Extraits

Parfois, l’amour dure un moment.

Parfois, l’amour dure toute une vie.

Parfois, un moment est toute une vie.

Le nôtre n’a duré qu’un instant.

Mais il survole l’éternité.

J’achève de me coiffer et me retourne pour lui faire face. Jusque-là, je n’avais pas remarqué ce qu’il portait.

– Tu as mis ton uniforme ? Pour jouer au bingo ?

Là, je crois le voir rougir.

– Ces dames me demandent de le porter.

Je me plaque une main sur la bouche pour étouffer un éclat de rire.

– Oh, mon Dieu ! Le joli cœur des vieilles dames !

– La ferme.

Il semble terriblement gêné. C’est la première fois que je le vois jouer les modestes et je ne peux m’empêcher de le provoquer :

– Tu es leur bébé bingo.

– La ferme, Céleste !

– Un amateur de cougars.

Il secoue la tête mais je vois les coins de sa bouche s’étirer.

– Tu es leur PILF.

– PILF ?

– Pilot I’d like to fuck, comme une MILF mais avec un pilote canon à la place.

Il me tire la queue-de-cheval.

– C’est ça, continue tes discours de grande gueule. Chaque fois que tu me taquineras, j’aurai mon droit de réponse.

- Laisse-moi finir, coupe-t-il. Je ne sais pas ce qui se passe ici mais, quand je t'ai crue partie, je me suis senti vraiment très mal, alors que je ne te connaissais pas il y a encore deux jours. Alors je ne sais pas ce qui se passe. Je sais juste que je ne veux pas que ça s'arrête.

Dix minutes plus tard, je quitte sa chambre plus tendu que jamais. Ce n'est qu'en entrant dans mon lit que je prends conscience que je suis en train de chantonner les Beatles, I Want To Be Your Man.

Tout à fait moi.

–Entre !

J’ai dû le crier sans me retourner car j’achève de nouer ma queue-de-cheval devant la glace de la chambre d’amis.

La porte s’ouvre.

– Comment ça, « entre » ? Arrête de dire des cochonneries alors qu’on s’apprête à passer la soirée au milieu d’une centaine de retraités !

Je ris.

– Entre, ça n’a rien d’une cochonnerie. C’est ton cerveau, le cochon, Carter.

Il entre et se plante derrière moi, s’adressant à mon reflet.

– Je te conseille d’éviter certains mots, ce soir, comme « entre » et quelques autres.

– Lesquels, par exemple ?

– De but en blanc ? Suce, lèche, branle, trou, chevauche, bande, avale, pénètre, chair, noix, déguste, goûte, dévore, bois, tire, arrache, chaud, tiède, humide, mordille, frémis, baise, dépucèle, défonce, mange, brûle, nique, pousse, tire, éperonne, cul, sale, laboure, fourre et remplis.

– Tu as tout ça à la fois dans la tête ?

– Ouais, et je ferais bien d’ajouter tête à cette liste.

Je me sens comme une gamine de seize ans, dingue d’un mec en blouson de cuir toujours en colle au lycée. Sans doute parce que je suis en train de me faire peloter devant un kiosque à journaux de l’aéroport. Et Carter qui croit que personne ne nous regarde…

– Arrête, dis-je gênée.

En même temps, je ne peux m’empêcher de sourire. Planté derrière moi, il a glissé une main discrète sous mon tee-shirt pour me caresser un sein.

– Maintenant, j’aime trop que tu ne portes pas de soutien-gorge. En fait, j’insiste pour que tu n’en mettes plus jamais quand on est ensemble. Du coup, je pourrai tenir ces adorables nichons dans le creux de ma main… chaque fois que je veux. Brûle tes soutien-gorge, Céleste.

Ça me fait rire. Un vieux monsieur s’approche et vient se planter à côté de moi. Au lieu de retirer sa main en vitesse, Carter commence à me pincer le téton. Si fort que je ne peux m’empêcher de couiner, autant de plaisir que de douleur. Je fais alors semblant de tousser.

– Excusez-moi, dis-je au monsieur qui me regarde.

J’envoie un coup de coude dans les côtes de Carter qui, après un dernier pincement, se décide enfin à ôter sa main de mon sein.

– On est dans un endroit public, dis-je. Arrête !

Il m’attrape un bout d’oreille entre les dents.

– Mais tu adores ça, tu le sais, susurre-t-il.

- Tout spectateur d'un événement y assiste parce qu'il aimerait bien y participer, sauf qu'il n'en a pas ni l'aptitude ni les moyens.

- D'abord, je ne sais pas piloter un deltaplane. Donc, tu as raison, je n'en ai pas l'aptitude.

- Pas besoin d'aptitude pour ça. On vole en tandem, avec un pilote expérimenté. Donc pas question d'aptitude ici. Tu sais ce que ça veut dire ?

- Quoi ?

- Que tu est spectatrice parce que tu manques de couilles.

- J'en ai, dis-je en me redressant.

- C'est ça. Quand est-ce que tu as pris un risque pour la dernière fois ?

- Je dirais il y a deux jours, en prenant l'avion pour le Brésil sur le conseil d'un cinglé rencontré dans un bar.

- Quoi ?

- Que je fonderais une famille quand je serais prêt à cesser de voyager à travers le monde à la recherche d'on ne sait quoi alors que j'ai tout ce qu'il me faut à la maison.

On marche encore un quart d’heure, jusqu’à trouver deux fauteuils libres devant la mer. Et personne dans les parages. Carter les repositionne de façon qu’ils se trouvent l’un en face de l’autre.

- En principe, c’est la mer qu’on regarde quand on s’assied là, dis-je.

- Je sais. Mais pourquoi veux-tu que je regarde la mer quand je t’ai, toi ?

- Je suis folle de toi, Carter. Nulle part je ne serai mieux qu'à tes côtés, peu importe où ça m'entraine.