Les extraits ajoutés par danielpages

C’est la première fois que je voyage en camion. Cela devrait être une fête. Mais mon cœur ne peut pas être joyeux. Il restera silencieux tant que Maman ne répondra pas à mes questions. À cause de tout ça, le trajet me paraît interminable.
Le camp de Brens. Est-ce là que la police nous emmène ? Est-ce qu’il y aura d’autres enfants ? Un instituteur pour nous faire la classe ? Est-ce qu’on nous donnera des couvertures et des ustensiles pour cuisiner ? Si peu de choses sont rentrées dans notre petite valise…
Afficher en entierChapitre 1
La lettre arriva à la fin de la première semaine du mois de mars. Elle avait voyagé sur un trois-mâts américain jusqu’à Saint-Pierre de Martinique où le service des postes l’avait prise en charge. Quatre jours avaient été nécessaires pour la livrer à l’Habitation Boigny.
Manoue, la cuisinière, qui était seule dans la maison, accueillit le coursier les bras encombrés de linge propre et sec. Elle le dirigea vers le salon et lui fit déposer le courrier sur la table le temps qu’elle se déchargeait. L’homme s’essuya le front d’un revers de manche, puis tira un pli de la liasse et le lui tendit.
— C’est à cause de celle-ci qu’on m’a envoyé à cheval sous ce maudit soleil, maugréa l’esclave. Le maître des postes n’a pas voulu attendre le prochain bateau.
Manoue tourna l'enveloppe dans tous les sens et commença à déchiffrer péniblement la mention en gros caractères qui s’étirait en travers de l’étui de papier fort.
L’expéditeur demandait de « délivrer la missive avec la plus grande célérité ». Le capitaine du navire américain l’avait reçue « le vingt-sept de janvier de l’an 1841 dans le port de Boston ». Elle avait voyagé près d’un mois et demi pour rejoindre le sud de la Martinique.
Boston. Manoue sursauta et son estomac se serra. Elle retourna la lettre et le nom de l’envoyeur lança son cœur dans une course folle. « Elwina Wellmore pour Isana et Noah Le Scaer ».
L’esclave qui attendait debout et le chapeau à la main la vit pâlir. Il la regarda fixement et l’inquiétude qu’elle lut dans ses yeux la fit redescendre sur terre. Manoue se rendit soudain compte qu’elle ne lui avait même pas offert de boisson pour étancher sa soif.
Elle balaya l’angoisse qui l’avait saisie toute entière et se précipita vers sa cuisine pour y puiser un pichet d’eau fraîche.
Afficher en entierChapitre 1
Le joli cotre se balançait au rythme de la vague qui passait par intermittence la barrière de corail. Le soleil se couchait déjà derrière les collines, allongeant l’ombre des grands cocotiers jusque dans l’eau transparente.
— Regarde, le charpentier a terminé son travail et s’installe pour la sieste !
Noah se remit à plat ventre d’un coup de reins et se frotta les yeux. L’étendue lumineuse était éblouissante. Il laissa ses pupilles encore aveuglées s’habituer.
— Il n’a pas l’air de s’inquiéter pour ses compères.
Il glissa vers sa sœur dans l’ombre fraîche du raisinier sans cesser de surveiller le navire.
— On attend qu’il s’endorme et on y va, souffla le garçon.
— Non, c’est moi qui irai toute seule. Tu ne t’approcheras que quand je te ferai signe. Il se méfiera moins, s’il m’aperçoit. Une fille, ça ne peut qu’être inoffensif…
Noah se préparait à protester, mais les yeux verts d'Isana se fixèrent sur lui. Il y lut immédiatement sa détermination et n’insista pas.
— Inoffensive ? S’il te connaissait…
Il ricana et évita de peu le coup de coude qui visait ses côtes.
Sur le pont, l’homme avait rangé ses outils et s’était allongé sur les voiles affalées à l’avant. Il avait tiré son chapeau sur ses yeux et grattait sa barbe grise. Il avait bien l’intention de profiter des derniers instants de calme.
Un peu de repos avant que ses camarades ne rentrent de leur expédition.
Dès qu’ils seraient à bord, pas question de traînasser. Le capitaine Tob était plus généreux avec ses coups de pied qu’avec les pièces d’or qu’il conservait dans sa bourse.
Il faudrait relever l’ancre sans perdre une seconde et changer d’air au plus vite !
Afficher en entierChapitre 10
La troupe des pirates faisait grand bruit sur la plage éclairée par le feu. Un des hommes retirait de la braise pour en remplir une fosse toute proche. Le cochon entier y rôtissait, empalé sur une broche.
Le charpentier appuya soudain sur la tête de Noah et le plaqua au sol.
— Chut ! il y en a deux qui viennent par ici !
— Ils ramassent seulement le bois sur le rivage dans la clarté de la lune. Trop peur du noir et du diable qui rôde pour s’aventurer plus loin, souffla Isana.
Les forbans passèrent à quelques pas de leur poste d’observation et ne tardèrent pas à revenir alimenter le feu d’une brassée de branchages. Un long tourbillon d’étincelles s’éleva vers le ciel et les rires reprirent de plus belle autour des flammes qui illuminèrent brusquement tout le secteur.
— J’en compte onze ! murmura le garçon.
Isana confirma.
— Ils étaient vingt en tout avant l’attaque. Cinq à bord pour emmener le Gavilán jusqu’au ponton, dit le vieil homme, et quinze pour donner l'assaut à la plantation, Ladrillo avait décidé comme ça.
— Moins sept, il doit en rester treize… Ils en ont certainement laissé deux sur le bateau.
— Non, regarde, il y en a un qui arrive !
Émergeant de la pénombre, le canot venait de s’échouer sur le sable et une haute silhouette barbue en débarquait et pénétrait dans le cercle de lumière.
— C’est Ladrillo ! Doit en avoir posté un de garde à bord…
— Dommage que je n’aie pas mon fusil, regretta Isana.
Son frère appuya sur son épaule et la fille s’aplatit à nouveau.
— Il y en aurait encore douze ! Non, on va faire plus discrètement. Je nage jusqu’au navire, voir comment ça se présente. Après, on avisera ! On a plusieurs heures, la viande n’est pas cuite et ils n’ont pas assez bu. Quand ils dormiront, on pourra peut-être même emprunter leur canot pour débarquer tous leurs passagers.
— Tu veux aussi libérer les esclaves ? Ça va nous compliquer la tâche.
C’est Isana qui répondit au charpentier étonné.
— On ramène tout le monde à la maison, Jos, tout le monde…
Elle sentit sur son épaule la main de son frère qui se resserrait. Une pression légère et affectueuse.
Il approuvait et la remerciait.
Afficher en entierUn extrait
Igor s’arrêta de parler, son regard était soudain devenu triste et il sentit combien sa situation d’esprit désincarné lui pesait parfois. Il lui arrivait souvent de repenser à sa vie d’antan, lorsqu’il était un chat de gouttière vivant et tout à fait normal, passant ses journées à dormir et ses nuits à chasser les souris dans le jardin. Il avait mené une vie heureuse jusqu’au jour où un renard avait croisé son chemin et l’avait empêché de retourner chez lui. Grièvement blessé, il n’avait pas réussi à se traîner jusqu’à la maison et était resté là, allongé dans les buissons à attendre la mort. Il avait entendu les appels de ses maîtres qui le cherchaient désespérément dans les rues du village. Mais bientôt il avait divagué, son esprit s’était perdu dans les brumes de la mort qui approchait et avait glissé petit à petit dans l’autre monde sans vraiment s’en rendre compte.
Et aujourd’hui, il se retrouvait dans cette pièce, devant cette petite fille qui était la fille de son ancienne maîtresse. Elle n’était qu'un bébé à l’époque de sa disparition et il ne l’avait jamais vraiment connue.
Voilà pourquoi, la mère de Sara, ne voulait plus de chat à la maison. Elle n’avait pas pu oublier Igor et n’avait jamais vraiment surmonté le chagrin de la disparition soudaine de son animal préféré.
- Tu sais, dit-il, il ne faut pas en vouloir à ta mère, elle a eu trop de chagrin il y a longtemps lorsqu'elle a perdu son chat préféré et elle ne veut plus revivre cela. Ce chat, c'est moi ; je suis revenu dans la maison dans laquelle j'ai mené une vie heureuse, mais je ne peux me déplacer sur Terre qu’en compagnie d'un membre de mon ancienne famille…
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Les Cinq premiers chapitres de "Clara des tempêtes" sont en intégralité sur le forum à l'adresse :
http://booknode.com/forum/viewtopic.php?f=10&t=79577
Bonne lecture !
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(Page 44-46)
[…] Ils longèrent à nouveau la coque. Rien de particulier. Les palans pendaient sous les bossoirs débordés à tribord, attendant le retour d’une annexe. Une échelle de corde à barreaux de bois sombre descendait dans l’eau, juste à côté. Une véritable invitation à embarquer.
La tentation était forte. La main d’Alex retint Laura qui avait saisi l’escalette dans l’évidente intention de grimper sur le bateau. Leurs yeux s’affrontèrent un court instant, puis la jeune fille se tourna vers le navire et cria de toute sa voix.
–– Ohé, Vanillia, y a-t-il quelqu’un à bord ? Peut-on vous rendre visite ?
Le minimum de politesse avant de s’inviter.
Elle répéta son appel en anglais, puis en espagnol. Aucune réponse, aucun mouvement.
Elle se hissa de trois échelons, accrocha ses bras au-dessus du pavois et interrogea à nouveau le voilier vide. Pas davantage de réaction. Alors, sans attendre ni consulter le garçon, elle prit souplement pied sur le pont. Alex hésita une seconde. Une inquiétude diffuse. Puis il grimpa à son tour.
Au sol, les lattes de bois couraient, propres comme si une armée de matelots les avait récemment passées au sable fin. Les vernis semblaient neufs. Les cordages parfaitement lovés et prêts à être utilisés.
Une grande barre à roue de chêne sculpté dominait la poupe, derrière un compas à demi masqué par un capot de cuivre poli. Navigation à l’ancienne. Aucun répétiteur d’équipement électronique ou cadran électrique n’était visible à proximité du poste du timonier.
Les deux explorateurs se dirigeaient à pas de loup vers l’avant quand un premier frémissement, une longue vibration, parcourut le navire. La surprise les immobilisa un instant. Alex, tout à coup paniqué, saisit vivement le poignet de son amie et l’entraîna vers le pavois. Elle ne se fit pas prier pour le suivre. Le voilier blanc frissonna une deuxième fois et, sans échanger un mot ni se lâcher la main, les deux jeunes plongèrent par-dessus bord. […]
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(Page 102)
[…] Le premier dimanche de janvier de cette année 1898, nous n’avions pas eu de chance. Un de nos équipiers était passé par-dessus bord au premier virement. Nous avions perdu de précieuses minutes à le récupérer et la coupe nous avait échappé.
Lorsque je sautai sur le quai au milieu des proches qui venaient féliciter les vainqueurs ou consoler les autres, je me trouvai arrêté par un adolescent qui me dévisageait depuis notre arrivée.
À vrai dire, je mis un moment à me rendre compte qu’il s’agissait, en fait, d’une jeune fille habillée en garçon. Et c’est seulement sa voix douce et musicale qui m’en donna la certitude.
« Théodore Winslow, pourriez-vous m’accorder un instant, j’aurais plaisir à vous parler ? » me demanda-t-elle en se découvrant.
Les mèches de ses longs cheveux bruns, jusque-là dissimulées sous son chapeau, retombèrent sur ses épaules, venant encadrer un magnifique sourire.
« Je m’appelle Clara », se présenta-elle. Et elle me tendit sa main.
[…]
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(p 11 à 14, Le dernier gardien)
Si vous grimpez tout en haut de la pointe, vous l’apercevrez au loin, ceinturée de noir, quand la marée court vers le large. Au point que tout le monde a oublié son nom et l’appelle l’île noire.
Émaillée de taches blanches. Les goélands y passent leur journée, chaque fois que le dur vent d’ouest les laisse tenir debout.
La côte au noroît est découpée comme une mâchoire un peu dégarnie qui ne posséderait que des canines. Des millions d’années de vagues ont attaqué le granit. L’ont tordu. Déchiré. Affûté.
Du continent, vous ne verrez pas la pente verte qui glisse vers quelques mètres carrés de grossier sable gris et de galets ronds que n’ont jamais osé couvrir les laminaires géantes et le varech gluant.
Les houles énormes des grandes tempêtes n’arrivent pas jusque-là, brisées par d’autres écueils, déchirées par d’autres mâchoires. Mais les vagues courtes se font cassantes dès que le vent se lève, la mer blanchit et les rocs chassent vers le ciel des gerbes d’eau écumeuse.
Certaines nuits d’hiver, les embruns planent sur toute l’île. Seule reste alors au sec la tête illuminée du phare qui fait tourner son œil géant pour effrayer les navigateurs et les éloigner de ces eaux recelant mille récifs cachés.
Kleden Tévennec détaillait son royaume. Le canot de service l’avait déposé à midi. Les hommes avaient déchargé et transporté au pied du phare deux semaines de ravitaillement pour compléter les stocks déjà entreposés à l’intérieur. Vite, ils s’en étaient allés, profitant du jusant qui les ramenait vers leur port d’attache sur le continent.
Juin éclairait l’îlot de toute sa lumière. À près de soixante mètres au-dessus des flots, on dominait le monde. Chaque rocher pouvait être comptabilisé. Seul, restait à l’abri du regard le creux de la minuscule plage où aucune baigneuse ne viendrait jamais troubler la solitude du gardien.
Un coup de chiffon sur les lentilles et les cuivres les avait débarrassés des cristaux de sel abandonnés par les embruns des tempêtes précédentes. La lanterne allait, cette nuit, briller d’un nouvel éclat. Personne ne s’en apercevrait. Kleden aimait le travail bien fait.
Un dernier tour d’horizon. Il dévala prestement les marches de pierre et s’assit sur le muret qui courait devant la tour. Il tourna le visage vers le soleil qui se préparait à plonger dans le lointain de l’océan. Ce soir, seule une légère ondulation venait clapoter sur le socle de l’île, y déposant une moustache blanche.
Les filaments qui s’étiraient dans le ciel annonçaient une dépression pour le lendemain. Du gros temps pour plusieurs jours. Une météo à ne pas mettre une mouette dehors. Heureusement, le phare fonctionnait sans flamme à allumer. À surveiller. Sans bidon de carburant à soulever, à hisser, marche après marche jusqu’au sommet. Le gardien n’avait plus besoin de passer sa nuit dans la tête du colosse, au cœur des hurlements de la tempête déchaînée.
La fée électricité était arrivée jusque-là grâce à son gros câble qui serpentait au fond de la mer. Kleden Tévennec avait seulement pour mission de vérifier, surveiller, informer les techniciens qui, de leurs bureaux sur la terre ferme, la vraie, préparaient l’automatisation complète de cette lueur d’espoir pour les marins perdus.
D’ici quelques mois, on n’aurait plus besoin de gardien pour le phare de cette île maudite. […]
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