La bouche de Rhys se tord en un petit sourire avant qu'il s'extirpe de son siège.

- OK, seulement parce que vous avez obéi en ne participant pas au festival.

Cette fois, c'est moi qui fronce les sourcils.

- À vous entendre, on croirait que vous dressez un chien.

- La plupart des choses dans la vie s'apparentent au dressage d'un chien.

- Ce n'est pas vrai.

- Se présenter au travail, être payé. Courtiser une fille, s'envoyer en l'air. Étudier, avoir de bonnes notes. Action et récompense. La société fonctionne comme ça.

J'ouvre la bouche pour argumenter, mais il a raison.

Toute l'attirance que j'ai éprouvée est réduite en cendres : la mort d'un béguin avec le sexe opposé la plus rapide de toute mon histoire.

Non que cela ait eu la moindre chance de mener à quelque chose, de toute façon. Il est mon garde du corps, je ne dois pas l'oublier, n'empêche qu'il aurait été agréable de savourer le plaisir de le regarder sans qu'il soit gâché par l'envie de l'envoyer paître.

Ah, les hommes ! Ils gâchent toujours tout dès qu'ils ouvrent la bouche.

À toutes les filles qui ont dit :

« Merde au prince charmant, donnez-moi un chevalier balafré.»

Il m'accorde alors un de ses vrais sourires, du genre qui pourrait déclencher une fusion nucléaire et détruire toute la population féminine d'un seul coup.

Pour la première fois depuis que je le connais, sa voix contient des accents rauques comme du gravier dans la gorge, qui transforment le ton habituellement clair et autoritaire en quelque chose de plus sombre. Aussi sombre que le péché.

Mais merde, je n'ai aucun problème avec l'hypocrisie. Celle-ci ne fait même pas partie du top dix de mes pires traits de caractère.

Je suis fascinée par le bout de sa langue qui revient de nouveau humidifier sa lèvre inférieure. C'est un tic très léger, dont il ne doit pas se rendre compte lui-même.

Ou peut-être que si, il sait. Peut-être même qu'il le fait exprès.

Sa joue vient caresser la mienne le temps qu'il glisse près de mon oreille.

Mais qu'est-ce qu'il fait, là ? C'est une nouvelle intimidation ? Elle fonctionne en tout cas. Parce que je me plaque de moi-même contre la porte, et que je ferme les yeux, envahie de tremblements.

Un petit silence gêné s'empare des deux hommes :

— Oublie Tony, m'ordonne Myke. Et de façon générale, d'ailleurs, à partir d'aujourd'hui : évite de poser trop de questions.

Un bruit sourd à l'étage me fait sursauter. Je fixe Travis, dont les yeux sont aussi au plafond pour essayer d'identifier le problème.

— Il se passe quoi ? murmuré-je.

— Tu vois, ça, c'est une question.

Tout à coup, Ouyang eut la certitude profonde et déplaisante qu'il ne s'agissait pas d'une coïncidence. Sa défaite, par la faute du moine ; son humiliation aux mains de Chaghan... tout cela n'était que le mouvement mécanique des étoiles lui apportant cette opportunité : le chemin vers son destin. Et, une fois qu'il y aurait fait un pas, il ne pourrait revenir en arrière.