Extraits

Comment se fait-il que je n’aie pas froid alors que je viens de dormir dans un igloo ?

En ouvrant les yeux, je réalise que nous sommes tellement emmitouflés dans nos couettes qu’il nous serait impossible de ressentir autre chose que la douce chaleur d’une nuit torride et d’un réveil tendre.

Hier soir, nous n’avons pas uniquement fait l’amour avec Léonard, nous avons eu une véritable expérience, repoussant nos limites, notre pudeur et mettant de côté nos doutes, notre passé et nos embûches. Nous étions seuls au monde et c’était magique. Impossible de ne pas sourire béatement après cette overdose de plaisir.

– J’ai eu ta tante, elle est dans tous ses états. Melissa est en garde à vue. Elle a été conduite au poste hier dans la nuit, quand les derniers policiers ont quitté les lieux. Je suis inquiet, Mona, comment te sens-tu, toi ? Tu vas bien ?

La ligne de mon père est mauvaise, mais j’imagine son visage soucieux comme s’il était en face de moi. Toute cette affaire le replonge dans notre sombre passé familial. Le soir où Bianca est décédée, c’est un morceau de notre cœur qui s’est envolé. Mon père a peur, pas pour lui, mais pour moi. Il faut que je le rassure, et pour ça, il faut que je réunisse un courage infini pour masquer ma détresse. S’il savait que je suis impliquée malgré moi, que je soupçonne l’homme avec qui je sors d’être à l’origine de cette macabre nuit.

N’y pense pas Mona, reprends-toi !

Je regarde à travers la vitre Tony qui est allongé sur son lit d’hôpital king size. Il dort paisiblement, un demi-sourire aux lèvres. Je suis touchée de voir mon ami si mal en point continuer d’afficher ce visage positif que je lui connais si bien. S’il n’y avait pas ses bleus, ses bandages, les bruits des machines et les effluves de désinfectant, on pourrait croire qu’il fait une sieste dans un hôtel après une nuit difficile.

J’entends des voix étouffées. J’ai un peu mal à la tête. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive, ni même où je suis. Deux voix : une féminine et celle d’un homme que je reconnais immédiatement, c’est Tony !

– Ne te mêle pas de ça, Tony. Mona a fait la maligne et elle s’est mise en travers de mon chemin. Il est hors de question que je la laisse faire. Marco et moi, on va se marier, t’entends Mona ? On va se marier ! Et toi Tony, tu ne perds rien pour attendre !

– Salut Mona !

Quand j’entends la voix de ma cousine, mais aussi pire ennemie, Melissa, j’ai l’impression, alors que je suis en pleine rue, que c’est un mauvais rêve et que je vais me réveiller. Son ton est anormalement sympathique, et je sens les ennuis arriver, comme si je n’avais pas suffisamment de choses à penser. Il est 7 h 45. La matinée est froide, et je n’ai qu’une envie : foncer vers la roulotte près de ma station de métro pour m’acheter un grand café et un bretzel encore chaud.

Melissa se force à sourire, les bras croisés, adossée à la rambarde qui fait face à mon immeuble. Elle semble m’attendre et me contemple de toute sa hauteur. Je n’avais jamais réalisé qu’elle faisait le double de mon gabarit.

– Léonard ?

J'ai été malencontreusement réveillée par le chant de ce que j’imagine être un colibri. Encore endormie, je tâtonne dans le lit king size à la recherche de l’homme qui m’a offert cette nuit magique et plus de plaisirs que je n’osais en recevoir dans ma vie. Nous avons dormi ensemble pour la première fois, et je suis encore émue de tout ce qu’il vient de se passer ces douze dernières heures.

– Non, Tony, ce n’est vraiment pas possible. Je ne peux pas mettre cette tenue pour un entretien d’embauche aussi important. On dirait… je ne sais pas… la directrice d’une école sadomasochiste, annoncé-je à Tony, souriante mais déterminée à ne pas accepter sa proposition.

Je n’arrive même pas à fermer le zip de cette maudite jupe crayon… Je comprends pourquoi elle est censée me faire la taille plus fine puisqu’on ne peut pas respirer dedans. Faire un 34 , ce n’est vraiment pas un objectif que je vais atteindre ce matin.

Tony, mon meilleur ami, lève les yeux au ciel comme si je venais d’insulter toute sa famille.