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« Il y a bien longtemps que ceux qui mènent une vie de rêve, comme tu dis, ont cessé de rêver, ils n’ont plus qu’un but, jouir de leurs possessions, les augmenter si possible, les transmettre, comme s’ils pensaient un jour marchander leur immortalité, mais ça ne les empêchera pas de crever, seuls, amers, désespérés, ils ne sauront jamais si on les a aimés pour eux ou pour leur satané fric, voilà d’où je viens, Léonie, d’un monde qui se targue de démocratie, de fraternité, d’égalité, et qui est incapable de partager, d’un monde qui a perdu tout sens de l’humain. »
Afficher en entier« Le monde se réduisait pour Aurelle à un ancien amant recroquevillé dans un vieux fauteuil en cuir, ratatiné dans ses fringues, cisaillé par les remords, empêtré dans ses contradictions. Pour d’autres le monde se réduisait à une décharge publique, à une rue sale, à une maison volatilisée par une bombe, à un bureau froid dans une tour, à un film dans une salle climatisée, à une chambre rafraîchie par les pales bruyantes d’un ventilateur, à une cible dans la lunette d’un viseur, à une femme blessée et abandonnée sur le trottoir, à un conciliabule avec d’autres conspirateurs, à un camion bourré d’armes, à un hall sinistre de maison de retraite ou d’hôpital, à une pointe de seringue dans les yeux, à un couloir de la mort, à un champ labouré et survolé de mouettes, à une vague énorme sur le point de s’abattre sur la proue d’un bateau, à l’intérieur d’un char d’assaut, à un désert ocre et silencieux, à la bouche caressante d’un amant, à une rame de métro, à une assemblée fervente, à une forêt inextricable, à un ciel étoilé… En ce moment même quelqu’un se noyait, une femme accouchait, un couple s’aimait, un grabataire gémissait, deux gamins s’arrachaient les cheveux, un homme hurlait au milieu d’une foule, un voyeur se masturbait, un chirurgien opérait, un désespéré se pendait, une assemblée riait aux éclats, des gens sortaient en courant de leur maison secouée par un tremblement de terre… Un puzzle infini qu’on ne pourrait jamais reconstituer, un kaléidoscope dont aucun être humain n’appréhenderait un jour la complexité. »
Afficher en entierUn mois après l’évasion de Léonie, une autre pensionnaire du foyer, Lia, une gamine à la blancheur, à la maigreur et à la blondeur éblouissantes, lui avait parlé d’un boulot hyper bien payé, pas vraiment un boulot, juste jouer les cobayes pour de nouveaux médicaments, mille cinq cents euros, ouais, j’déconne pas, tu t’y rends deux fois, la première pour prendre le médicament, la seconde trois ou quatre jours plus tard pour les analyses de sang, t’as rien d’autre à faire que t’allonger sur un pieu propre et dégager ton bras, t’es pas obligée de baiser ou de sucer, y a pas de mains baladeuses, pas de saloperies, une toute petite piqûre de rien du tout dans la veine, tu palpes les mille cinq cents balles en liquide, pas de reçu, pas de bulletin de salaire, pas de charges, pas d’impôts, tu te casses avec les thunes, ni vu ni connu, le super bon plan, quoi !
Afficher en entierLa voix, à nouveau.
Le sang de Léonie se figea. Les deux techniciens en blouse blanche lui avaient assuré qu'elle ne courait aucun risque : la nouvelle molécule avait été testée sur les rats, sur les chimpanzés, puis sur des milliers d'enfants bengalis, les effets secondaires étaient négligeables...
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