Pour un jour ou pour toujours

Mai 1861

— Une lettre pour vous ! annonça le cocher de la diligence en tendant une enveloppe à Ellena.

— Pour moi ? Vous en êtes certain ?

— Y a votre nom écrit...

— Bizarre, songea-t-elle à voix haute en examinant la missive.

— A la semaine prochaine ! salua le cocher.

Ellena lui sourit.

— Bon voyage! répondit-elle tandis qu'il invitait les voyageurs à remonter en voiture.

Quand la diligence se fut éloignée, la jeune femme reporta toute son attention sur la mystérieuse lettre.

Comme elle déchiffrait les premières lignes, un sourire se dessina sur ses lèvres.

— Pourquoi souriez-vous ? s'étonna Lucas en s'approchant.

— Nous avons reçu une lettre de Seth ! Ecoutez plutôt : « Chers Ellena et Lucas. Je vous écris pour vous donner ma nouvelle adresse. Depuis mon départ de Split Rock, j'ai changé pas moins de cinq fois de relais.

Normalement, je ne devrais plus bouger à présent. Par chance, ils m'ont envoyé au même endroit que Ian MacTavish. Nous en sommes heureux, même si ce n'est plus pareil sans vous deux. La cuisine de Ian n'est pas aussi mauvaise que la tienne, Lucas, mais elle ne vaut pas les petits plats d'Ellena. Je songe déjà à lui dénicher une épouse... »

Lucas laissa échapper un juron. La jeune femme se borna à sourire puis continua sa lecture :

— « La famille de Ian est venue lui rendre visite. Vous n'imaginez pas à quel point ses sœurs sont belles, en particulier la plus jeune. Au passage, elle a mon âge... et s'appelle Melissa... Avez- vous eu des nouvelles de Billy ? Je pense souvent à lui. L'autre courrier, ici, n'est malheureusement pas aussi sympathique... »

— Bonté divine! s'exclama Lucas. Pas aussi sympathique que Billy?

— Billy est grognon, mais au fond il a un cœur d'artichaut.

— Un cœur de quoi ?

— Euh... c'est une expression de ma région, se rattrapa-t-elle.

— Et cela signifie?

— Qu'il a le cœur sur la main.

Lucas secoua la tête.

— Etrange... Que dit Seth ensuite?

— Il ajoute simplement que Ian nous envoie ses meilleures pensées et que nous leur manquons...

Ellena soupira en repliant la lettre.

— Ils me manquent, à moi aussi. C'est si calme sans eux.

— Si vous recherchez de l'animation, vous allez être bientôt servie.

— Pourquoi dites-vous cela?

— Regardez là-bas, fit-il en désignant l'horizon.

Elle distingua dans le lointain un gigantesque nuage de poussière.

— De quoi s'agit-il?

— Probablement une caravane de marchands. Les bisons avancent plus rapidement que cela.

— Quand seront-ils ici?

— Pas avant ce soir... Vous allez pouvoir faire du troc.

— Du troc?

— Oui, en général, ils ont des vaches.

Les yeux de la jeune femme s'agrandirent.

— Et donc du lait! s'écria-t-elle.

— Certainement.

— Je ferais mieux de me préparer, déclara- t-elle avec enthousiasme. Croyez-vous qu'ils accepteront de nous vendre une vache ?

— Qui sait? De toute manière, d'autres caravanes passeront au relais d'ici au mois de juillet. (Puis, levant les yeux vers le ciel, il ajouta :) Il va faire chaud aujourd'hui. Que diriez-vous d'aller vous baigner?

Ellena réprima un sourire. Il pensait certainement rencontrer moins de résistance si elle était à moitié nue. Franchement, comme si elle ne devinait pas ses manigances !

— Ce qu'il vous faut, c'est une bonne douche glacée, rétorqua-t-elle d'un ton moqueur avant de se précipiter dans la cabane.

La caravane n'arriva pas ce soir-là, mais ni Lucas ni Ellena n'allèrent se baigner. En effet, de sombres cumulus couvrirent le ciel en fin d'après- midi, pesant sur leurs têtes comme une chape de plomb. L'air se fit soudain oppressant, comme si la terre elle-même retenait son souffle dans l'attente de l'orage. Après le dîner, Lucas se plaignit de nouveau d'une douleur au bras. La jeune femme lui administra une dose d'antalgique qui eut pour effet de l'assommer. A peine couché, il s'endormit.

Ellena n'eut pas cette chance. Elle se tourna et se retourna dans son lit sans trouver le sommeil. Il faisait chaud, horriblement chaud, et lourd.

Pourtant, elle avait ouvert la fenêtre, espérant qu'avec la nuit le vent se lèverait.

Finalement, quelques heures plus tard, elle sombra dans les bras de Morphée. Mais alors, les cauchemars revinrent au galop. Elle voyageait en dirigeable au-dessus des prairies du Wyoming. Seulement, cette fois, Lucas était l'aéronaute et il ne se souciait pas le moins du monde de diriger le ballon... Il la serrait dans ses bras, leurs corps nus pressés l'un contre l'autre, tandis qu'ils exploraient leurs secrets avec une soif insatiable.

Tout à coup, un éclair zébra l'air, suivi d'un grondement de tonnerre. Une lumière aveuglante se déploya sans le firmament et Lucas explosa en une pluie d'étincelles avant de retomber sur le plancher de la nacelle, consumé par le feu...

Ellena se mit à crier, à crier de toutes ses forces. Et brusquement, Lucas fut là, l'encerclant de ses bras.

— Chut, tout va bien...

— Oh, Lucas ! souffla-t-elle en nouant les bras autour de son cou. J'ai cru que vous étiez mort.

— Vous avez fait un mauvais rêve. Je suis là.

A cet instant, un éclair aveuglant déchira le ciel,éclairant la prairie, et aussitôt le tonnerre se déchaîna.

Ces bruits, cette lumière acérée faisaient écho à son cauchemar. Prise de panique, Ellena se blottit contre son compagnon.

— Le... l'éclair... vous a frappé, et... O mon Dieu ! Lucas, c'était horrible !

— N'y pensez plus, mon amour, murmura-t-il en lui embrassant le front. C'est fini.

Du bout des lèvres, il déposa mille petits baisers sur son visage. L'horreur du cauchemar s'évanouit.

Ellena ferma les yeux et tourna la tête, lui offrant sa bouche. Il la captura doucement, aussi aérien qu'un papillon butinant une fleur. Lorsque la pluie se mit à crépiter furieusement sur le toit, ils étaient déjà bien loin de la réalité, emportés par le tourbillon de la passion. Ils n'avaient plus conscience que d'eux-mêmes, que du plaisir qui les enflammait.