Extraits

Le taxi s'immobilisa à quelques centimètres de moi. J'ouvris la porte précipitamment, et me glissai à l'intérieur. Mais avant que j'aie le temps de la refermer, il avait déjà la main dessus et tirait pour la rouvrir.

— Laisse-moi tranquille !

Je hurlais, hystérique.

— Oh !

Le chauffeur venait de se retourner.

— Vous avez entendu ? Laissez cette dame tranquille !

Je lui assénais des coups de poing sur les doigts pour lui faire lâcher prise.   Rien à faire. Il réussit à se pencher à l'intérieur. Il riait. Dans cet espace confiné, avec son visage dangereusement proche du mien, son odeur nauséabonde me frappa de plein fouet. J'étais prête à vomir. 

— Fais très attention à toi, Lisa. Je peux me retrouver sur ta route à tout moment.

Il recula et commença à refermer la porte.

— Ou bien décider de faire ce que j'ai dit… Dès que l'envie m'en prendra.

— Désolée, mais ce n'était pas le but.

— Vous vous foutez vraiment de moi ?

— Bon ça suffit ! Est-ce que je serais heureuse s'il gardait mon livre comme il est ? Oui, un milliard de fois oui. Je déteste vos corrections. Mais j'ai déjà commencé à bosser dessus. Je vais faire de mon livre la merde que vous voulez qu'il devienne. Je vais respecter mon contrat. Alors, arrêtez-un peu de m'agresser. J'ai dit ce que j'avais à dire, et j'en ai parfaitement le droit. Si ça vous pose un problème, parlons plutôt du problème que me pose votre manque d'intégrité. Vous savez quoi ? Prenez un aller simple pour le Texas, et ne revenez surtout pas. Ça fait trop longtemps que vous êtes à New York. Vous êtes devenu comme cette ville, moche et avide. Votre putain d'égo ferait de l'ombre à l'Empire State Building. Et vous êtes passé maître dans l'art de raconter des bobards. Ce n’est pas comme ça que vous avez été élevé non ? Si j'en crois ce que vous m'avez raconté tout à l'heure. Et pourtant, vous aviez bien l'intention de le rouler dans la farine, ce pauvre West. Alors, votre enfance, votre mère, c'était du pipeau aussi ? Je ne sais plus si je dois vous croire.

Je levai un doigt vers lui, menaçante.

— Écoutez bien ce que je vais vous dire. Il y a une chose dont je suis sûre. C'est ma carrière qui est en jeu, pas la vôtre. Vous croyez vraiment que je vais vous laisser tout foutre en l'air avec vos mensonges ? Vous pouvez toujours rêver !

— Oui je rêve. Qu'un jour enfin vous deveniez un écrivain digne de ce nom.

- C'est une blague ? Vous allez tuer tout ce qui rend ce livre aussi spécial !

- Je ne crois pas. Je pense au contraire que ça va l'améliorer.

- Ah oui, et comment ? En transformant des zombies en clichés hurlants ?

- C'est ce que le grand public attend d'un livre comme ça. Dans mon business, vous ne changez pas la recette du succès. Vous la suivez.

- Dans votre business. Et c'est quoi votre business ? Une couverture de survie pour compagnie d’assurances ? Qu'est-ce que vous en savez, de ce que les gens attendent ? Ou de ce qu'ils veulent ? Vous voulez juste leur servir la même cuisine. Encore et encore. Histoire de ne pas prendre de risques. Mais peut-être qu'au contraire ils veulent un truc nouveau, inédit, différent. Je ne sais pas moi, un livre comme celui que Miss Ward a écrit !

- Ça fait quinze ans que je travaille dans l'édition. Mes résultats parlent pour moi. Vous savez combien de best-sellers sont passés entre mes mains, Julian.

- Oui, et alors ? Ça ne change rien. Je n'achèterai pas ce livre s'il subit des modifications importantes. Si vous le faites, je me retire tout de suite du projet. Et vu que le livre n'est plus disponible à la vente sur les sites en ligne, la nouvelle version que vous allez proposer va anéantir toutes ses chances d'être adapté au cinéma. Je peux vous le garantir. Qui se ferait chier à faire un énième film sur les zombies s'il n'y pas de nouveau concept ? Une nouvelle approche du genre ? Pas moi en tous les cas. Je veux du neuf. Et vous allez retirer à ce livre tout ce qui fait que je l'adore.

- Tournez. Montrez-moi un peu.

Je m'exécutai.

- Vers la gauche.

Je m'exécutai à nouveau.

- De face maintenant.

Je lui fis face.

- C'est la robe qu'il nous faut. Oui, c'est LA robe ! Et trouvée du premier coup, quel génie ! Comment ai-je réussi ?

- Il me semble que c'est Pauline qui a trouvé la robe.

- Pauline a eu du flair, je vous le concède.