Polaire, Tome 2 : L'Ours héroïque

« Mon frère, on dirait que quelqu’un a donné un coup de pied à ton chien. » Alexei entra nonchalamment dans la cuisine, les cheveux en bataille à cause du vent qui soufflait dehors.

« Je n’ai pas de chien. »

Il s’arrêta. « OK. Que se passe-t-il ? »

Je secouai la tête et repoussai mon assiette. « Rien. »

Il se mit la main derrière l’oreille comme s’il avait des problèmes d’audition et essayait de comprendre ma réponse. « Quoi ? Tu veux dire Kerrigan ? Tu es paumé parce qu’elle est partie ? » Quand il vit mon air choqué, il sourit ironiquement. « Tout le monde est au courant, mec. Ouais. Tu t’es extasié devant elle dès son arrivée. Tu as attaqué Serge parce qu’il a élevé la voix contre elle. Ce que nous ne comprenons pas, c’est pourquoi tu n’es pas parti la chercher. »Je pris un air renfrogné. « Tu crois savoir beaucoup de choses, mais tu te trompes. »

« Est-ce qu’elle est ta conjointe ? »

J’ouvris la bouche puis je le refermai. Si je l’avais dit à voix haute, ça l’aurait rendu trop réel, trop douloureux, mais je ne pouvais pas le nier. Je ne voulais pas le nier. « Oui. »

« Dans ce cas, qu’est-ce que tu fous ici ? Va la chercher. » Il leva les yeux au ciel. « Ah, ce que vous êtes stupides, vous et vos conjointes ! Vous vous cherchez vraiment des difficultés, alors que c’est aussi simple que deux et deux font quatre. Tu es son conjoint. Elle est ta conjointe. CQFD. »

« C’est plus compliqué que ça, Monsieur je-sais-tout. »

« Pourquoi ? »

Je bafouillai. « Parce que. »

Il secoua la tête. « Ou alors, c’est toi qui compliques tout, mais, hé, si tu veux que ce soit le foutoir, pas de problème. Je pourrais dire que ça te regarde, mais c’est faux. Ça regarde aussi Kerrigan. Si tu crois qu’elle ne souffre pas autant que toi, tu te trompes. Dès le moment où elle t’a vu, elle a attendu que tu fasses le premier pas. »

« Ferme ta gueule, Alexei. Je ne suis pas d’humeur. »

Il leva les mains et recula. « OK, OK, je comprends. De toute façon, ça ne me regarde pas. »

Je jurai et me levai. « C’est elle qui est partie. »

« Oui, parce qu’elle était malheureuse ici. Il suffisait d’avoir des yeux pour le voir. Elle n’aimait pas le travail et elle n’aimait pas qu’on lui dise constamment qu’elle avait déconné. Elle avait probablement tout aussi peu apprécié que l’homme avec lequel elle avait commencé à sortir la chasse de sa chambre. »

Je grognai. « Comment sais-tu ça ? »

« Ces murs sont fins comme du papier, mec, et tu es vraiment un idiot. »

Je sentis la colère monter en moi et j’eus envie de lui défoncer le visage. « J’ai mes raisons. »

« J’adorerais les entendre. En fait, je suis sûr que Kerrigan adorerait les entendre, elle aussi. »

« Tu es celui qui sait le mieux ce que je fais et qui je suis, Alexei. Tu connais ma contribution unique à cette équipe. » J’allai à la fenêtre et je contemplai l’océan. Sans même m’en rendre compte, je scrutai la plage pour y chercher Kerrigan.

« Tu sauves des vies. » Il arriva derrière moi et me posa une main sur l’épaule. « Ce que tu fais, tu le fais pour une raison, mon frère. Tu sauves plus de vies que quiconque d’entre nous avec ta ‘contribution unique’, comme tu l’appelles. Nous avons tous du sang sur les mains, mais nous faisons ce travail pour le bien commun. »

Secouant la tête, je m’écartai de lui. « Le crois-tu vraiment ? »

Il rit avec décontraction et je me retournai vers lui. « Oui. Comment crois-tu que je fais pour rester aussi insouciant ? Ce que nous faisons n’est pas toujours bien joli, mais notre travail est de sauver des vies et de protéger les innocents. Tel est notre travail. S’il y a un mal nécessaire dans ce champ d’activité, eh bien, c’est comme ça. Certains d’entre nous doivent faire le sale boulot pour que d’autres puissent vivre en paix et en liberté. Néanmoins, ça ne change rien à notre affaire, Dmitry. Tu es un homme bon et, bien qu’il m’arrive d’avoir des doutes sur Maxim, le reste de l’équipe se compose aussi d’hommes bons. »

« Tu dis ça sérieusement ? »

Il hocha la tête. « Tout ce qu’il y a de plus sérieusement. Donc, fais ce qu’il faut pour survivre à cette merde, mon frère. Il y a une conjointe qui t’attend. »

J’avais plus de mal que lui à croire que j’étais un homme bon et, même si je l’étais, est-ce que je méritais Kerrigan ? Je ne le pensais pas.

« Tu crois que tu lui fais une faveur, mais tu n’as pas vu son visage quand elle est partie d’ici. Elle souffre. »

Je me détournai de lui une fois de plus et continuai à regarder l’océan en réfléchissant.

« Fais pas le con. »