Présidente » dit-il à Gwen. Le garçon, à l’écoute des commentaires avisés, finissait de grignoter un paquet de lessive. La nounou n’allait pas tarder.

En poussant la porte du restaurant, Marco surprit le Chef attablé seul en salle, la tête posée dans les mains. Le Chef n’avait rien d’un Chef. Sans sa cuisine, personne n’aurait songé à l’appeler Chef. Incapable de prendre la moindre décision, il était l’exemple même du dépressif qui luttait pour avoir toujours l’air d’aplomb. Tout au long de sa vie, il avait cultivé l’art de se fondre dans le paysage, de raser les murs. Mais son amour de la cuisine, doublé d’une absolue gaucherie pour toute autre activité, l’avait contraint à un minimum de vie sociale. Marco se demandait comment un type comme lui avait pu monter un restau, embaucher du personnel et faire de la paperasse. Au moindre événement, il perdait les pédales, s’excitait et ratait tout ce qui pouvait l’être. Un client mécontent, une livraison qui prenait du retard, un micro-ondes qui se mettait en grève étaient plus que suffisants pour qu’il fasse appel à Marco, qui prenait les choses en main.

Enfin, il donna signe de vie :

— T’as pas vu, sur la porte ? demanda le Chef sans lever les yeux.

— Quoi ?

— Restaurant fermé, Marco. J’ai plus rien dans les frigos, ces connards de Rungis ont foutu un beau bordel.

— Et demain ?

— Demain, quel demain ? Le Chef dodelinait de la tête. Et après-demain, et l’année prochaine pendant que t’y es. Tu crois peut-être que le fric de la journée va pousser tout seul dans la caisse ? gesticula-t-il.

— Alors, tu vas faire quoi ? demanda Marco en ouvrant un paquet de tabac neuf.

— J’en sais rien, j’ai plus envie, tout me fait chier. Je crois que je vais chialer.

Marco ne l’avait jamais vu pleurer. Il sut à l’instant qu’il ne le reverrait plus.

— Ne reviens pas, je dirai rien aux officiels, ils te laisseront tranquille quelques semaines, reprit le Chef, dépité. J’arrête, c’est trop dur et surtout, ne me demande pas ce que je vais faire. Y’a plus de boulot pour toi. Tu vas me manquer Marco, dit-il en replongeant sa tête dans le creux des mains.

Marco aurait aimé trouver une parole, mais rien de raisonnable ne se présenta. Au dernier moment, il se ravisa de prendre le Chef dans ses bras, préférant tâter son paquet de tabac, heureusement neuf.

— Toi aussi, tu vas me manquer. A un de ces quatre. Fais pas le con.

Partie 2 – Fixer son attention sur ces aspects compliqués du monde

L’Allocation Citoyenne était versée le premier du mois à dix heures. Jamais un jour de retard. Aucune erreur de calcul. L’argent glissait silencieusement sur le compte, distillant l’illusion éphémère de possession. Depuis que toute activité liée à l’argent avait été confiée à la seule Banque de France, la vie était plus facile. L’administration avait fait de grands progrès. L’ère était à la gestion globale, à l’insouciance de l’administré. La Banque se chargeait de tout. Salaires, retraites, maladie, assurances, héritages, emploi. Trouver un travail était d’une simplicité connue d’aucune génération auparavant. Un employé qui se voyait sans travail était convoqué dès le lendemain dans l’immense service de l’Agence de l’Emploi Pour Tous, géré par la Banque. Un conseiller bienveillant prenait note de la situation et dirigeait le chômeur vers le premier emploi vacant, quel que soit le domaine d’activité, pour une prise de poste immédiate. Le pays ne souffrait d’aucun chômage répertorié, les statistiques du gouvernement restaient insolemment positives.

Les débuts de mois étaient plutôt porteurs pour les propriétaires de bars, premiers bénéficiaires du versement de l’Allocation Citoyenne. Marco s’installa sur un tabouret. À la télévision qui scintillait tout au bout du bar, TF1 émettait des informations en continu. Les infos couvraient douze heures de la journée, le reste du temps étant consacré aux sports. Sur le verre épais de l’écran, des images de combattants de l’État Islamique, dont personne ne comprenait plus les objectifs. Le Califat, racontait la télévision, s’était étendu aux deux tiers nord du continent africain grâce à des accords établis avec des industriels chinois. Après l’adhésion de la Turquie et de la Grèce, la Russie avait fini par leur emboîter le pas, rattachant par dépit son armée à celle des drapeaux noirs, qui voyaient là enfin l’espoir de développer leur propre aviation. Chaque jour il était question d’eux. Les experts s’égosillaient et quelquefois, s’étranglaient mutuellement sur le plateau de TF1. Marco, qui n’arrivait pas à fixer son attention sur ces aspects compliqués du monde, paya sa bière et partit congédier la nounou. Gwen était couché.

Le lendemain, il reçut une lettre de la Banque avec une convocation obligatoire, sans plus de détails, pour le mercredi suivant. Dans sa chaise haute, transformée en pièce montée, Gwen avait trouvé le moyen d’être couvert d’une purée improvisée de corn-flakes au chocolat.

Le portail principal franchi sous bonne garde, Marco effleura le bouton coloré d’une console qui proposait le numéro de convocation écrit sur la lettre. Sans attendre, il était guidé par des flèches lumineuses incrustées dans le sol, jusqu’au tapis roulant qui le déposa délicatement devant une rangée de chaises confortables. Dans une ambiance de musique douce, quelques portraits de la Présidente souriaient sur les murs. Instantanément, une jeune fille en jupe courte lui proposa un assortiment de boissons pour lui rendre sa visite à la Banque la plus agréable possible. Bien entendu, pas la moindre bière fraîche dans le lot. À l’heure exacte du rendez-vous, une magnifique femme d’une trentaine d’années ouvrit la porte.

Tout sourire, elle invita Marco à entrer :

— Veuillez vous installer, je vous prie, lui dit-elle en désignant un fauteuil face au bureau. Marco s’installa confortablement.

— Merci, finit-il par dire dans un sourire crispé.

— Monsieur, j’ai, au nom de la Banque de France, une excellente nouvelle à vous communiquer.

Marco entendait à peine ses paroles. Elle portait un collier de perles qui rebondissait mollement dans son profond décolleté.

— Ah oui ? Il ne parvenait plus à détacher son regard des seins plantureux qui dégageaient une sensualité hypnotique.

— Vous n’êtes pas sans savoir que la maison de votre grand-mère est propriété de la Banque de France? Monsieur, s’il vous plaît ?

— Non, pardon, je n’en savais rien, dit-il, tentant d’associer dans son esprit la vision sidérante des seins et le souvenir inattendu de sa grand-mère.

— La Banque, et vous pouvez vous en féliciter, a décidé de vous restituer le bien.

À ces mots, Marco referma la bouche et releva péniblement son regard pour tomber droit dans les yeux profonds de la créature de l’autre côté du bureau blanc. Dans ses yeux noisette, le reflet des perles roulait comme une rivière.

— Quoi ? Mais je n’ai pas de maison, dit-il, confus.

— Maintenant, si. Bravo, vous êtes propriétaire. Nous allons dans un délai d’une semaine vous faire parvenir tous les détails concernant la restitution. Je vous remercie de m’avoir écouté attentivement. Au revoir.

Elle était déjà debout quand Marco, affalé sur la chaise, reprit ses esprits, ferma la bouche à nouveau ouverte et se leva d’un bond. La femme faisait déjà entrer une autre personne qu’elle gratifia du même sourire charmeur.

Marco sentit à peine les vibrations du tapis roulant qui l’emmena vers la sortie. Il se rattrapa de justesse à l’arme d’un gardien pour ne pas s’écraser lamentablement devant le portail principal.

Dans la semaine qui suivit, un coursier lui remit contre signature un paquet siglé Banque de France. Il le posa à côté du canapé. Le temps de jouer ne manquait jamais. Les singeries de Gwen étaient sans limites. Avec son pyjama qui le boudinait un peu, Marco lui avait enfilé des chaussons à pompons qu’il tentait d’attraper. Le pompon en question préférant reculer proportionnellement à l’avancée du bras trop court, cela donnait lieu à d’acrobatiques roulés-boulés. Marco le prit sur ses genoux et après une rasade de bière, lui dit :

« Propriétaire, bravo vous êtes propriétaire », en imitant maladroitement une ondulation de poitrine. Gwen rit, un pompon serré dans sa petite main.

Partie 3 – Elle donnait l’impression d’une éternelle étudiante

Le gouvernement restreint de la Présidente comptait sept ministères. La Défense, la Communication, l’Instruction Nationale, l’Agriculture, l’Énergie, la Recherche et celui, insignifiant et n’existant que pour la beauté de son intitulé, de l’Identité Nationale. Le Premier ministre avait été relégué au rang de vérité historique dès le changement de régime. La Banque, hors champ, avait son propre système de gouvernance.

Après dix ans de mandat, Marion Seillard restait une Présidente intelligente et autoritaire, qui jouait sans mesure de son charme. Grande femme jeune, sa crinière blonde et lisse lancée sur l’épaule, elle donnait l’impression d’une éternelle étudiante.

Ce matin, une vive discussion était engagée en Conseil des ministres. Florian Ferkel, en charge de l’agriculture, s’adressait en gesticulant au responsable du très secret ministère de la Recherche :

— Chaque jour, vous entendez, chaque jour, Monsieur le Ministre, des émeutes, de la casse. Les agriculteurs font de plus en plus de dégâts. Ils sont comme fous. Notre dossier est dans votre ministère depuis des semaines, et rien, rien de rien, lui dit-il en haussant la voix.

— Et alors ? lui renvoya le ministre en jouant des sourcils.

— Et alors ? Ferkel bouillait. Et alors, depuis des mois je leur raconte n’importe quoi. Que nous allons apporter une solution à la question de la perte de productivité des terres, que des recherches sont en cours, que tous les espoirs sont permis, que le gouvernement les a entendus et bla-bla-bla. Vous avez regardé les informations ? Vous avez sincèrement l’impression qu’ils m’écoutent encore ?

— Nous travaillons sur le dossier, se contenta de lui répondre froidement le ministre de la recherche qui jouait à empiler des morceaux de sucre.

Ferkel savait que l’après-midi même il devrait une nouvelle fois affronter la délégation des agriculteurs français. Ils lui avaient jusqu’ici été d’un précieux soutien dans sa carrière et il ne se voyait pas devoir fléchir à nouveau devant eux. Il frappa du plat de la main sur la grande table, faisant sauter les tasses de café et les morceaux de sucre.

— Monsieur Ferkel ! intervint la Présidente.

— Madame. Pardon, Madame la Présidente, se ravisa-t-il, nous allons vers la guerre civile.

La Présidente lança un regard furtif au ministre de la Recherche, hésita un instant et demanda qu’on les laisse, elle, Ferkel et Pierre Verrat dont les attributions dépassaient largement la recherche, intitulé officiel retenu pour son tentaculaire ministère.

Pur produit de l’administration, Verrat était un homme craint, le front haut, malheureusement doté d’une stature dégingandée d’adolescent attardé. Ses seules véritables joies résidaient dans sa collection de vestons aux épaulettes sur mesures et la lecture d’ouvrages qu’il qualifiait d’historiques. Verrat avait fait forte impression au dernier congrès de Terre Française, parti qu’il avait contribué à créer avec l’actuelle Présidente. Chaque membre du gouvernement était conscient de sa relation privilégiée avec le sommet du pouvoir et ne se gênait pas en privé de le qualifier d’abruti un peu bas de plafond. Verrat resta silencieux, attendant d’être autorisé. Marion Seillard lui lança un regard d’approbation.

Verrat but une gorgée de café, ajusta son unique mèche de cheveux et s’adressa directement à Ferkel :

— Calmez-vous, nous avons votre dossier.

Ferkel reprit une position digne dans son fauteuil.

— Nous n’avons plus aucun moyen de recherche, dit Ferkel. Comment voulez-vous que nous allions dans la même direction si vous ne me communiquez pas vos résultats ? Le désordre climatique nous a fait perdre quarante pour cent de nos productions agricoles et ce n’est pas mieux chez nos seuls voisins encore disposés à nous exporter des denrées. Nos sols meurent, vous entendez, meurent.

Après un long silence et un regard à la Présidente, Verrat reprit la parole :

— Nous avons élaboré un nouvel engrais capable de changer la situation. La première usine expérimentale est en cours de construction et produira officiellement, je dis bien officiellement Monsieur Ferkel, un nouveau ciment biologique à partir de collagènes issus de sous-produits animaux, aujourd’hui inexploités. Ferkel fronça les sourcils.

— Un engrais, du ciment biologique, mais quel rapport ?

Verrat, tendu, lança un regard interrogateur à la Présidente :

— Allez-y Verrat, nous aurons besoin de lui, lui dit-elle.

— Comme vous voudrez, Madame la Présidente, mais si vous le permettez, je m’interroge sur votre choix.

— Je ne le permets pas, poursuivez, dit-elle sèchement.

Soumis, il s’exécuta :

— Monsieur Ferkel, votre ministère est en charge des contrôles sanitaires, n’est-ce pas ?

— C’est exact, et nous faisons de l’excellent travail, répondit Ferkel qui ne suivait plus du tout.

— Justement. Dans le cadre de notre programme, nous allons devoir solliciter certaines formes de, comment dire, de collaboration.

— Voudriez-vous avoir la gentillesse de vous exprimer clairement ?

— Vos services vont provisoirement être mis sous tutelle du Ministère de la Recherche.

— Quoi ? La gorge de Ferkel gonfla dans le col de sa chemise.

— Nous ne pouvons nous permettre d’entraver la recherche sur le nouveau type d’engrais. Le processus de fabrication demande encore des avancées et vos inspecteurs ne nous seront d’aucun soutien, si vous voyez ce que je veux dire.

La Présidente intervint :

— Monsieur Ferkel, vous êtes un bon ministre et je tiens personnellement à vous. Nous avons besoin de votre soutien dans ce programme. Cette découverte est notre avenir.

Ferkel respirait à peine, abruti, il se balançait d’avant en arrière dans son fauteuil :

— Une découverte ? Mais quelle découverte ?

Marion Seillard se tourna vers le ministre de la Recherche.

— Oui, dit Verrat, une nouvelle source de protéines. Puis il ajouta, les yeux brillants : une source illimitée.

FIN DE L'EXTRAIT

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